L’Édit de Nantes et le renforcement du marché national

L’Édit de Nantes fut le point de départ du rétablissement de l’ordre royal, ce qui signifie pour la population principalement la remise en ordre de l’agriculture, et pour la bourgeoisie la possibilité de produire et de commercer.

Ce rétablissement de l’ordre, à ce moment de l’histoire de France, signifie le renforcement de la base nationale, par le renforcement du marché national s’étant développé et ayant permis à François Ier d’apparaître comme figure historique.

La guerre des religion en France apparaît historiquement non pas comme une crise propre à la féodalité comme ce fut le cas dans les vastes guerres hussites et les luttes de classes immenses qu’elles exprimaient, mais comme une crise de croissance propre à l’émergence de la monarchie absolue.

Henri IV et la famille royale : son épouse Marie de Médicis et ses quatre enfants Louis XIII, Élisabeth, Christine et Monsieur d’Orléans.

Les guerres hussites sont apparues au début du processus d’émergence de la monarchie absolue, les guerres de religion en France à la fin de celui-ci.

La tâche historique d’Henri IV est la remise en place de la base ayant permis les avancées jusqu’à présent, que la guerre de religion, telle une crise de croissance, avait troublées.

L’économie tournait, en effet, au ralenti en raison des guerres de religion, des brigands qui profitaient massivement de la situation, de la peste bubonique notamment dans les villes en Picardie et en Champagne. L’autodéfense paysanne face aux brigands pouvait également se tourner contre l’aristocratie ou le pouvoir royal, s’opposant par la force aux impôts.

L’une des mesures les plus importantes fut une décision de mars 1595 faisant qu’on ne pouvait plus confisquer aux laboureurs endettés la culture, les animaux et les instruments. C’était là une logique relevant d’une conception indéniablement calviniste du travail, une mesure similaire étant préconisée par Jean Calvin.

En 1596, Henri IV décida également l’abandon de la perception des années de tailles échues, ce qui fut répété jusqu’en 1599, alors que la taille annuelle vit son taux s’abaisser.

Henri IV profita ici de l’activité menée par le protestant Barthélemy de Laffemas (1545-1612), auteur d’un mémoire pour dresser les manufactures et ouvrages du royaume, ainsi que de nombreux écrits sur le sujet, dont les titres sont éloquents, comme par exemple :

« Source de plusieurs abus et monopoles qui se sont glissez et coulez sur le peuple de France, depuis trente ans ou environ, à la ruyne de l’Estat, dont il se trouve moyen par un règlement général d’empescher à l’advenir tel abus, présenté au Roy et à nosseigneurs de l’assemblée » (1596)

« Reiglement général pour dresser les manufactures en ce royaume et couper le cours des draps de soye et autres marchandises qui perdent et ruynent l’État. Avec l’extraict de l’advis que MM. de l’Assemblée tenue à Rouen ont baillé à S. M., que l’entrée de toutes sortes de marchandises de soye et laines manufacturées hors ce royaume, soient deffendues en iceluy. Ensemble le moyen de faire les soyes par toute la France » (1597)

« Les Trésors et richesses pour mettre l’Estat en splendeur et monstrer au vray la ruine des François par le trafic et négoce des estrangers » (1598)

« VIIe traicté du commerce, de la vie du loyal marchand, avec la commission du Roy, et bien qu’il faict aux peuples et royaumes » (1601)

« La Façon de faire et semer la graine de meuriers, les eslever en pepinieres, & les replanter aux champs : gouverner & nourrir les vers à soye au Climat de la France, plus facilement que par les memoires de tous ceux qui en ont escript » (1604)

« La Ruine et disette d’argent, qu’ont apporté les draps de soyes en France, avec des raisons que n’ont jamais cogneu les François, pour y remédier » (1608)

Contrôleur général du commerce, Barthélemy de Laffemas organisa la commission du commerce, de 1601 à 1604 et développa le principe de chambres par métiers. Furent également mises en place des manufactures, des verreries, des tissages de toiles et de soieries, afin d’éviter les importations.

Le parcours de Barthélemy de Laffemas est très parlant de la manière dont Henri IV a su s’entourer de gens lui devant tout. Barthélemy de Laffemas vient en effet d’un milieu pauvre : il dut quitter le Dauphiné pour devenir tailleur en Navarre. Le futur Henri IV le prend alors sous son aile et il devient chaussetier des écuries, tailleur-valet de chambre, puis marchand de l’argenterie, Henri IV le tirant d’affaires par la suite avec ses créanciers.

Dans la même perspective de mise en place d’une économie politique propre à la monarchie absolue, il y a l’étude du protestant Olivier de Serres (1539-1619), intitulée Théâtre d’agriculture et ménage des champs, synthèse de plus de mille pages de ses expériences, et divisée en huit parties :

« Du devoir du mesnager, Du labourage des terres, De la culture de la vigne, Du bétail à quatre pieds, De la conduite du poulailler, Du jardinage, De l’eau et du bois, De l’usage des aliments »

Olivier de Serres

Originaire du sud de la France, Olivier de Serres se plaçait en pratique dans la démarche de l’empirisme, du matérialisme. Il fit de sa ferme du Pradel un lieu d’expérimentation afin d’arriver à une ferme modèle, créant notamment un canal d’irrigation d’un kilomètre. Il introduit le houblon, le maïs, la garance. Il tente d’extraire le sucre de la betterave et diffuse des connaissances précises sur la culture des vignobles.

L’ouvrage fut diffusé aux frais du roi lui-même qui poussait des grands marchands à soutenir cette perspective. Il y aura 19 rééditions de l’ouvrage de 1600 à 1675, avant que l’ouvrage ne disparaisse jusqu’à la révolution française en raison du protestantisme de son auteur.

Furent alors tentés l’élevage du mûrier et l’élevage du ver à soie à Paris, Orléans, Tours et Lyon, réussissant au Languedoc et au Dauphiné. 20 000 pieds de mûriers sont plantés aux Tuileries et 10 000 à Saint-Germain-en-Laye, quatre millions de plants sont cultivés en Provence et Languedoc. Henri IV fit même ordonner en 1602 que chaque paroisse possède une pépinière de mûriers et une magnanerie, c’est-à-dire un élevage de vers à soie.

L’objectif était de donner naissance, par en haut, à une industrie de soieries, de draps d’or et d’argent, qui dispose immédiatement d’appuis systématiques, notamment par le statut de monopole dans ce secteur. Dans une même logique, Henri IV entendait créer des compagnies pour les Indes orientales et occidentales.

C’était une offensive tous azimuts pour le renforcement du marché national.

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