L’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne a été très critiquée par les opposants au Front populaire ; elle n’en a pas moins été un succès, et cela a permis au gouvernement de temporiser.
Le premier mai 1937 a été un immense succès également : le Parti Communiste Français parle d’un million de personnes venues manifester rien qu’à Paris.
Il semble pourtant clair à la bourgeoisie moderniste que le redressement tant attendu n’a pas fonctionné. Édouard Daladier, le chef du Parti radical et le vice-président du Conseil des ministres, constate ainsi en juin 1937 :
« Toutes les nations ont largement dépassé les niveaux de prospérité qu’elles avaient atteints dans l’heureuse année 1929. La France est la dernière. Elle ferme la marche de ce cortège.
De même, tandis que la production mondiale excède en moyenne la production d’avant-guerre, l’accélération est presque nulle en France. On constate dans plusieurs de nos industries de notables diminutions de rendement.
Ajoutons à ces faits incontestables l’important déficit de la balance commerciale, la cherté, bien plus préoccupante encore, de l’argent, l’absence de toute création d’affaires nouvelles, la restriction des échanges alors que l’économie moderne ne peut vivre que du mouvement.
Que dire enfin de l’inquiétude des classes moyennes qui supportent, souvent sans compensation, tout le poids des lois sociales ? »
Au moment de ce constat retentit le scandale des banques. Le 15 juin 1937, Léon Blum demanda à l’Assemblée nationale les pleins pouvoirs financiers. Immédiatement, les banques firent en sorte, entre le 15 et le 18 juin, de vendre 400 millions de bons du trésor. Le ministre des Finances put tout suivre par l’intermédiaire des écoutes téléphoniques et télégraphiques mises en place.
Et si les députés votèrent par 346 voix contre 247 en faveur de la demande de Léon Blum, le Sénat refusa par 168 voix 96, notamment en raison du rejet des radicaux.
Le radical Joseph Caillaux, président de la Commission des finances du Sénat, fut le principal opposant, dénonçant les 22 milliards de francs de déficit de l’année et la mise en place éventuelle d’un nouvel impôt d’entre 2 et 5 milliards pour l’année. On notera que Joseph Caillaux avait lui-même été à de nombreuses reprises ministre des Finances et la gauche lui avait refusé une même demande en 1926.
Léon Blum est alors échec et mat et donne sa démission le 21 juin 1937, refusant d’appeler au soulèvement des masses d’une part, et empêché de provoquer de nouvelles élections sous la pression des radicaux.
C’est Camille Chautemps qui le remplace immédiatement, dès le 22 juin 1937, avec un « gouvernement de rassemblement républicain ». Ici, on tombe des nues. Camille Chautemps est un radical, c’est un membre éminent des institutions.
Il a été maire de Tours, il a été député (d’Indre-et-Loire, puis du Loir-et-Cher), il est sénateur (Loir-et-Cher). Il a été cinq fois ministre de l’Intérieur (dont deux fois pour quelques jours seulement), il a été ministre de la Justice (pour un mois seulement), il a ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, il a été ministre des Travaux Publics. Il a été ministre d’État dans le gouvernement de Léon Blum. Et il a été deux fois président du Conseil déjà (une fois pour quatre jours, une fois pour deux mois).
On est donc dans une configuration où tout redevient comme avant le Front populaire. Il y a également l’ombre de l’affaire Stavisky, Camille Chautemps étant parfois présenté comme le grand protecteur de cet immense escroc.
En tout cas, donc, Camille Chautemps est comme chez lui, et le Sénat lui accorde les pleins pouvoirs jusqu’au 30 août 1937, par 167 voix contre 82. Il procède à une nouvelle dévaluation (de 26%), les impôts sur le revenu augmentent. Les prix du tabac, des PTT et des chemins de fer augmentent également.
C’est qu’officiellement, les caisses sont vides. Et s’il y a besoin de 26 milliards (dont quasiment 10 de remboursement des emprunts de 1934 à 4,5 %, à quoi s’ajoute un emprunt britannique), le gouvernement estime qu’il ne pourra en obtenir que 20 sur le marché.
On a donc un gouvernement de sévère austérité, avec un recul marqué du niveau de vie. Mais de quel gouvernement parle-t-on ? Car il ne diffère guère du précédent pour la composition.
Il y a d’ailleurs un trouble dès le départ. Jean-Baptiste Lebas, ministre des PTT. du gouvernement démissionnaire, dénonce de son côté le Sénat comme seul responsable, lors d’une fête des Jeunesses socialistes à Roubaix. Il dit :
« Puisque le Sénat a voulu mettre un obstacle aux réalisations que nous voulions poursuivre, c’est contre lui que la lutte doit être dirigée, car nous ne comptons pas seulement conserver ce que nous avons fait, nous voulons faire plus et mieux.
Le Sénat va avoir contre lui toutes les masses ouvrières et paysannes de France. Le Sénat a voulu la lutte, il l’aura. Nous saurons abattre tous ceux qui entravent nos réalisations et, disons le mot, notre révolution sociale. »
Sauf que Jean-Baptiste Lebas était également ministre des PTT du nouveau gouvernement et il devra faire profil bas !
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