Une fois qu’il a évacué l’aspect de l’accumulation capitaliste non monopoliste, Eugen Varga limite toute la perspective au capital monopoliste. Le mode de production capitaliste ne consiste alors plus en l’accumulation du capital, mais en un système monopoliste parasitaire.
La thèse du chômage organique s’appuie sur une lecture unilatérale du capitalisme comme capitalisme centralisé, et inversement. Il s’agit non plus ici simplement d’une observation, mais d’un véritable système en tant que tel.
Eugen Varga l’expose de la manière suivante. Citant Karl Marx, il rappelle le fait que la part variable dans un capital s’abaisse au fur et à mesure qu’il grandit. Cela renforce l’armée industrielle de réserve.
Or, comme le chômage était faible avant 1914 et qu’il est désormais chronique après 1918, cela prouve selon Eugen Varga qu’on a passé un cap. Il résume cela de la manière suivante :
« Au cours des années d’après-guerre, depuis la stabilisation du capitalisme, on assiste à une diminution du nombre des ouvriers occupés par le capital industriel.
La tendance à la constitution d’une armée de réserve industrielle s’est complètement réalisée. L’élimination des ouvriers par les machines n’est plus compensée par l’extension de la production.
C’est là un fait si important que nous devons le prouver minutieusement à l’aide de chiffres et d’arguments. Pour réfuter une objection probable, disons tout de suite qu’il ne s’agit nullement ici d’un phénomène provoqué par le cycle industriel.
Il ne s’agit pas du fait que le nombre des ouvriers occupés dans l’industrie a diminué, parce que le volume de la production a diminué à la suite d’une crise, mais d’un licenciement d’ouvriers dans une période de bonne conjoncture, avec un volume de production accru et dans les pays capitalistes dirigeants. »
Le souci de cette affirmation est donc que la reproduction élargie du capital va de pair avec une prolétarisation. Il y a davantage de capital, donc davantage de prolétaire, même si en même temps un capital déjà lancé met de côté des prolétaires qu’il avait intégrés. C’est un mouvement inégal.
Eugen Varga supprime ce mouvement inégal. Selon lui, le progrès technique et la rationalisation ont donné naissance à un chômage permanent, en cassant le processus de génération de prolétaires.
Il en veut pour preuve que les chiffres de l’économie américaine montreraient qu’il y a bien moins de prolétaires, mais une production supérieure. Il dit que c’est notamment vrai dans la production de pétrole raffiné, de tabac, de viande, mais également partie dans la production d’automobiles, d’électricité, etc.
Il constate aussi que ce fait est renforcé par deux phénomènes, dont on peut penser par ailleurs qu’il les sous-estime fortement :
« Ce chômage est encore aggravé par le fait de l’augmentation naturelle du nombre des forces de travail et par l’immigration. »
Eugen Varga précise également que les petits producteurs artisanaux et paysans américains échappant au capitalisme ont été intégrés, au point que « le développement factuel aux États-Unis se rapproche ainsi de l’image d’un capitalisme pur », avec pratiquement seulement les deux classes, prolétariat et bourgeoisie, qui se font face, sans couches sociales intermédiaires comme la petite-bourgeoisie.
On arrive alors à la conclusion logique. Puisque le capitalisme a atteint son point limite et ne peut plus embaucher, alors le processus de pressurisation ne peut que continuer de manière unilatérale, donc les ouvriers pourront toujours moins consommer, donc la surproduction de marchandises sera toujours plus énorme.
Rappelons ici que selon lui l’apparition de l’URSS, l’effondrement de l’Europe centrale et de l’Est, la stagnation de l’Europe occidentale, font que les productions américaine et japonaise ne peuvent plus trouver de débouchés.
Ce qui signifie qu’au sens strict, le capitalisme a fait le tour, et ne trouvant plus de moyen de s’élargir, il pourrit sur pied puisque son auto-élargissement est dans sa nature. Eugen Varga dit ainsi :
« Ce progrès technique ayant effectué un saut ne trouve par là pas de possibilité correspondante d’élargissement du marché intérieur, etc. Il en ressort un chômage structurel, qui n’est pas une apparition conjoncturelle, mais révèle un chômage d’un type spécifique pour la période actuelle de déclin du capitalisme. »
Le « capitalisme pur » américain correspond ainsi à une situation radicalement nouvelle :
« Nous constatons donc une diminution des forces de travail créatrices de plus-value au service du capital industriel d’environ 1.500.000 personnes, et une augmentation des forces de travail dans la sphère de la circulation et dans différentes branches d’activité d’environ 4 millions de personnes.
Naturellement, la capacité d’absorption de la sphère de circulation est limitée, et tout ce développement est anormal.
La rationalisation du commerce et de toutes les branches d’activité administratives tend également à une réduction des forces de travail.
La contradiction entre le progrès technique, l’accroissement formidable de la richesse sociale et l’augmentation considérable du chômage chronique, constituent le principal élément d’instabilité au sein du capitalisme le plus stable, dont l’importance sociale est formidable. »
La domination complète, totale, du capitalisme monopoliste, aboutirait donc à se confronter à un mur dans la valorisation du capital, et par conséquent tout se ratatine dans le mode de production capitaliste.
Les monopoles n’apparaissent plus que comme des formes parasitaires au milieu d’une vaste richesse sociale.