Les contradictions au sein de l’Etat nazi

L’Allemagne nazie connut bien entendu des contradictions, en fait elle ne connut que cela : contradictions entre elle et les pays conquis et opprimés, contradictions entre les larges masses et la grande bourgeoisie, contradictions entre l’armée allemande et les nouvelles factions dans l’appareil d’État, contradictions entre les factions nazies elle-même, etc. etc.

La première grande contradiction visible fut celle entre la haute bourgeoisie et l’aristocratie partisanes de la « révolution conservatrice » et le parti nazi. Elle s’exprima par l’intermédiaire de Franz von Papen, qui avait lui-même joué un rôle essentiel pour qu’Adolf Hitler accède au rôle de chancelier.

Franz von Papen tint un discours à l’université de Marbourg, le 17 juin 1934, qui fut ensuite publié malgré l’opposition farouche du parti nazi. Ce qui y est dit est d’une franchise politique impressionnante : Franz von Papen explique ouvertement que le camp de la « révolution conservatrice » a choisi, avec raison selon lui, de soutenir le national-socialisme. Franz von Papen dit ainsi de manière ouverte :

« J’ai fait porté l’attention, le 17 mars 1933 à Breslau, sur le fait que dans les années d’après-guerre, un type de mouvement conservateur-révolutionnaire s’était développé, qui ne se différenciait du national-socialisme essentiellement que sur le plan de la tactique.

Comme la révolution allemande combattait contre la démocratisation et ses conséquences fatales, le nouveau conservatisme refusait de manière conséquente toute démocratisation de plus, et croyait en la possibilité de mettre hors de fonction, par en haut, les forces pluralistes.

Le national-socialisme, à l’opposé, alla sur la voie de la démocratie, jusqu’au bout, pour arriver ensuite devant les questions, de fait pas faciles, de savoir comment étaient à réaliser les idées de direction absolue, de principe de sélection aristocratique et d’ordre populaire organique.

L’histoire a donné raison à la tactique national-socialiste, cette réalité comprise amenèrent les hommes d’État conservateurs à l’alliance avec le mouvement national-socialiste dans ces heures du début de l’année 1933. »

Cependant, les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » étaient en désaccord avec un certain nombre de points, précisés par Franz von Papen dans le discours. Tout d’abord, il était considéré qu’il fallait former une élite issue d’une société corporatiste, et non pas donc sur la base d’un parti dirigeant. Ensuite, la religion chrétienne devait être au centre des valeurs, dans une optique traditionnelle, et non pas la mobilisation « permanente ».

L’idéologie du discours est en fait celui de l’Etat clérical-corporatiste, tel qu’il se formera justement en Autriche. Celui qui l’avait écrit n’était d’ailleurs pas Franz von Papen lui-même, mais Edgar Julius Jung (1894-1934).

On se situe ici – les services secrets nazis publieront tout un dossier à ce sujet – dans la mouvance idéologique de l’autrichien Othmar Spann (1878–1950), justement théoricien de l’État corporatiste dans l’esprit de la « révolution conservatrice », et qui menait une grande lutte d’influence idéologique en Autriche.

Othmar Spann sera à ce titre mis de côté par les nazis ; Edgar Julius Jung sera lui arrêté dès le 25 juin 1934 et assassiné le 30 juin 1934. Les nazis avaient compris que les tenants de la « révolution conservatrice » s’étaient organisés en fraction et comptait s’appuyer sur l’armée pour mener un coup d’Etat militaire.

Le même 25 juin 1934 furent ainsi assassinés notamment le représentant majeur du catholicisme politique Erich Klausener, le responsable de la jeunesse sportive catholique Adalbert Probst, le théologien Bernhard Stempfle, le général Ferdinand von Bredow, l’ancien chancelier Kurt von Schleicher, le politicien Herbert von Bose lui-même lié à Franz von Papen ; ce dernier ne dut sa vie qu’à Hermann Göring qui lui conseilla de « rester chez lui ».

Les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » menèrent par la suite une politique clandestine, supervisée par deux comtes : Helmuth James Graf von Moltke (1907-1945) et Peter Graf Yorck von Wartenburg (1904-1944). Le premier sera arrêté, puis condamné à mort en raison de la tentative de coup d’Etat du 20 juillet 1944 à laquelle participa le second.

Ce fut un troisième comte, Claus Schenk Graf von Stauffenberg (1907-1944), qui dirigea la tentative de coup d’État combinant attentat contre Adolf Hitler et prise de contrôle de « l’opération Valkyrie », un état d’urgence prévue par l’État nazi lui-même en cas de soulèvement populaire.

Il s’agit ainsi d’un coup d’Etat au sens strict, pas d’une participation à un soulèvement démocratique. Voici d’ailleurs le programme de ce coup d’Etat, formulé par Claus von Stauffenberg comme dénominateur commun :

« Nous nous sommes engagés en esprit et dans les faits aux grandes transmissions de notre peuple qui ont donné naissance à l’humanité occidentale par la fusion des origines helléniques et chrétiennes dans l’essence germanique.

Nous voulons un nouvel ordre, qui rend porteurs de l’Etat tous les Allemands, et leur garantit le droit et la justice, mais méprisons le mensonge de l’égalité et exigeons la reconnaissance des rangs naturels.

Nous voulons un peuple enraciné dans le sol de la patrie, qui reste proche des forces naturelles, qui trouve dans l’agissement dans ses cercles de vie donnés sa chance et sa satisfaction suffisantes, et dépasse dans la fierté libre les impulsions inférieures de l’envie et de la jalousie. »

Parmi les 200 personnes exécutées pour la tentative de coup d’État, on trouve 20 généraux, 26 colonels, deux ambassadeurs, sept diplomates, un ministre, trois secrétaires d’Etat dont le chef de la police criminelle, etc.

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