À partir de 1952 – et non pas à partir de la mort de Staline le 5 mars 1953 – le PCUS est régi de manière collégiale, par une direction collective s’appuyant sur le Présidium du Comité Central, lui-même sévèrement encadré par le Comité Central.
Or, il restait un appareil centralisé par définition même, celui de l’appareil de sécurité d’État.
Il y a ici une contradiction qui s’est posée historiquement, de par l’erreur du XIXe congrès, qui considérait que le socialisme avait été instauré et que l’URSS rentrait dans la période d’édification du communisme.
Il ne pouvait pas y avoir en même temps une direction collective et un appareil de sécurité centralisé existant dans l’État et à côté du Parti. Tant la centralisation des services de sécurité autour d’une figure historique, Lavrenti Beria, que le maintien des camps de travail (donnant par définition une importance aux services de sécurité), rentrait en conflit avec la démarche lancée au XIXe congrès.
Celle-ci posait d’ailleurs la liquidation des camps de travail. Dans la même logique, la peine de mort avait été supprimée en 1947, mais finalement réinstaurée en 1950 devant les affaires d’espionnage.
Il fut donc décidé que la gestion des camps de travail devait passer au ministère de la justice. Une amnistie importante fut également décidée le 27 mars 1953.
Restait la question de l’appareil de sécurité au sens ouvert (telle la police) et celui au sens fermé (contre-espionnage). On en était alors à une fusion du MGB et du MVD – le ministère de la sécurité d’État et le ministère des affaires intérieures. Dans 12 républiques sur 15, ce fut le responsable du MGB qui passa responsable du MVD.
Mais il y a ici plus important encore : la République soviétique de Russie n’avait pas de MVD propre – c’était celui au niveau pansoviétique qui en assumait la fonction. C’est dire le caractère essentiel de son rôle, sa puissance.
L’une des premières décisions du MVD, désormais dirigé par Lavrenti Beria, fut une critique en règle, dans la Pravda du 4 avril 1953, du MGB pour son enquête sur le complot des médecins accusés d’avoir joué un rôle dans des accusations d’empoisonnement. Le MVD prétendit que les aveux avaient été forcés et que l’enquête n’avait pas été légale. Les médecins furent libérés, des responsables du MGB arrêtés, l’informatrice de l’affaire, Lydia Timsshuk, se vit enlever l’ordre de Lénine reçu pour l’occasion.
Cette démarche fut très inattendue ; la revue de mars du Komosomol (la jeunesse communiste), sortie elle-même le 4 avril, contient ainsi un article de dénonciation de l’espionnage et célébrant l’exemple de Lydia Timsshuk.
Le 10 avril 1953, les Izvestia prolongèrent la remise en cause en affirmant qu’il s’agissait d’une initiative antisémite prenant comme prétexte un pseudo-complot de médecins juifs. La presse soviétique accusa parallèlement le style de travail de la direction du Parti en Géorgie, ce qui se prolongea par la suite. Il s’ensuivit une remise en cause de la purge de 1951-1952 et le rétablissement de ceux mis de côté.
On a là en fait une bataille factionnelle qui se jouait dans le Parti, avec le conflit entre le Parti passé sous direction collégiale et l’appareil de sécurité d’État resté centralisé.
La tension fut à son comble à l’occasion d’un opéra. Celui-ci, intitulé Les décabristes, relatait la révolte contre le tsar d’une partie de l’aristocratie. Le 27 juin 1953, tout le Présidium du PCUS y assistait, à l’exception de Lavrenti Beria et de deux membres suppléants, l’arménien Vladimir Bagirov et le russe Léonid Melnikov.
Dans la journée, plusieurs dizaines de tanks accompagnés d’autres véhicules militaires étaient arrivées par le train à Moscou et commençaient à se déployer dans la ville. Ce dispositif militaire connut une amplification dès la tombée de la nuit et cela jusqu’au 30 juin. Il semble que certaines unités dépendaient de l’appareil de sécurité d’État, d’autres de l’armée.
Cette situation, clairement de crise, fut également accompagnée par la suite d’au moins deux articles marquants. Le premier fut publié sans signature dans la Pravda du 4 juillet 1953 ; citant notamment Staline, il souligna l’importance de la direction collective, de la soumission des communistes à la volonté de la majorité du Parti.
Le second consista en l’éditorial des Izvestia du 7 juillet et s’appuyait sur Les problèmes économiques du socialisme, écrit par Staline à l’occasion du XIXe congrès de 1952, et expliquait qu’un dirigeant négligeant la théorie ne peut pas assumer sa fonction.
On peut considérer que le premier document représente la ligne de la direction collégiale du Parti, le second vraisemblablement de la ligne idéologique maintenue, soutenue par l’appareil de sécurité d’État, mais il est difficile d’y voir clair, car la journée de crise du 27 avait été précédé, la veille, de la liquidation du dirigeant de l’appareil de sécurité d’État, Lavrenti Beria.