En Allemagne, il y avait une toute petite structuration des sociaux-démocrates rejetant catégoriquement la guerre, autour de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht ; les bolcheviks avaient quant à eux les mains libres pour développer leurs activités anti-guerre, ayant exigé une centralisation théorique et organisationnelle.
On n’a pas cela en France, où il n’existe aucune continuité révolutionnaire, dans la mesure où la guerre a imposé un nationalisme généralisé et un soutien complet au militarisme.
De plus, le mouvement ouvrier français a été marqué par les courants socialistes et le courant syndicaliste révolutionnaire ; dans les deux cas, il n’y a pas de base de masse.
On est dans le substitutisme : les socialistes sont historiquement une machine électorale portant des élus agissant au nom du prolétariat tout en étant divisés en tendances en conflit ouvert ; les syndicalistes une minorité pratiquent quant à eux le style du coup de force au nom du prolétariat, avec l’espoir mythique d’une grève générale.
La social-démocratie comme mouvement historique est restée étrangère à la France, tout comme son idéologie qu’est le marxisme ; on est ainsi en France dans le mouvement ouvrier, au début du XXe siècle, soit électoraliste (tendant franchement à l’opportunisme), soit syndicaliste (tendant à l’anarchisme).
La révolution russe et le chamboulement de la première guerre mondiale bouleversent immanquablement un tel panorama. Il y a alors l’idée de se sortir de l’impasse par le haut, en plaquant littéralement ses désirs sur la révolution russe et l’Internationale Communiste.
Un acteur clef de ce processus est Fernand Loriot. Socialiste, il soutient l’Union sacrée à l’entrée en guerre, mais se remet en cause en août 1915. Il participe alors à la mise en place au sein des socialistes d’un Comité pour la reprise des relations internationales, qu’il dirige à partir de 1917, appelant à des pourparlers de paix, l’ancien dirigeant Alphone Merrheim ayant basculé ouvertement dans le réformisme et les plans américains de paix en Europe.
Un autre acteur clef est Raymond Péricat. Lorsque le Comité pour la reprise des relations internationales forma en 1916 un Comité de défense syndicaliste, Raymond Péricat en prit la direction en 1917. Il se tourna vers les anarchistes et les syndicalistes.
On va avoir, de ce fait, deux tendances favorables à la IIIe Internationale :
– celle avec Fernand Loriot, représentant les socialistes favorables à la paix et s’imaginant que l’Internationale Communiste valide ce positionnement et qu’il est ainsi possible de sauver le Parti socialiste SFIO ;
– celle avec Raymond Péricat, représentant les syndicalistes considérant que l’Internationale Communiste permet de récupérer les thèses syndicalistes révolutionnaires invalidées par le fait que l’ensemble de la CGT a soutenu l’Union Sacrée.
Fernand Loriot est à l’origine la pointe d’un mouvement de contestation pro-paix chez les socialistes. Avant même la fin de la guerre, le Parti socialiste SFIO tint un Conseil national, les 28-29 juillet 1918, ainsi que son 15e congrès, du 6 au 10 octobre 1918. Expression de la révolte contre la guerre, les partisans d’une fin de la guerre l’emportent, avec à leur tête Jean Longuet.
La motion de Jean Longuet obtint 1 544 voix au Conseil national, celle plus à gauche de Fernand Loriot en obtenant 152, la motion de Pierre Renaudel pour l’ancienne majorité en obtenant 1 172 (pour 96 abstentions et 31 absents).
Au congrès, Pierre Renaudel qui avait succédé à Jean Jaurès à la tête de l’humanité est alors remplacé par Marcel Cachin. Louis Dubreuilh, secrétaire général de la SFIO depuis 1905, est éjecté et remplacé par Ludovic-Oscar Frossard.
La tendance de Fernand Loriot n’est donc, à ce moment-là, qu’une pointe de celle de Jean Longuet. Les soutiens à Fernand Loriot sont éclectiques et simplement pacifistes, lui-même n’a pas d’orientation, devenant simplement trésorier-adjoint dans la Commission administrative permanente.
Cela laisse un espace pour les syndicalistes pro-révolution russe autour de Raymond Péricat, qui fondent en mai 1919 un « Parti Communiste » dont l’organe « Le Communiste » se présentait comme « organe officiel du PCF et des soviets adhérant à la section française de la IIIe Internationale de Moscou, des conseils ouvriers, de paysans et de soldats ».
Il n’y avait bien entendu aucune reconnaissance de la IIIe Internationale et en décembre 1919 ce « Parti Communiste » se transforma en « Fédération Communistes des Soviets », pour disparaître très rapidement. C’est anecdotique, mais révélateur de comment en France la IIIe Internationale était un lieu de projection.
Ne restaient alors plus que les partisans de la IIIe Internationale au sein du Parti socialiste SFIO, le Comité pour la reprise des relations internationales étant devenu en mai 1919 le Comité pour l’adhésion à la IIIe Internationale.
Après la victoire de la tendance de Jean Longuet, les ex-majoritaires cherchent bien entendu à reprendre la main, mais ils échouent, les plus à droite s’éloignent alors souvent, fondant le journal La France libre en 1918, un Parti socialiste français en 1920 avec de nombreux députés, etc.
La SFIO penche de toute façon toujours plus vers la gauche et au congrès de 1919, la motion d’Alexandre Bracke triomphe avec 1 763 mandats contre 333 en prônant un refus de toute alliance avec les partis bourgeois.
Alexandre Bracke, intransigeant ici en reprenant la ligne d’avant 1914, avait entre-temps été en première ligne dans l’Union Sacrée et même à l’œuvre pour l’intégration des socialistes dans le gouvernement !
Il ne manquait plus que le mouvement de masse pour pousser davantage cet élan sentimental-romantique vers la révolution russe.
En avril 1919, alors que le meurtrier de Jean Jaurès est acquitté, 300 000 personnes défilent à Paris et le premier mai qui suit se transforme en bataille rangée avec la police, faisant au moins 430 blessés dans les rangs de celle-ci et un mort chez les manifestants, l’ouvrier électricien Charles Lorne, dont l’enterrement rassemble 300 000 personnes.
Le même mois, la flotte française de la mer Noire, en opération contre la révolution russe, connaît une révolte, sur le Waldeck-Rousseau, le France, le Jean-Bart, le Justice… alors qu’André Marty tente avec le torpilleur le Protet de rejoindre l’armée rouge.
La grève est alors massive dans tout le pays en juin, avec notamment 500 000 grévistes à Paris, l’ensemble des mineurs du Nord ; 1919 est marqué par 2026 grèves et 1 151 000 grévistes. Cependant, l’incapacité à organiser le 21 juillet 1919 une grève politique contre l’intervention en Russie soviétique sera également extrêmement mal vue par l’Internationale Communiste venant de se former.
1920 verra ensuite 1832 grèves avec 1 317 000 grévistes, mais la tactique des « grèves successives » aboutit à un échec des grèves dans les métaux, puis dans le bâtiment, les transports, l’éclairage, les dockers, etc.
Pourtant, les masses s’organisent : de 34 000 membres en 1918, le Parti socialiste SFIO en a 150 000 au début de l’année 1920 ; la CGT a quant à elle désormais 2,5 millions de membres.
Cela se produit dans un contexte explosif : en 1920, le coût de la vie est de 400 % celui de 1914. L’agitation populaire est telle qu’avant le premier mai 1920, le ministre de la Guerre André Lefèvre prévient :
« Il faut bien qu’on sache que l’armée reste la force publique, et qu’à l’avenir on n’ignore plus qu’elle sera munie de cartouches. »
Cependant, le Parti socialiste SFIO ne parvient pas à émerger. Aux élections de novembre 1919, il n’obtient d’ailleurs que 1,8 million de voix sur 8 millions d’électeurs. Il faudra que ce changement quantitatif avec le mouvement de masse provoque un changement qualitatif avec les congrès de Strasbourg et de Tours, qui ont lieu au début et à la fin de l’année 1920.
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au lendemain de la première guerre mondiale