En posant les catégories, Aristote fait deux choses. Tout d’abord, il échappe à l’idéalisme de Platon, puisque ce dernier a une conception logico-mathématique du monde, avec le « monde des idées », sous-produit du « un » divin ayant donné naissance à la multiplicité, les nombres façonnant la matière.
Aristote dit quant à lui que les catégories sont à trouver dans le monde réel. C’est donc une affirmation matérialiste. Le souci, c’est qu’il ne connaît pas la dialectique, pour des raisons historiques.
Pour cette raison, il en arrive à dire :
« Il appartient aux substances de n’avoir aucun contraire. Que serait, en effet, le contraire de la substance première ? Ainsi, un certain homme n’a aucun contraire.
Et pour sûr, l’homme non plus ou l’animal n’ont le moindre contraire. Cependant, ce trait n’est pas propre à la substance, mais se rencontre aussi dans beaucoup d’autres.
Ainsi dans le cas de la quantité. La dimension de deux coudées, en effet, n’a pas le moindre contraire, ni la dizaine, ni rien de ce genre, sauf à prétendre que beaucoup est le contraire de peu ou grand de petit. Mais, parmi les quantités déterminées, rien n’est le contraire de rien. »
Il faudra attendre Hegel pour la saisie de la dialectique à partir de la question de l’infini, puis Karl Marx et Friedrich Engels pour l’affirmation du matérialisme dialectique, dans le cadre de l’affirmation de la classe ouvrière.
Aristote est très loin de cette période historique ; il n’a pas les moyens de saisir les principes de la dialectique, même si, bien entendu, il y tend de par son matérialisme authentique.
Il retrouve ainsi le principe de l’identité dans la contradiction. Il dit ainsi :
« Il semble, par ailleurs, que la substance ne soit pas susceptible du plus et du moins (…). Supposé que la substance soit un homme, il ne sera pas plus ou moins homme, ni par comparaison avec lui-même, ni par comparaison avec un autre. »
Ce faisant, Aristote est capable de cerner les moments du processus de la matière. Il y a des gens plus beaux que d’autres, peut-être, mais tous sont des êtres humains et aucun ne l’est plus qu’un autre.
En fait, c’est même déjà en soi une négation, au sens où le fait de poser une essence est une détermination et que, comme l’a souligné Spinoza, toute détermination est négation.
Aristote l’entrevoit pratiquement en constatant que la substance peut recevoir des contraires : un même être humain peut être vilain ou excellent, or il s’agit de deux contraires. C’est même propre à la substance :
« Ce qui sera propre à la substance, c’est que, tout en étant la même et une numériquement, elle peut, en vertu de son propre changement, recevoir les contraires. »
Mais comme c’est déplacé à un niveau secondaire, cela n’a pas de portée générale dans son système. Aristote a une lecture descendante de la vérité ; il faut partir de la substance et voir comment à chaque fois qu’on descend dans l’abandon de l’unité, il y a diversité.
Aristote manie donc la dialectique, du côté de l’identité seulement, sans saisir qu’il le fait. C’est un matérialisme essentialiste, qui fixe les moments d’organisation de la matière, mais ce faisant au moins il les reconnaît, permettant la science.