Eugen Varga formule également dans les Essais sur l’économie politique du capitalisme une thèse absolument essentielle au révisionnisme de Khrouchtchev. Il remet ouvertement en cause la thèse selon laquelle les luttes de libération nationale auraient besoin d’être dirigées par la classe ouvrière guidée par son Parti Communiste. Cette thèse serait « contraire aux faits ».
Eugen Varga reconnaît que les pays ayant gagné leur indépendance n’ont pas réalisé de réforme agraire, qu’ils ne parviennent pas à se confronter réellement au féodalisme.
Cependant, ils sont réellement indépendants. La Turquie, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie, l’Égypte, etc., seraient, on l’a compris, à considérer comme des États nationaux et non des semi-colonies.
Il dit, remettant en cause les 2e et 6e congrès de l’Internationale Communiste, que :
« Les événements suivant la [Seconde] guerre [mondiale] ont montré que dans les conditions historiques contemporaines caractérisés par l’affaiblissement général des positions impérialistes et la formation d’un système socialiste mondial, qui progresse plus rapidement que le capitalisme, la bourgeoisie dans les colonies et les pays dépendants est souvent à la fois en faveur et capable de conduire le mouvement de libération nationale à la victoire.
Naturellement, lorsque la victoire est faite dans la lutte de libération sous direction bourgeoise, le résultat initial est l’établissement de la souveraineté politique, et pas plus. Une indépendance économique authentique de l’impérialisme ne peut être obtenue que par la voie non-capitaliste de développement.
Les formes prises par le mouvement de libération depuis la secondaire guerre mondiale ont été tellement multiples et ont tellement changé même dans un seul pays, qu’il est impossible de donner une formule précise qui les englobe toutes. »
On est là très exactement aux antipodes de la conception de révolution démocratique et même de démocratie populaire.
La thèse communiste était que, de par les conditions de développement inégal, une bourgeoisie nationale ne peut qu’être placée sous la domination de l’impérialisme. Elle n’est pas en mesure de s’y arracher seule, et une partie d’entre elle peut éventuellement soutenir la révolution démocratique de type anti-féodale et anti-impérialiste.
Mais elle ne peut pas la générer ni la diriger, d’où la thèse maoïste de la bourgeoisie bureaucratique émergeant comme classe dominante après la pseudo indépendance, qui ne pouvait pas réussir sans écrasement de la féodalité comme base pour rompre avec l’impérialisme.
Eugen Varga prend l’option contraire : la bourgeoisie nationale (qu’il appelle « coloniale ») perdrait sa nature faible et réactionnaire grâce à l’existence de l’URSS. Elle jouerait désormais un rôle positif :
« Les événements des années d’après-guerre montrent que dans les nouvelles conditions – la présence du système socialiste mondial, un front anti-impérialiste puissant et un affaiblissement général de la position impérialiste – la bourgeoisie nationale est capable et souhaite de prendre la tête de la lutte de libération nationale et de combattre pour l’indépendance politique (…).
La lutte pour savoir quelle route de développement prendre – la socialiste ou la capitaliste – devient décisive dans la vie des pays nouvellement libres. Cette lutte est souvent inter-reliée à l’orientation politique extérieure de ces pays par rapport au monde capitaliste ou socialiste. »
Il va de soi que cette formulation correspond très exactement aux besoins de l’URSS se posant comme force hégémonique capable de prendre sous son aile d’autres pays en développement ; c’est là une formulation entièrement au service du social-impérialisme soviétique s’affirmant.
Reconnaître la pseudo-indépendance d’une telle bourgeoisie en la présentant comme nationale, c’est en réalité en faire soi-même une bourgeoisie bureaucratique et transformer le pays en semi-colonie.