L’opposition droite-gauche en France est issue, du point de vue du matérialisme dialectique, de l’affrontement entre deux fractions de la bourgeoisie : celle ouvertement réactionnaire, lié au royalisme et au catholicisme, et celle moderniste et laïque. Cette opposition est directement issue du compromis du tout début du XXe siècle. Le Parti Communiste n’a pas réussi à saisir cet arrière-plan, ne saisissant pas les contradictions au sein de la bourgeoisie.
Il n’a donc pas compris le radicalisme, cette forme de républicanisme de centre-gauche, expression de la bourgeoisie modernisatrice, partisane d’un capitalisme libéral et, de ce fait, opposé aux fractions de la bourgeoisie historiquement liées au féodalisme, au catholicisme, au monarchisme, etc.
Or, depuis 1918, la gauche de type radicale a très peur d’un coup d’État de la part de la droite. L’agitation des maréchaux, la puissance de la haute bourgeoisie ouvertement favorable à un coup d’État militaire, voire à une dictature cléricalo-royaliste, posait un grand souci.
C’est pourquoi la gauche de type radicale a accepté de se lier à la gauche socialiste et communiste, afin de faire contre-poids à la droite liée aux ultras-cléricaux, aux milieux royalistes, aux dirigeants de l’armée, etc.
On a ici exactement la même chose que lors de la guerre d’Espagne, à la grande différence qu’il s’agit ici d’une opération démagogique du radicalisme de gauche. La droite putschiste est en effet minoritaire et dépassée, alors qu’en Espagne elle était d’une énorme puissance. Les Croix de Feu et le P.S.F. sont justement l’expression de cette considération, François de La Rocque ayant compris que la République avait définitivement gagné.
Le Parti Communiste, lui, ne l’avait pas compris, aussi tomba-t-il dans le piège des radicaux de gauche. Voici un exemple de la position de ceux-ci, avec les propos de Pierre Cot, député radical de la Savoie, répondant à l’Humanité lui posant la question de la nature du P.S.F.
L’opération des radicaux de gauche visant à faire du Parti Communiste un supplétif de la gauche modernisatrice est ici tout à fait lisible dans sa démagogie, notamment autour du thème de « l’oligarchie financière ».
Historiquement, le Parti Communiste est entièrement tombé dans le piège, Maurice Thorez lui-même ne parlant que d’oligarchie, alors que par la suite des restes de thoréziens développeront le thème du complot d’une petite fraction de la haute bourgeoisie, formant une « synarchie » visant au coup d’État et ayant favorisé la défaite de la France en 1940, etc.
« Personne ne songe plus à nier le danger fasciste.
Le colonel de La Rocque a affirmé sa volonté de déclencher l’attaque à main armée au jour J et à l’heure H. De plus, quand on organise des formations militaires, des exercices de mobilisation, etc., ce n’est pas pour une action… de propagande électorale.
Il n’est pas douteux qu’on se prépare à la guerre civile ou, du moins, qu’on s’y préparait avant le 14 juillet [1935] (…).
Le plus grave, c’est que les ligues sont armées. Leurs adhérents sont tenus en haline et en alerte. Ils risquent d’exiger, une fois, qu’on les lance à l’assaut.
Or, ce qu’il y a d’abominable, c’est que les chefs des ligues n’ont aucun programme positif. Il est tout à fait insuffisant de dire qu’on est pour la propreté et le patriotisme. Je ne pense pas, d’ailleurs, que les ligues armées de M. Léon Bailly aient le monopole de ces vertus (…).
Ces moyens financiers sont puissants. Il suffit de constater l’activité des ligues, le nombre de leurs fonctionnaires, la perfection de l’organisation, la fréquence des exercices de mobilisation, etc.
M. de La Rocque a avoué qu’il recevait de l’argent de MM. Mercier et de Wendel. Il doit y en avoir bien d’autres. C’est normal. Le grand capitalisme se sent touché au vif.
Les marchands de canons, les maîtres des monopoles capitalistes, ceux de la Banque de France, savent qu’il y a contre eux une très grande majorité de Français (…).
Ce qui menace les maîtres de cette oligarchie financière, qui a ravi à l’État son indépendance, c’est la poussée du Front populaire. Le mouvement des ligues, en ce qu’il se dresse contre le Front populaire, est un mouvement de défense de la grande bourgeoisie.
Il trouvera tout l’argent dont il a besoin. Qu’avec cet argent, les ligues se soient armées, c’est l’évidence même ! On ne joue pas au soldat quand on a plus de vingt ou trente ans, pour le plaisir…
Quand des hommes faits consentent à s’entraîner, c’est qu’ils veulent se battre. Et quand on veut se battre et qu’on a de l’argent, on s’arme.
Il est certain que les Croix de Feu et les ligueurs d’Action française ont fait un gros effort de propagande dans l’armée, surtout chez les jeunes officiers… Rien d’étonnant : la plupart des jeunes officiers manquent de formation politique et économique… Et le colonel de La Rocque parle un langage qui leur plaît.
Au fond, je ne crois pas que ce soit très dangereux… Il y a les officiers républicains, les sous-officiers et les hommes. Si des officiers passaient aux ligues pour faire un coup de main, cela provoquerait un mouvement inouï.
La trahison de certaines unités expliquerait et légitimerait le passage au peuple d’autres unités. Ce serait la désagrégation de l’armée.
Et là encore, ceux qui auraient commencé auraient tous les rots. Les grands chefs savent cela, ils ne commettront pas la folie de jeter l’armée dans nos luttes politiques.
Le loyalisme de la garde mobile et de la gendarmerie est certain ! La propagande des Croix de Feu a échoué… Les milieux de la garde et de la gendarmerie sont beaucoup plus « Front populaire » (par origine, tendance, etc.) que Croix de Feu…
La garde s’est fait, paraît-il, siffler en défilant avenue des Champs-Elysées, le 14 juilet, par la clientèle des ligues… Elle gardera ce souvenir (…).
[Au sujet de la police, même s’il faut surveiller certains chefs selon lui] Mais là encore, je vois mal la police allant participer à un putsch (…).
Il faut multiplier les rassemblements du Front populaire… Nous ne faisons pas, nous, des exercices de mobilisation secrète… Nous n’entraînons pas nos troupes à la guerre civile… Nous sommes contre la violence…
Mais nous devons affirmer notre volonté de lutter, au besoin par la force, contre la violence. Des rassemblements comme ceux qui eurent lieu le 14 juillet prouvent que toute la France qui pense et qui travaille se dresse contre le fascisme.
Un putsch ne réussira jamais contre la volonté unanime d’un peuple. Voilà pourquoi notre action doit être large, et que je suis heureux de voir que vos camarades l’ont compris. Ce sont eux qui, dans nos manifestations, entonnent la Marseillaise. C’est très bien !
Car il faut reprendre la Marseillaise à ceux qui nous l’ont volée. De même qu’il faudra, un jour, que nous allions défiler devant le Soldat Inconnu, qui fut notre frère de misère, et qui aurait bien plus de chance d’être au Front populaire que chez les Croix de feu… (…)
En cas de putsch ou de tentative de putsch, c’est la masse des travailleurs qui doit réagir. Il faut prévoir que les chefs politiques, les dirigeants des syndicats seront immédiatement arrêtés. Il faut donc organiser un mécanisme dont l’automatisme soit absolu. C’est ce qui est fait.
A quoi tient ce mécanisme ? A paralyser à la fois l’action militaire motorisée des logues et la vie économique du pays. Les ligues doivent savoir que si elles gagnaient la première manche, elles n’en perdraient pas moins la partie.
Ce n’est pas avec des fusils-mitrailleurs, ni même avec des volontaires, que l’on fait marcher les trains, les aiguillages, les centrales électriques, les postes, bref tout ce dont le pays a besoin pour vivre.
Achevons de mettre au point cette organisation qui, je le répète, doit fonctionner de façon automatique… »
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