La tentative fasciste de coup de force de février 1934 a provoqué une réaction massive des ouvriers, et l’unité à la base des socialistes et des communistes, poussée par la ligne de Front de ces derniers, a abouti au Front populaire, qui triomphe aux élections de 1936.
Le Comité national du Front populaire pose ainsi le cadre d’action :
« La défaite du fascisme et de la réaction doit être décisive.
Il sortira de la compétition électorale une majorité résolue à ne soutenir qu’un gouvernement qui, sans tarder un jour et sans se laisser arrêter par les manœuvres coutumières, s’attellera à réaliser le programme élaboré. »
Et pourtant, le Front populaire qui a triomphé en 1936 n’existe pas sous une seule forme, qui serait populaire et antifasciste, mais sous quatre formes.
Les deux premières s’opposent : le Front populaire est un mouvement d’unité populaire, qui se concrétise par l’unification syndicale et par l’unification électorale. La victoire aux élections de 1936 et la mise en place du gouvernement est ce qui nous intéresse ici.
Mais il faudra alors ensuite affronter l’autre aspect : la déroute du Front populaire, dont le gouvernement va s’effondrer devant le manque de cohérence de sa politique tiraillée par les radicaux d’un côté, les communistes de l’autre.
Le Front populaire, pour faire simple, a mis en place des réformes de portée révolutionnaire, et il n’est pas allé au bout, ce qui a provoqué sa chute.
Les deux autres aspects vont être abordés également, tant pour la victoire que pour la déroute. Ils ne sauraient être analysés en détail toutefois, car il faudrait une immense profusion de détail. Ils concernent en effet tous les deux la modernisation du pays.
On parle des masses françaises, leur mise à jour, d’un côté, et les modifications immenses dans l’appareil d’État de l’autre. Avec le Front populaire, les masses font irruption dans le capitalisme : il y a pour elles les vacances et les loisirs, la culture et l’éducation, une participation à la vie de l’entreprise (par les syndicats) et une reconnaissance de branches pour les emplois.
Il est possible de dire que la modernité capitaliste commence avec le Front populaire et ses mesures ; tout ce qui existe après dans la France capitaliste depuis n’est que le prolongement, l’amélioration, l’aménagement, l’approfondissement des mesures prises.
Avant le Front populaire, le travailleur était un individu face à un patron, avec une industrie qui conservait l’esprit de l’atelier, et un poids démesuré accordé à l’idéologie des campagnes. À partir du Front populaire, il y a une classe laborieuse divisée en différents secteurs d’activité, avec un encadrement généralisé par des accords de branches et une présence syndicale.
Le Front populaire n’est ainsi pas seulement une expression de la victoire populaire, avec un arrière-plan tendant au socialisme, au communisme. C’est également un succès de la bourgeoisie moderniste, avec un strict équivalent aux États-Unis qui est le « New Deal » sous la direction du président Franklin Roosevelt.
Il existe à la même période deux pays qui connaissent exactement la même problématique. Il y a ainsi l’Espagne, où le coup d’État de l’armée contre le nouveau gouvernement, également de Front populaire, provoque une onde de choc transformatrice. Et il y a le Mexique, où le président Lázaro Cárdenas élu en 1934 mène des réformes modernisatrices massives, tout en soutenant l’Espagne républicaine et se mettant relativement en phase avec la ligne internationale de l’URSS de Staline.
Un point est ici à considérer. La victoire du Front populaire a provoqué une vague immense de grève dans la partie urbaine du pays, en touchant même relativement les campagnes. Ce mouvement a été totalement pacifique et il n’y a pas eu de contestation ouverte du capitalisme, malgré un immense folklore révolutionnaire assumé.
Quand on voit le déroulement, on comprend que cela a été une véritable explosion à la suite d’une pression trop longtemps contenue. Or, on va retrouver exactement la même problématique avec le mouvement de mai-juin 1968.
Dans les deux cas, en 1936 et en 1968, on a une pression immense dans les masses et, subitement, l’affirmation qu’il n’est plus possible de vivre comme avant, qu’il faut changer de mode de vie, que le cadre général doit connaître une vaste adaptation.
Il y a certainement une réflexion à faire sur ce sujet, au sujet de Français trop raisonnables pour aller dans le sens de la révolution, et se retrouvant pris au piège, ce qui les force à agir de manière massive le dos au mur. On peut y voir au moins une clef culturelle de la question française.
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