Aristote traite donc de la pensée comme un mode opératoire, comme une opération opérante. Il lui reste toutefois à distinguer ses modalités.
En effet, Aristote raisonne en termes d’entéléchie. Il y a une chose existante potentiellement et sa réalisation en acte est un processus qu’il appelle entéléchie.
Cette chose existant potentiellement et se réalisant se réalise à partir d’une matière donnée.
Aristote dit qu’il doit en relever de même pour l’intellect :
« Comme il y a dans la nature toute entière, d’une part un principe qui fait fonction de matière pour chaque genre de choses – et c’est ce qui est en puissance en toutes ces choses -, et d’autre part un principe causal et actif qui les produit toutes – telle la technique par rapport à la matière -, il est nécessaire que dans l’âme aussi se trouvent ces différences.
De fait, il y a, d’une part, l’intellect capable de devenir toutes choses, d’autre part l’intellect capable de les produire toutes, semblable à une sorte d’état comme la lumière : d’une certaine manière, en effet, la lumière elle aussi fait passer les couleurs de l’état de puissance à l’acte.
Et et cet intellect est séparé, sans mélange, et impassible, étant acte par essence. Toujours, en effet, l’agent est supérieur au patient et le principe à la matière. »
Ces lignes sont d’une importance historique capitale ; elles façonnent la bataille entre idéalisme et le matérialisme.
Ce que dit Aristote, c’est que la pensée est une opération conceptuelle, une opération maniant des concepts. C’est donc un mouvement et, par conséquent, il faut lui trouver une matière et une cause. Il y a donc l’intellect – matière et l’intellect – cause, le premier étant le lieu de réalisation du premier.
Une fois dit cela, Aristote raconte alors que :
« C’est une même la chose que la science en acte et son projet ; sans doute la science en puissance est-elle antérieure selon le temps dans l’individu, mais, absolument parlant, elle n’est pas même antérieure selon le temps ; pourtant il ne faut pas croire que cet intellect tantôt pense et tantôt ne pense pas.
C’est lorsqu’il a été séparé qu’il est seulement ce qu’il est en propre, et cela seul est immortel et éternel. Mais nous ne nous souvenons pas, car ce principe est impassible, tandis que l’intellect passif est corruptible et que sans lui il n’y a pas de pensée. »
Ces lignes, pouvant sembler obscures, ont été au cœur de l’immense recherche par la suite des auteurs suivant Aristote, notamment Alexandre d’Aphrodise, Avicenne et Averroès.
L’idée d’Aristote est la suivante. Penser, par l’intellect, c’est faire une opération en maniant des concepts. Mais l’opération elle-même doit reposer sur quelque chose. Il y a donc l’intellect en tant que « penser » et l’intellect en tant que « action de faire penser ».
Mais comme penser, c’est faire une opération conceptuelle, alors l’intellect ne fait que redécouvrir des vérités essentielles. Celles-ci sont définies au sein de l’intellect agent, le super intellect, qui est en fait chez Aristote la grande opération conceptuelle contenant toutes les opérations conceptuelles.
Penser, c’est faire une opération conceptuelle en retombant sur la grande opération conceptuelle reflétant le réel.
Le parallèle moderne est avec internet. L’intellect d’un être humain est le navigateur, capable de faire des opérations conceptuelles. Les sites où l’on va, contenant les opérations conceptuelles toutes prêtes, forment l’intellect supérieur.
L’intellect patient est le navigateur, l’intellect agent le réseau internet.
Et tout est une question de situation pour qui va puiser l’information à la source :
« L’intellect théorique ne pense rien dans l’ordre pratique, ni ne se prononce sur ce qu’il faut fuir ou rechercher : or le mouvement local concerne toujours la fuite ou la recherche d’un objet. »
L’évier de quelqu’un est bouché : il va puiser sur internet le concept abstrait d’évier avec ses principes de fonctionnement, pour l’appliquer à son propre évier.