A la mi-septembre 1937, la police mène une opération contre des dépôts d’armes dans tout le pays, mettant la main sur des centaines de fusils-mitrailleurs, des dizaines de mitrailleuses, ainsi que 10 000 grenades de provenance italienne et allemande. Fin janvier 1938, un de ces dépôts saute accidentellement, tuant 14 personnes ; il cachait 6 000 grenades et 200 kilos d’explosifs.
Telle était l’atmosphère lourdement pesante où l’extrême-droite s’organisait et s’armait. Dans ce cadre, le Parti Communiste, par l’intermédiaire de L’Humanité a très régulièrement parlé de François de La Rocque, des Croix de Feu et du P.S.F., tout à fait conscient de son importance dans le dispositif d’extrême-droite.
Pour donner un exemple de la profondeur de l’antagonisme, lorsque les Croix de Feu tinrent un meeting à Limoges en novembre 1935, la manifestation antifasciste déborda la police et fut accueilli à coups de feu. Les échanges de tirs qui s’ensuivirent firent une dizaine de personnes blessés de part et d’autres.
Le point culminant de cette dynamique antifasciste consista en ce qui se passa à Clichy, où le 16 mars 1937, le P.S.F. avait décidé d’organiser une réunion, avec la projection d’un film familial dans un cinéma. Refusant la ligne passive à ce sujet du gouvernement du Front populaire, les forces locales de ceui-ci, notamment le maire SFIO et le député communiste, organisèrent un contre-rassemblement.
Après évacuation des membres du P.S.F., les antifascistes sont alors réprimés par la police au moyen d’armes à feu, tuant 5 personnes et en blessant 48 par armes à feu, en blessant 59 autres. Du côté de la police, 257 personnes étaient blessées, dont 4 par des coups de feu.
Les Croix de Feu et le P.S.F. était ainsi considérés comme des forces d’intervention de type fasciste. Dans la presse communiste, l’article De La Rocque copie Hitler explique à ce sujet :
« De La Rocque utilise divers moyens pour gagner la masse :
1. Il s’efforce de créer une « mystique ». Dans les premiers temps il s’appuya en particulier sur les anciens combattants ; en 1934, après les scandales qui illustrèrent cette période, il parla de propreté, d’honneur, essayant d’exploiter le dégoût qu’avaient provoqué dans les masses ces scandales ;
2. Aidé par les trusts et la presse à leur dévotion, il s’efforce d’auréoler sa personne, il développe le culte du chef sublime, nanti de toutes les qualités.
En cela, il copie servilement les méthodes de Mussolini et d’Hitler, de qui le grand capitalisme a fait des « héros » pour mieux leur permettre de tromper les masses et les convaincre d’accepter leurs plans de misère, d’esclavage et de guerre. »
Toutefois, le Parti Communiste en reste là. Il considère que François de La Rocque est un démagogue comme Adolf Hitler et Benito Mussolini ; il ne voit pas en quoi il tente, comme eux, de faire un mouvement qui est un contre-feu au mouvement communiste dans son ensemble.
La tendance à considérer François de La Rocque comme une sorte d’opportuniste réactionnaire fut très forte, et même trop forte, au point qu’il fut en fin de compte considéré comme une simple marionnette sans projet réel.
Pour cette raison, l’antifascisme se considéra lui-même comme un contre-feu. L’urgence était de répondre à la démagogie de François de La Rocque, mais cela fut fait dans une démarche tactique seulement. Cela ouvrit la voie à la démarche de Maurice Thorez, qui fit passer le Parti Communiste d’une reconnaissance tactique du Front républicain à la soumission stratégique.
Voici ce qu’on lit par exemple dans le communiqué Le sang a coulé du Parti Communiste, au lendemain de la fusillade de Clichy, en mars 1937 :
« Le Parti communiste n’a cessé de dénoncer les agissements du colonel-comte de La Rocque et de Doriot qui provoquent à la lutte entre Français et veulent créer une atmosphère de guerre civile dans le pays.
En provoquant les travailleurs, les chefs fascistes visent à compromettre l’œuvre sociale du Front populaire, à empêcher que les légitimes revendications du peuple soient satisfaites.
Derrière les fauteurs de troubles aux mains rouges du sang des travailleurs, il, y a les trusts, les puissances d’argent qui organisent la vie chère, refusent le rajustement des salaires, traitements, pensions, ne veulent pas que les vieux travailleurs bénéficient d’une retraite bien gagnée pas plus qu’ils ne veulent faire droit aux justes revendications des commerçants et des paysans de France.
A bas la guerre civile ! que cherchent les factieux. Il faut en finir avec ces groupements de désordre ; il faut en finir avec les chefs de la police qui favorisent leurs menées. Il faut faire passer le souffle républicain dans les cadres de la police et de l’administration. Les responsables du sang versé à Clichy doivent être frappés. Le peuple de France veut l’ordre et la tranquillité, il veut vivre en paix dans le travail et le respect de l’ordre républicain. »
Cette ligne d’unité populaire de la gauche socialiste et communiste est considérée comme pouvant peser dans l’État.
Dans La terrible nuit de clichy dicte au front populaire son devoir immédiat, on lit pareillement :
« Avec le Parti radical dont le prestige provient de sa lutte pour les libertés républicaines, avec ses chefs tant injuriés par ceux qui ont fait couler le sang ouvrier, avec nos frères socialistes qui, hier, à la réunion du Comité d’entente parisien, proclamaient avec nous la nécessité de désarmer et dissoudre les ligues factieuses, avec la grande C.G.T.
Dirigée par notre camarade Léon Jouhaux, avec tous les démocrates, tous les républicains, tous les hommes de bonne volonté, le Front populaire ira de l’avant vers le progrès social pour le triomphe de la démocratie et de la République.Mais la terrible nuit de Clichy dicte au Front populaire son devoir immédiat.
Il faut, comme le souligne le Programme adopté par tous, désarmer et dissoudre effectivement les ligues factieuses.
Il faut, selon la parole de notre camarade Léon Blum, président du Conseil, que passe enfin le souffle républicain dans la police, dans l’armée, dans les administrations de l’État. »
De la même manière, voici ce qui est dit dans Un appel du Parti Communiste pour les funérailles des victimes de Clichy :
« Toi, peuple de Paris, tu ne veux pas cela !
Tu veux vivre dans l’ordre, dans la paix et la liberté par ton travail. Tu veux que soient mis hors d’état de nuire ceux dont l’intérêt est d’empêcher le relèvement économique du pays.
Tu veux qu’en dissolvant les ligues, Paris retrouve le calme et puisse recevoir dignement les étrangers qui se préparent à visiter l’Exposition.
Tu veux qu’on en finisse avec les provocations d’un François de La Rocque qui menace de fomenter des troubles et fait appel à la guerre civile.
Dans le document Pour la paix ! Pour la dissolution des ligues ! Pour la retraite aux «vieux», toujours de mars 1937, on lit :
« Le débat parlementaire qui s’est institué à la suite des douloureux événements de Clichy a établi les responsabilités et le caractère de préparation à la guerre civile du Parti Social Français et du Parti Populaire Français. »
L’origine de ce positionnement est expliqué par Jacques Duclos dans Pour réaliser le programme. L’union du Front populaire doit être sauvegardée. Pour le Parti Communiste, le Front populaire était nécessaire pour contrer le fascisme de manière urgente. Cependant, de manière dialectique, il y a un autre aspect : celui de l’unité avec des forces non révolutionnaires, du type réformiste, républicaine, laïque, etc.
La question du rapport avec ces forces a été considérée comme centrale et le point de vue qui a prédominé, celui de Maurice Thorez, est que rien ne doit être fait pour troubler les liens formés avec ces forces.
Pour cette raison, Maurice Thorez impose une ligne de légalisme forcené et d’opposition à tout discours antagonique, lié à un esprit de guerre civile. Il rejette ouvertement le principe de groupes armés, combat tout esprit de subversion, au nom du fait d’apparaître comme le meilleur élève républicain. En agissant ainsi, il ramène directement le Parti Communiste dans les bras du jauressisme.
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