Dans les Essais sur l’économie politique du capitalisme, Eugen Varga affirme de manière ouverte son soutien au parlementarisme. C’est là tout à fait conforme, dans sa substance même, à la démarche de Nikita Khrouchtchev, mais c’est surtout la conclusion logique du capitalisme monopoliste d’État.
Si l’État est neutre dans sa nature, alors il est possible de s’opposer aux monopoles sur ce terrain même. Les institutions bourgeoises, ayant perdu leur caractère de classe, deviennent elles-mêmes un lieu d’affrontement politique, social.
Ce qui est frappant, c’est que cette thèse n’est pas nouvelle, puisqu’elle est ni plus ni moins la même que celle de la social-démocratie des années 1920-1930. Dans l’opposition aux communistes, la social-démocratie valorisait le terrain présenté comme neutre des institutions, avec les élections, l’appareil d’Etat, les instances administratives, etc.
Il y a donc sans cesse des petits ajouts, des sortes de nuances, pour prétendre que la thèse formulée serait nouvelle et radicalement différente de la social-démocratie. Le principal argument employé est la mobilisation de masse parallèle à la conquête des institutions. Le mouvement de masse serait un levier pour permettre la démocratisation réelle de l’Etat.
Il s’agirait donc de provoquer un mouvement de la base pour forcer les institutions à se plier à la démocratie. Les monopoles seraient par ailleurs tout à fait conscients de cette possibilité, car – il faut le souligner – on a bien la conception d’un capitalisme organisé, d’une bourgeoisie qui serait consciente, maître de ses activités.
Voici comment Eugen Varga présente cette affirmation révisionniste :
« Les rapports entre le capital monopoliste et l’État sont compliqués en raison de la forme parlementaire du gouvernement dans les pays capitalistes monopolistes (sous une dictature bourgeoise du type fasciste, cette complication est ôtée).
L’appareil d’État, dans le sens étroit du terme, c’est-à-dire l’agrégation de fonctionnaires civiles, la machine de coercition, etc., est un corps permanent, alors que la couche dirigeante de l’appareil d’État, le gouvernement et les corps législatifs, changent de manière périodique en conformité avec les résultats des élections parlementaires.
Un changement dans la majorité parlementaire et un changement de gouvernement n’amènent pas nécessairement un changement essentiel dans les rapports entre le capital monopoliste et l’État, même quand le gouvernement est formé par le parti du Labour [britannique] ou, comme en Suède, par les sociaux-démocrates.
Mais cela ne veut pas dire que le système parlementaire, les campagnes des différents partis pour gagner les élections, n’auraient pas de sens. Si les monopoles avaient les choses comme ils l’entendaient, il y aurait toujours un gouvernement conservateur en Grande-Bretagne.
Mais les monopoles ne peuvent pas toujours faire comme ils veulent.
Quelle est la raison de cela ? La raison est que dans les pays capitalistes monopolistes d’État, la majorité de la population, et donc des électeurs, est formée des ouvriers d’usines et de bureaux, et de fonctionnaires civils.
Les partis bourgeois et le gouvernement doit prendre cela en compte, c’est pourquoi ils camouflent et nient la domination capitaliste monopoliste. »
Eugen Varga profite de la complexité de la compréhension des rapports de force entre fractions bourgeoises au sein de l’État pour donner une définition de ce dernier correspondant à une sorte de « terrain neutre ».
Au lieu de dire que les partis représentent, dans le parlementarisme bourgeois, différentes fractions de la bourgeoisie (ou d’autres couches sociales, guidées relativement par telle ou telle fraction de la bourgeoisie), il prétend que le capitalisme est forcément « de droite » et que l’existence de la gauche correspondrait à un « espace » possible dans l’État lui-même.