Eugen Varga synthétise concrètement sa conception en s’appuyant sur le principe du déséquilibre.
Auparavant, de par la hausse de la productivité et la croissance du marché mondial, les déséquilibres existant de par la nature chaotique de la production capitaliste finissaient immanquablement par se résorber d’une manière ou d’une autre.
La guerre a renversé la situation, parce qu’elle a amené le capitalisme à épuiser ses propres ressources et à désarticuler le rapport des échanges avec les colonies. La production de matières premières et de biens alimentaires reculent dans ces dernières, ne trouvant plus de débouchés, alors que les pays capitalistes ne parviennent plus non plus à exporter aussi bien qu’avant.
Toute la stabilité présente du capitalisme repose donc de manière essentielle sur ses derniers bastions, là où il n’est pas encore vraiment touché par la crise : le Japon, les États-Unis, ainsi que l’Angleterre, les pays scandinaves et la Suisse. Ces derniers pays maintiennent le cap seulement et la véritable dynamique s’appuie sur les deux premiers.
Le Japon dispose d’une base économique encore très marquée par le féodalisme, mais sa dynamique d’accumulation reste intacte. Il profite de la présence de la Chine arriérée, ainsi que d’un entourage capitaliste encore sain (États-Unis, Canada, Australie).
Les États-Unis, de par la richesse de leur vaste territoire, forment une véritable force agricole, ainsi qu’industrielle, avec une telle capacité que les exportations sont vitales pour s’exprimer pleinement. La situation exige donc une activité effrénée, avec des barrières protectionnistes d’un côté, l’exportation de capital de l’autre : Eugen Varga note que l’Australie est déjà davantage en rapport avec les États-Unis qu’avec l’Angleterre.
Eugen Varga souligne déjà la dimension impérialiste japonaise – aux dépens de la Chine, comme cela sera effectivement bien le cas bientôt de manière ouverte – et l’agressivité américaine.
Il en parle plus longuement dans un article de 1921, où il expliquait que :
« Les États-Unis deviennent graduellement la plus grande force militaire dans le monde, à la fois sur terre et sur mer. Leur programme de construction de navires de guerre est tellement grand que sa mise en place en 1924 amènera une suprématie décisive de la flotte américaine sur les forces navales à la fois de l’Angleterre et du Japon ».
L’article, intitulé La base économique de l’impérialisme des États-Unis d’Amérique, dans la revue 16-17 de l’Internationale Communiste, en 1921, annonce l’inéluctabilité de la guerre du point de vue des intérêts américains :
« Quelles sont les prévisions concernant le futur économique des États-Unis ?
Nous partons du principe que l’apogée de la crise a déjà été atteint, les symptômes de l’amélioration des conditions économiques peuvent être observés. On peut dire avec assurance que, de par la richesse colossale du pays, le capitalisme impérialiste sera en mesure de faire face à la crise.
Mais malgré cette richesse, en dépit de l’efficacité de la politique de chercher en Amérique du Sud et en Chine une compensation pour la perte des marchés européens, la restauration de l’économie publique américaine est impossible si l’effondrement du capitalisme européen continue au rythme actuel.
L’avenir doit de manière inévitable amener à une confrontation entre les trois puissances mondiales – les États-Unis, l’Angleterre et le Japon – une confrontation qui est appelée par les efforts de chacun de ces pays pour acquérir des possessions des éléments encore sains de l’économie publique mondiale.
Cette seconde guerre mondiale appellera avec elle une crise des pays capitalistes similaires à celle qui existe à présent en Europe continentale. »
Ainsi, en 1921-1922, dans le cadre de l’Internationale Communiste, il était déjà souligné ce qui forme un aspect essentiel de la Seconde Guerre mondiale.