Le Xe congrès du Parti Communiste Français se tient à Paris du 26 au 30 juin 1945 ; il est présenté comme le « congrès de la Renaissance française » et l’atmosphère est triomphaliste.
L’idée est qu’il va y avoir une vague « républicaine » ; le Parti Communiste Français représente une nouvelle légitimité et lui-même va se dépasser dans la perspective républicaine.
Le Xe congrès s’oriente ainsi autour de trois axes : « produire », « renouveler la démocratie par la Constituante », « former le Parti ouvrier français comme fondement de l’union de tous les républicains ».
Cela implique de reconnaître l’économie capitaliste, puisqu’il faut « produire ». Ici, l’existence des nationalisations dans le cadre du programme de la résistance est censée changer la nature de l’économie, aux yeux du Parti Communiste Français et justifier un tel mot d’ordre.
Cela implique de reconnaître le régime comme une « démocratie », qui doit être améliorée ou renouvelée. En tout cas, il ne s’agit pas de lutter les armes à la main pour renverser les institutions.
Cela implique une liquidation des fondements même du Parti, puisqu’il faut passer au « Parti Ouvrier Français » et même à un parti plus large encore, « républicain », si c’est possible.
Voici les propos extraits de l’intervention de Maurice Thorez au congrès.
« Le sabotage des patrons défaitistes rejoignait l’incapacité et l’imprévoyance d’un état-major routinier.
En dépit de tant d’avertissements, le grand état-major français ne croyait pas à la guerre des moteurs. Il s’en tenait aux conceptions périmées de la guerre de position, telle qu’elle s’était déroulée de 1914 à 1918 (…).
Nombre de grands chefs militaires et d’officiers supérieurs étaient hostiles au peuple et à la République.
C’est chez eux que la Cagoule recruta ses premiers adhérents : le général Dusseigneur, le colonel Groussard, le commandant Lacanau-Loustau, de l’état-major de Pétain.
En 1937, les cagoulards comptaient, à Paris seulement, six à sept mille hommes, armés par Hitler et Mussolini, groupés en brigades, régiments et bataillons avec un état-major à quatre bureaux.
Les cagoulards se livrèrent à de nombreux assassinats, à des provocations criminelles comme celle de la rue de Presbourg [à Paris], où ils firent sauter un immeuble patronal pour accuser de ce crime les militants ouvriers (…).
Jusque dans les rangs de la classe ouvrière, des hommes comme Paul Faure, secrétaire général du Parti socialiste [aux côtés de Léon Blum, et ayant rallié Vichy], et [René] Belin, secrétait général [en fait en pratique le numéro 2] de la CGT [qui devint ministre du Travail de Vichy, rédigea la charte du travail, devint un des acteurs anticommunistes liés à la CIA par la suite], accomplissaient une abominable besogne de division des forces ouvrières, au profit de Hitler.
Ils minaient le Front populaire. Ils contribuaient à la désagrégation des forces nationales. Ils professaient un pacifisme pleurnichard et réactionnaire qui tendait à désarmer idéologiquement et matériellement notre classe ouvrière, notre peuple, en face d’un ennemi armé jusqu’aux dents et guettant l’heure favorable pour bondir sur la France comme sur une proie facile (…).
Les Allemands avaient prétendu nous effrayer, nous terroriser et briser dans l’œuf l’organisation naissante des Francs-Tireurs et Partisans. Le peuple de France riposta en décuplant son effort de lutte. Les détachements de patriotes armés devinrent toujours plus nombreux, plus hardis.
Certains, cédant à la menace de l’ennemi, avaient dit à la radio : « Ne tuez plus d’Allemands ». Le peuple répondit : « Tuons-en davantage. Vengeons les martyrs. Mort aux envahisseurs. Mort aux traîtres ! ».
Et les trains allemands déraillèrent ; et les bombes éclatèrent dans les locaux allemands ; et les Francs-Tireurs et Partisans tendirent leurs embuscades, attaquèrent à la grenade et à la mitraillette les détachements hitlériens (…).
Camarades, le patriotisme des masses populaires a fait échec à la trahison des trusts. La France compte au rang des nations victorieuses.
Mais notre pays a terriblement souffert (…). Il ne faut pas se le dissimuler : la grandeur de la France est à refaire (…).
Dix mois après la libération, le tableau de notre situation économique est plutôt sombre et décevant, et les perspectives proches sont loin d’être brillantes (…).
Partout, incurie, malveillance, sabotage. Le péril est extrême. Il semble que l’on se trouve en présence d’un plan concerté.
Un même plan de ruine, mis à exécution par les mêmes gens et les mêmes groupements qui avaient conduit le pays à la défaite et à l’invasion.
Le ministre de l’Économie ne l’a-t-il pas reconnu, lorsqu’il évoqua en termes fleuris la « rétention de la production » ? Les 200 familles, plutôt que de se laisser limiter leurs privilèges, n’hésitent pas à saboter la reprise économique, à désorganiser, à ruiner nos faibles possibilités de production.
Les trusts poussent la France à l’abîme (…).
La première condition du redressement de la France, c’est la liquidation totale de Vichy, de l’esprit de Vichy, des méthodes de Vichy, des institutions de Vichy.
C’est la suppression de toute cette bureaucratie qui a la prétention de tout diriger, de tout réglementer, de fixer arbitrairement les prix et les salaires, de pratiquer ce qu’on appelle pompeusement l’économie dirigée (…).
La démocratie a vaincu le fascisme. Dans cette bataille gigantesque, où se décidait le sort de la civilisation et de l’humanité, la démocratie s’est avérée supérieure au fascisme et dans tous les domaines : militaire, économique, politique et moral (…).
La démocratie est une création continue. Déjà, à l’époque du Front populaire, nos assemblées, nos congrès soulignaient que les républicains unis rendaient toute sa valeur au beau mot République (…).
Le Parti a connu un grand succès aux dernières élections municipales. En moyenne, un Français ou une Française sur quatre a voté pour les listes présentées ou soutenues par notre Parti communiste.
À Paris, la proportion est d’un sur trois. Dans la banlieue parisienne, les listes communistes ou soutenues par les communistes ont obtenu dès le premier tour près de 60 % des suffrages exprimés. Nos militants administrent 60 des 80 communes du département de la Seine.
Pour la première fois, des villes de plus de 100 000 habitants (Nantes, Reims, Toulon) ont un maire communiste. De même pour une dizaine de préfectures (dont Limoges, Nîmes, Périgueux, Ajaccio, Tarbes) et une vingtaine de sous-préfectures.
La statistique officielle a dû reconnaître que nous étions devenus le premier parti dans l’administration des villes de plus de 4 000 habitants (…).
Idéologiquement, l’arme incomparable du matérialisme dialectique, du marxisme-léninisme, nous a permis de faire exactement le point dans les situations compliquées, de prévoir le déroulement probable des événements, de déterminer en conséquence une politique juste, de formuler des mots d’ordre justes, appropriés aux conditions, aux circonstances du moment, mais tenant compte, chaque fois, des intérêts d’avenir de la classe ouvrière et du peuple de France (…).
Nous devons être partout à la hauteur de nos responsabilités devant le Parti et devant le pays. Pour parler très clairement, si nos militants étaient avant guerre d’excellents propagandistes, s’ils ont été pendant la guerre les organisateurs et les chefs intrépides des groupes de combat contre les Allemands et leurs complices vichyssois, ils doivent maintenant devenir des hommes politiques, les organisateurs et les guides des grandes masses populaires.
Selon le mot de Lénine, nous devons maintenant compter par millions (…).
Quelles considérations doivent nous guider dans le choix des cadres ?
1. Le dévouement le plus absolu à la cause des travailleurs, à la cause du peuple de France, la fidélité au Parti, dévouement et fidélité vérifiés dans le combat, dans les épreuves ;
2. La liaison la plus étroite avec les masses. Pas de doctrinaires pédants, mais des chefs populaires, connaissant bien les masses, et connus d’elles ;
3. L’esprit d’initiative et de responsabilité, la capacité de s’orienter rapidement et de prendre soi-même une décision dans toutes les situations ;
4. L’esprit de discipline, la fermeté du communiste aussi bien dans la lutte contre les ennemis du peuple que dans l’intransigeance à l’égard de toutes les déviations du marxisme-léninisme, et dans l’application résolue de toutes les décisions prises par les organismes réguliers du Parti (…).
Par exemple, quelles sont nos tâches dans l’immédiat. Les voici :
1. Hâter la reconstruction, développer la production ;
2.Élire l’Assemblée nationale souveraine, qui donnera à la France sa nouvelle Constitution ;
3. Constituer avec nos frères socialistes le grand Parti ouvrier français (…).
Notre conclusion, c’est que, tous ensemble, Français et Françaises, nous devons nous atteler résolument à la tâche, tous ensemble et sans tarder, nous devons entreprendre un effort tenace et prolongé, afin de :
Relever notre économie nationale ;
Produire et rétablir nos échanges avec l’extérieur ;
Acheter et vendre ;
c’est-à-dire :
Refaire effectivement la grandeur de la France ;
Assurer les conditions matérielles de son indépendance ;
Et, pour mener à bien l’œuvre immense de reconstruction économique et de rénovation politique, morale et intellectuelle, nous devons, tous ensemble, Français et Françaises :
Abattre à jamais la puissance des trusts ;
Frapper impitoyablement les traîtres ;
Liquider le vichysme, le pétainisme ;
Consacrer dans nos prochaines institutions le triomphe de la démocratie.
Unir, combattre et travailler. Voilà qui demeure notre loi, la loi pour tous les Français, pour toutes les Françaises.
Unis dans le culte de nos morts glorieux et dans l’amour de notre pays, nous combattrons et nous vaincrons les forces obscures de la réaction, obstacle au progrès et au bonheur, nous travaillerons et nous parviendrons à faire une France démocratique et indépendante, une France libre, forte et heureuse.
Vive le Parti communiste français !
Vive la France !
Vive la République ! »
Le Xe congrès du Parti Communiste Français se termine sur un Manifeste à la nation. Il est dit clairement que le programme, c’est le programme du Conseil National de la Résistance.
« Pour que l’effort de production remporte un plein succès, il est indispensable que ceux qui travaillent mangent à leur faim.
Pour cela, il faut gagner la bataille du ravitaillement, payer des salaires et des traitements suffisants, revaloriser les prix des produits agricoles, augmenter la retraite des vieux travailleurs en l’étendant aux vieux paysans, artisans et petits commerçants, établir une fiscalité équitable et confisquer les biens des traîtres.
Il est non moins indispensable que l’épuration soit faite résolument dans toutes les branches de l’économie et dans la haute administration. Il est indispensable que soient balayées toutes les institutions odieuses de Vichy, tous les vestiges du fascisme.
Il est indispensable que les traîtres, à commencer par Pétain, soient rapidement et implacablement châtiés. Il faut enfin que, très vite, les grands moyens de production et d’échange, les monopoles de fait retournent à la nation, que soient supprimés les trusts sans patrie, traîtres à la France.
Il faut, en un mot, que soit appliqué le programme du Conseil National de la Résistance. »
Le Parti Communiste Français a enfin réussi à être accepté dans le paysage politique français. Mais cela implique sa propre acceptation de la « France républicaine ».
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Le Parti Communiste Français
de la lutte armée à l’acceptation