La question du chômage organique, tel que celui-ci est défini par Eugen Varga dans L’Économie de la période de déclin du capitalisme après la stabilisation avant le sixième congrès de l’Internationale Communiste, puis lors du congrès lui-même, se voulait une nouveauté théorique. En fait, Eugen Varga passait alors d’une constatation d’un capitalisme déformé, en crise tellement profonde qu’elle est une crise générale, à celle d’un capitalisme en crise comme système en tant que tel, qui connaîtrait une vie réellement prolongée.
Chez lui, la crise générale prend une nature continue, elle devient la normalité ; cette tendance à voir les choses ainsi va être de plus en plus prononcée chez lui, jusqu’à prendre le dessus. On est ici cependant seulement dans le démarrage de ce positionnement, même si l’approche générale laissait déjà un espace pour cela.
L’affirmation d’un chômage organique est un vrai problème en soi ; cette thèse implique que le capitalisme serait capable de s’adapter, de s’organiser, de prolonger son existence en remettant en cause ses propres lois.
Ce qui a l’air d’une simple thèse ou d’une simple « constatation » entraîne en fait la liquidation pure du marxisme. Dans Le capital, Karl Marx expose en effet que le mode de production capitaliste implique une accumulation de capital et donc un accroissement du prolétariat. Le capital ne grandit en effet qu’en tirant de la plus-value du prolétariat. Sans prolétariat, pas de plus-value.
Dans Le capital, Karl Marx explique donc que :
« De même que la reproduction simple ramène constamment le même rapport social – capitalisme et salariat – ainsi l’accumulation ne fait que reproduire ce rapport sur une échelle également progressive, avec plus de capitalistes (ou de gros capitalistes) d’un côté, plus de salariés de l’autre.
La reproduction du capital renferme celle de son grand instrument de mise en valeur, la force de travail. Accumulation de capital est donc en même temps accroissement du prolétariat. »
Or, il existe un phénomène de centralisation du capital. Comme Karl Marx le remarque par exemple, les capitaux nécessaires pour la formation des chemins de fer étaient tellement vastes que cela aurait pris éminemment plus de temps s’il fallait attendre qu’un capital individuel atteigne une telle dimension.
Cette centralisation va de pair avec la mise de côté de prolétaires, afin de limiter les coûts de production, c’est du moins ce que pensent les capitalistes, qui ne voient pas que l’accumulation capitaliste s’appuie sur le fait d’arracher de la plus-value aux prolétaires. Cela provoque le chômage.
Mais cette centralisation du capital n’est pas unilatérale. Elle a comme pendant la multiplication du capital, l’émergence de capitaux nouveaux. Karl Marx expose cela ainsi :
« L’accumulation du capital social résulte non seulement de l’agrandissement des capitaux individuels, mais encore de l’accroissement de leur nombre, soit que des valeurs dormantes se convertissent en capitaux, soit que des boutures d’anciens capitaux s’en détachent pour prendre racine indépendamment de leur souche.
Enfin de gros capitaux lentement accumulés se fractionnent à un moment donné en plusieurs capitaux distincts, par exemple à l’occasion d’un partage de succession chez des familles capitalistes.
La concentration est ainsi traversée et par la formation de nouveaux capitaux et par la division d’anciens.
Le mouvement de l’accumulation sociale présente donc, d’un côté, une concentration croissante, entre les mains d’entrepreneurs privés, des éléments reproductifs de la richesse, et de l’autre, la dispersion et la multiplication des foyers d’accumulation et de concentration relatifs, qui se repoussent mutuellement de leurs orbites particulières. »
C’est très exactement cette dimension que rate Eugen Varga, qui perd totalement de vue le processus d’accumulation du capital. Il ne voit plus que le capitalisme monopoliste et il ne prend donc pas en considération le mouvement général du capital.
Cette interprétation est en fait celle de Rosa Luxembourg : comme elle, il ne croit finalement pas en l’accumulation du capital dans un cadre capitaliste.