Le véritable sens de l’allégorie de la caverne

L’allégorie de la caverne de Platon obtient désormais une interprétation fondamentalement différente. Ce n’est pas une allégorie de la vérité que les gens ne veulent pas voir, de toutes façons cela est évident pour qui est sérieux.

C’est déjà, avec certitude, une allégorie de la constitution du monde par la matière façonnée par le dieu créateur sur la base d’idées, agencées de manière mathématique. Le monde matériel est une illusion, la réalité étant les modèles de ce qui existe : les idées, pures et parfaites.

Et ces idées, par une logique mathématique, ont modelé la matière.

Cependant, on obtient maintenant la clef de la psychologie de Platon, qui est fondamentalement religieux. Et cela éclaire tous les discours de son maître Socrate sur la nature de l’âme.

Rappelons ce qui est dit dans l’allégorie de la caverne. On a des esclaves enchaînés, qui ne peuvent regarder que dans une seule direction. Quelqu’un se libère et comprend que tout est illusion de ce qu’ils voyaient : c’était simplement des ombres sur un mur, alors que des marionnettistes agitaient des figures devant un feu.

Il y a ensuite la découverte, à l’extérieur de la caverne, du soleil, de la « vraie » réalité. Et au retour, celui qui s’est libéré ne s’y retrouve plus dans l’obscurité, et il ne parvient pas à convaincre ceux restés prisonnier, qui croient qu’il divague.

L’allégorie de la caverne est en fait, en plus de la question du monde des idées qui va avec, une présentation de la thérapie psychonaute. On a en effet le manuel de celui qui s’est arraché à l’infra-monde, qui a découvert le monde réel et cherche à libérer ceux encore prisonniers.

Il est dit que cela sera difficile, qu’il faut totalement se déconnecter du « faux » monde pour y arriver, etc. C’est littéralement un guide initiatique, une allégorie.

Buste de Platon. Marbre, copie romaine d’un original grec du dernier quart du 4 siècle avant notre ère

Voici, pour avoir un aperçu plus approfondi, le texte de Platon lui-même, qu’on retrouve au livre VII de La République, une œuvre idéaliste, ultra-réactionnaire, à prétention élitiste.

« Maintenant, repris-je, pour avoir une idée de la conduite de l’homme par rapport à la science et à l’ignorance, figure-toi la situation que je vais te décrire.

Imagine un antre souterrain, très ouvert dans toute sa profondeur du côté de la lumière du jour ; et dans cet antre des hommes retenus, depuis leur enfance, par des chaînes qui leur assujettissent tellement les jambes et le cou, qu’ils ne peuvent ni changer de place ni tourner la tête, et ne voient que ce qu’ils ont en face.

La lumière leur vient d’un feu allumé à une certaine distance en haut derrière eux. Entre ce feu et les captifs s’élève un chemin, le long duquel imagine un petit mur semblable à ces cloisons que les charlatans mettent entre eux et les spectateurs, et au-dessus desquelles apparaissent les merveilles qu’ils montrent.

– Je vois cela.

– Figure-toi encore qu’il passe le long de ce mur, des hommes portant des objets de toute sorte qui paraissent ainsi au-dessus du mur, des figures d’hommes et d’animaux en bois ou en pierre, et de mille formes différentes ; et naturellement parmi ceux qui passent, les uns se parlent entre eux, d’autres ne disent rien.

– Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers.

– Voilà pourtant ce que nous sommes. Et d’abord, crois-tu que dans cette situation ils verront autre chose d’eux-mêmes et de ceux qui sont à leurs côtés, que les ombres qui vont se retracer, à la lueur du feu, sur le côté de la caverne exposé à leurs regards ?

– Non, puisqu’ils sont forcés de rester toute leur vie la tête immobile.

– Et les objets qui passent derrière eux, de même aussi n’en verront-ils pas seulement l’ombre ?

– Sans contredit.

– Or, s’ils pouvaient converser ensemble, ne crois-tu pas qu’ils s’aviseraient de désigner comme les choses mêmes les ombres qu’ils voient passer ?

– Nécessairement.

– Et, si la prison avait un écho, toutes les fois qu’un des passants viendrait à parler, ne s’imagineraient-ils pas entendre parler l’ombre même qui passe sous leurs yeux ?

Oui.

– Enfin, ces captifs n’attribueront absolument de réalité qu’aux ombres.

– Cela est inévitable.

– Supposons maintenant qu’on les délivre de leurs chaînes et qu’on les guérisse de leur erreur : vois ce qui résulterait naturellement de la situation nouvelle où nous allons les placer.

Qu’on détache un de ces captifs ; qu’on le force sur-le-champ de se lever, de tourner la tête, de marcher et de regarder du côté de la lumière : il ne pourra faire tout cela sans souffrir, et l’éblouissement l’empêchera de discerner les objets dont il voyait auparavant les ombres.

Je te demande ce qu’il pourra dire, si quelqu’un vient lui déclarer que jusqu’alors il n’a vu que des fantômes ; qu’à présent plus près de la réalité, et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ; si enfin, lui montrant chaque objet à mesure qu’il passe, on l’oblige, à force de questions, à dire ce que c’est ; ne penses-tu pas qu’il sera fort embarrassé, et que ce qu’il voyait auparavant lui paraîtra plus vrai que ce qu’on lui montre ?

– Sans doute.

Et si on le contraint de regarder le feu, sa vue n’en sera-t-elle pas blessée ? N’en détournera-t-il pas les regards pour les porter sur ces ombres qu’il considère sans effort ? Ne jugera-t-il pas que ces ombres sont réellement plus visibles que les objets qu’on lui montre ?

– Assurément.

– Si maintenant on l’arrache de sa caverne malgré lui, et qu’on le traîne, par le sentier rude et escarpé, jusqu’à la clarté du soleil, cette violence n’excitera-t-elle pas ses plaintes et sa colère ?

Et lorsqu’il sera parvenu au grand jour, accablé de sa splendeur, pourra-t-il distinguer aucun des objets que nous appelons des êtres réels ?

– Il ne le pourra pas d’abord.

– Ce n’est que peu à peu que ses yeux pourront s’accoutumer à cette région supérieure.

Ce qu’il discernera plus facilement, ce sera d’abord les ombres, puis les images des hommes et des autres objets qui se peignent sur la surface des eaux, ensuite les objets eux-mêmes.

De là il portera ses regards vers le ciel, dont il soutiendra plus facilement la vue, quand il contemplera pendant la nuit la lune et les étoiles, qu’il ne pourrait le faire, pendant que le soleil éclaire l’horizon.

– Je le crois.

– A la fin il pourra, je pense, non-seulement voir le soleil dans les eaux et partout où son image se réfléchit, mais le contempler en lui-même à sa véritable place. Certainement.

Après cela, se mettant à raisonner, il en viendra à conclure que c’est le soleil qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui est en quelque sorte le principe de tout ce que nos gens voyaient là-bas dans la caverne.

Il est évident que c’est par tous ces degrés qu’il arrivera à cette conclusion.

Se rappelant, alors sa première demeure et ce qu’on y appelait sagesse et ses compagnons de captivité, ne se trouvera-t-il pas heureux de son changement et ne plaindra-t-il pas les autres ?

– Tout-à-fait.

– Et s’il y avait là-bas des honneurs, des éloges, des récompenses publiques établies entre eux pour celui qui observe le mieux les ombres à leur passage, qui se rappelle le mieux en quel ordre elles ont coutume de précéder, de suivre ou de paraître ensemble, et qui par là est le plus habile à deviner leur apparition ; penses-tu que l’homme dont nous parlons fût encore bien jaloux de ces distinctions, et qu’il portât envie à ceux qui sont les plus honorés et les plus puissants dans ce souterrain ?

Ou bien ne sera-t-il pas comme le héros d’Homère, et ne préfèrera-t-il pas mille fois n’être qu’un valet de charrue, au service d’un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à sa première illusion et de vivre comme il vivait ?

– Je ne doute pas qu’il ne soit disposé à tout souffrir plutôt que de vivre de la sorte.

– Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et qu’il aille s’asseoir à son ancienne place; dans ce passage subit du grand jour à l’obscurité, ses yeux ne seront-ils pas comme aveuglés ?

– Oui vraiment.

– Et si tandis que sa vue est encore confuse, et avant que ses yeux se soient remis et accoutumés à l’obscurité, ce qui demande un temps assez long, il lui faut donner son avis sur ces ombres et entrer en dispute à ce sujet avec ses compagnons qui n’ont pas quitté leurs chaînes, n’apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens ?

Ne diront-ils pas que pour être monté là-haut, il a perdu la vue ; que ce n’est pas la peine d’essayer de sortir du lieu où ils sont, et que si quelqu’un s’avise de vouloir les en tirer et les conduire en haut, il faut le saisir et le tuer, s’il est possible.

– Cela est fort probable.

– Voilà précisément, cher Glaucon, l’image de notre condition.

L’antre souterrain, c’est ce monde visible : le feu qui l’éclaire, c’est la lumière du soleil : ce captif qui monte à la région supérieure et la contemple, c’est l’âme qui s’élève dans l’espace intelligible. Voilà du moins quelle est ma pensée, puisque tu veux la savoir : Dieu sait si elle est vraie.

Quant à moi, la chose me paraît telle que je vais dire.

Aux dernières limites du monde intellectuel, est l’idée du bien qu’on aperçoit avec peine, mais qu’on ne peut apercevoir sans conclure qu’elle est la cause de tout ce qu’il y a de beau et de bon ; que dans le monde visible, elle produit la lumière et l’astre de qui elle vient directement ; que dans le monde invisible, c’est elle qui produit directement la vérité et l’intelligence ; qu’il faut enfin avoir les yeux sur cette idée pour se conduire avec sagesse dans la vie privée ou publique. »

La caverne, c’est en fait l’infra-monde, et l’allégorie de la caverne présente comment on est surtout prisonnier de l’infra-monde. Il faut mettre cela en parallèle avec le discours de Socrate lorsqu’il accepte de boire le poison lorsqu’il est condamné, qu’il explique que le monde réel est ailleurs.

On est déjà dans la tendance qui fait passer de l’esprit à l’âme, de la psychologie brute relative au traumatisme de la condition humaine à la psychologie raffinée d’une humanité déjà en place.

Autrement dit, le chamanisme est lié à une humanité anxieuse, le monothéisme à une humanité angoissée.

Ce que dit donc l’allégorie de la caverne, c’est que les esprits sont attirés vers l’infra-monde, vers la dépression, qu’en définitive ils restent liés à cela. Par conséquent, il faut supprimer le monde matériel, car c’est lui qui nous « plombe ».

C’est étonnant, car on pourrait penser que c’est l’âme qui plombe l’humanité, dans la mesure où les choses vécues sont comprises. Sauf que c’est justement là le terrain de la naissance de la philosophie.

Ce qu’on appelle philosophie, l’amour de la sagesse, c’est le travail de la conscience sur elle-même pour prendre les choses avec distance, pour mesurer ce qui se passe. C’est le pendant de la religion : la religion soigne, elle a une fonction thérapeutique, la philosophie a une démarche intellectuelle et éducative.

Naturellement, les deux sont liés. Et ici, si on sait que le texte de Platon qu’on lit était un texte à vocation allégorique, dont le sens réel n’est pas montré, car relevant d’une initiation à côté de manière secrète… Alors on peut comprendre que ce qui est enseigné par Platon, c’est une manière pour arracher l’âme à la pesanteur menant à l’infra-monde.

Il faut ici, pour conclure, rappeler que la Grèce n’était pas tant « européenne » qu’orientale, que Platon a toujours souligné que les réelles connaissances venaient de l’Orient, de l’Égypte notamment, mais également de l’Inde.

Et en Inde justement, la fonction thérapeutique psychonaute des religions est ouvertement assumé. L’hindouisme et le bouddhisme prétendent soigner l’âme, stopper l’affrontement du ciel et de l’enfer, de la lumière et de l’obscurité, en insistant entièrement sur la question du mental.

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