Les «2000 mots dirigés aux travailleurs, paysans, fonctionnaires, artistes, et àtous»

Le 27 juin, plusieurs organes de presse publièrent un manifeste : « 2000 mots dirigés aux travailleurs, paysans, fonctionnaires, artistes, et à tous ». Écrit par Ludvík Vaculík et signé par de nombreuses figures activistes, il parut en même temps dans l’organe de jeunesse Mladá fronta, celui de culture Literární listy, ainsi que les quotidiens Lidové noviny, Práce et Zemědělské noviny.

Cette affirmation exigeait inévitablement une prise de position de par et d’autres, or le document allait très loin puisqu’il assumait ouvertement qu’il y avait un changement de régime. Il en concluait que le Parti Communiste de Tchécoslovaquie (PCT) avait en quelque sorte failli. Il affirma qu’il fallait conserver les traités faits (avec les pays du bloc de l’Est) mais qu’il faudrait aussi être prêt à assumer la défense du gouvernement par les armes.

Tout cela était l’expression d’une vague très offensive et le présidium du Comité Central du Parti Communiste de Tchécoslovaquie décida pour cette raison d’immédiatement s’en dissocier. Le président du conseil des ministres Oldřich Černík, nommé le 8 avril, critiqua le manifeste comme contribuant à un climat de nervosité et de peur.

Les « 2000 mots dirigés aux travailleurs, paysans, fonctionnaires, artistes, et à tous »

Le président du parlement Josef Smrkovský publia un autre manifeste, « 1000 mots », publiés dans l’organe de jeunesse Mladá fronta, ainsi que les quotidiens Rudé právo (qui relève du PCT) et Práce. Il salua le manifeste des « 2000 mots » comme un engagement citoyen mais lui reprocha son « romantisme politique », utile comme garant critique, mais décalé par rapport au réalisme nécessaire.

Cependant, il était impossible pour les apprentis sorciers du libéralisme de freiner la machine enclenché. Le 18 juillet, dans la Literární listy, le philosophe Ivan Sviták caractérisa de manière suivante la situation se présentant dans l’imaginaire de ce qui fut appelé le Printemps de Prague :

« Dans la pièce qui a commencé à se jouer, le Parti Communiste fait face à un sérieux dilemme : ou bien gagner des millions de personnes pour la perspective du socialisme démocratique, ou bien laisser 100 000 personnes à leurs postes administratifs.

Les communistes se considéreront-t-ils comme un parti politique du peuple et des couches les plus importantes de notre société, ou bien comme un appareil de pouvoir, qui entend défendre bec et ongles son pouvoir sans bornes à l’encontre des masses sans défense.

Tout dépend quasiment de cette question des questions : l’avenir du peuple et l’existence de la liberté.

Le Parti Communiste a encore des chances de gagner lors d’élections libres au scrutin secret s’il choisit la première option et se laisse confirmer son mandat de guide du peuple de Tchécoslovaquie. »

Ce discours correspondait à l’idéologie du « socialisme à visage humain », expression d’Alexander Dubček. Cependant, la dynamique était seulement libérale, au-delà du vernis « socialiste démocratique ». Ivan Sviták parle ainsi d’une élite « bureaucratique – technologique – idéologique » qu’il faudrait briser.

Son discours est celui du libéralisme tchèque, tout à fait dans l’esprit de Tomáš Masaryk, avec une opposition au pouvoir central, un appel à la créativité spirituelle, etc., puisant largement dans l’expérience traumatisante de la domination militaro-catholico-féodale autrichienne.

De fait, lorsque Rudi Dutschke- le dirigeant du mouvement étudiant ouest-allemand en RFA et à Berlin-Ouest qui était lui-même issu d’Allemagne de l’Est -, vint à Prague, il passa malgré ses conceptions communistes libertaires comme quelqu’un ayant le même discours que le Parti Communiste de Tchécoslovaquie des années 1950. L’incompréhension fut totale.

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