Le XXIe siècle comme déploiement révolutionnaire de l’unité dialectique bourgeoisie / prolétariat

Lorsque l’on prend du recul, on comprend qu’il a été plus aisé d’assumer la « révolution sociale » au cours du XIXe siècle et au XXe siècle jusqu’aux années 1960, car l’unité dialectique bourgeoisie/prolétariat n’était en fait pas pleinement réalisée. On a ce phénomène historique qui apparaît de manière étrange : le socialisme émerge comme cause prolétarienne contre le capitalisme de la bourgeoisie, alors même que leur mise en relation dialectique n’est pas encore achevée. Comment cela est-il possible ? Quel est le sens de tout cela ?

Il faut avoir en tête que la prise de conscience de la révolution sociale ne fut pas simplement le fruit du prolétariat, mais aussi du rapport entre le prolétariat et sa base historique en cours de dissolution, à savoir les classes corporatives d’ancien régime – production paysanne familiale, artisans, ouvriers domestiques, etc. Il y a une triple relation entre la bourgeoisie, le prolétariat et la paysannerie, trois dimensions sociales formant des contradictions dont les aspects forment des moteurs différenciés (« principal », « secondaire », etc.) du mouvement historique.

La paysannerie en cours de prolétarisation exprime cette mise en forme de l’unité dialectique bourgeoisie/prolétariat, tout en appuyant principalement sur l’aspect d’être opposé à la bourgeoisie, car elle en subit négativement la domination, au sens où elle disparaît dans le prolétariat. Dans le creux du processus, il est plus aisé pour le prolétariat naissant de « prendre conscience » des modalités de l’accumulation capitaliste car celle-ci, par nature chaotique et désordonnée, produit le paupérisme absolu.

Les images connues de l’« exode rural » en sont l’illustration historique et cela formera une hantise pour la bourgeoisie elle-même, générant même ce qu’il a été appelé « la question sociale ». Avoir des centaines de milliers de paysans en décadence qui deviennent des prolétaires, sans perspectives de logement stable, confrontés à une discipline d’usine auparavant inconnue… le tout dans un contexte de forces productives n’ayant pas encore atteint le niveau de l’« abondance », forme le terrain pour la conscience du socialisme, du moins dans sa version utopique.

Et ce qu’il faut constater, c’est que dans ce processus, la « révolution sociale » apparaît surtout comme la capacité de la paysannerie d’entrer dans le prolétariat de manière stable, sans les conséquences anti-sociales générées par les modalités capitalistes. Plus généralement, il s’agit d’établir un rapport de développement harmonieux entre la ville et la campagne, mot d’ordre qui sera encore celui de contestataires de Mai-68 en dehors de Paris (« vivre et travailler aux pays »).

Dans cette période 1860-1960, lever le drapeau rouge correspond à aller vers le futur sur la base d’une stabilité paysanne en cours de dissolution pour aller vers une nouvelle stabilité, un nouvel ordre, prolétarien, socialiste.

C’est ainsi qu’il faut comprendre les expériences socialistes du XXe siècle : transformer la paysannerie issue du féodalisme en force prolétarienne de manière coordonnée, stable, planifiée, pour aller ensuite vers le communisme. Cette perspective a, comme on le sait, pleinement réussi, et c’est la seconde étape qui s’est heurté à ses propres contradictions qui n’ont pas été correctement saisies, faisant basculer le processus dans le révisionnisme, puis la restauration capitaliste.

Entre 1860-1960, on assistait en réalité à la naissance du prolétariat, devenu pleinement prolétariat car mis en forme par la bourgeoisie. C’est ce que Karl Marx a voulu expliquer avec le concept de « subsomption réelle », base à l’idée du « mode de production capitaliste sui generis » ou « réellement capitaliste ».

La subsomption réelle de la force de travail, c’est la contradiction bourgeoisie/prolétariat qui peut exprimer son propre mouvement, sur sa propre base. Dit autrement, la contradiction bourgeoisie/prolétariat n’est plus reliée à d’autres étagements des contradictions historiques, celles mues dans le cadre d’anciens modes de production avec un capitalisme qui formerait seulement une « tendance principale ».

Pour que la contradiction bourgeoisie/prolétariat s’élance sur sa propre base, le mode de production capitaliste se doit d’être entièrement développé à tous les échelons de la société. Karl Marx fournit une clef pour repérer ce moment :

« C’est ainsi que la production capitaliste tend à conquérir toutes les branches d’industrie où elle ne domine pas encore et où ne règne qu’une soumission formelle. Dès qu’elle s’est emparée de l’agriculture, de l’industrie extractive, des principales branches textiles, etc., elle gagne les secteurs où sa soumission est purement formelle, voire où subsistent encore des travailleurs indépendants. »

Le mode de production capitaliste ne devient véritablement lui-même qu’au moment où il s’est emparé entièrement de l’agriculture. Une appropriation non pas formelle donc, comme faire travailler des paysans pour le compte du capital, mais réelle : c’est ce qu’on appelle l’industrie agroalimentaire, c’est-à-dire la mise en forme de bout en bout par le capital de la production agricole.

On remarquera encore une fois ici comment le socialisme au XXe siècle a été la réponse positive, rationnelle, à cette problématique de l’industrialisation de l’agriculture.

À partir de ce phénomène, on ne peut que constater que le mode de production capitaliste s’installe définitivement dans un pays comme la France dans la seconde partie du XXe siècle : ce n’est qu’à partir de cette période, soit les années 1970-1980 que l’on peut affirmer que la contradiction bourgeoisie/prolétariat peut s’élancer sur la base de son propre mouvement dialectique.

Dans la période 1860-1960, le prolétariat se mouvait parce qu’il naissait sur le terrain de l’enchevêtrement de contradictions multi-faces issues de la dissolution de l’ancienne contradiction féodale.

Ce mouvement a généré des acquis idéologiques qui se sont frayés en chemin jusqu’à aujourd’hui, mais qui forment aujourd’hui une page qui se doit d’être tournée, sans pour autant nier le fait qu’elle fait partie du livre du socialisme et constitue en tant que tel un héritage.

D’où l’affirmation du Parti matérialiste dialectique comme prise de conscience que le mouvement prolétarien au XXIe siècle se réalise sur la base des contradictions multi-faces déterminées de bout en bout par son rapport à la société de consommation issue du mode de production réellement capitaliste.

Ainsi, en apparence, dans les sociétés capitalistes développées, le prolétariat n’existerait plus. Ce serait une simple expression de type « classe moyenne » marquée par l’individualisme et l’accès au confort moderne. Cette thèse est le masque d’une bourgeoisie qui vise à appuyer sur le caractère unitaire de la contradiction, pour en faire un absolu et ainsi figer le mouvement une bonne fois pour toutes.

En réalité, on a l’expression aiguisée de la contradiction bourgeoisie/prolétariat, avec un prolétariat qui est mis en forme, entièrement subsumé par la bourgeoisie. C’est l’aspect unitaire, de la liaison des deux pôles de la contradiction. La généralisation de la conscience petite-bourgeoise dans le prolétariat forme l’apogée de ce caractère unitaire.

Et en même temps, c’est parce qu’il y a subsomption réelle que le prolétariat peut faire la révolution comme pôle opposé de l’unité : la bourgeoisie se doit d’assurer la survie de son édifice social pour que le prolétariat suive la bourgeoisie dans son mode de vie voiture-pavillon-consommation sans risquer de décrocher de son hégémonie.

Cependant, il y a l’endettement colossal des capitalismes mondiaux et les conséquences anti-naturelles de sa société de consommation. Et cela se déroule sur fond du déploiement d’une nouvelle guerre de repartage impérialiste forment les trois dimensions tangibles à l’effondrement de l’édifice bourgeois avec pour revers nécessaire le décrochage du prolétariat.

La seconde crise générale du capitalisme ouvert par la pandémie de Covid-19 a inscrit à l’ordre du jour cette perspective, qui va s’exprimer sur le temps long, tout comme la première vague de la révolution mondiale s’est étendue dialectiquement sur la période 1860-1960.

L’ancienne période issue de la première crise générale, qui a mis en avant le caractère opposé de l’unité dialectique de part le rapport paysannerie/prolétariat, a buté sur l’aspect de la liaison avec la bourgeoisie au seuil des années 1960. Cela a été la question de l’orientation des forces productives pour aller vers le communisme, alors portée par les communistes chinois face au révisionnisme soviétique.

Le XXIe siècle, marquée par la seconde crise générale, ouvre par contre la voie de la victoire du prolétariat pour le communisme, car ce qui prime dorénavant est sa liaison entière avec la bourgeoisie au travers de la société de consommation, et par conséquent sa rupture entière et totale avec celle-ci dans le contexte de forces productives baignant dans l’abondance.

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