Au moment du sixième congrès de l’Internationale Communiste, les contradictions inter-impérialistes battent leur plein.
La Grèce et la Bulgarie sont sous la coupe britannique, la Tchécoslovaquie et la Roumanie sous la coupe française. La Yougoslavie est au cœur d’une rivalité franco-britannique, l’Italie bien plus faible cherchant à s’y faire une place, tout en visant également l’Autriche.
À cela s’ajoute en Europe des questions nationales multiples nées du découpage de 1918 (la Hongrie a perdu une partie significative de sa population, le Sud-Tyrol autrichien est désormais italien, la Macédoine est à cheval sur plusieurs pays, etc.).
Le Bulgare Vassil Kolarov, membre du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, souligne d’ailleurs que dès que la guerre serait déclarée, il faudrait dans les zones des nations opprimées immédiatement aller dans les montagnes pour lancer la guerre de guérilla.
L’Écossais Tom Bell présente comme suite le noyau dur de la dynamique conflictuelle inter-impérialiste :
« L’ antagonisme anglo-américain est, à l’heure actuelle. l’antagonisme fondamental.
Son développement futur conduira inévitablement à la guerre. Les années qui viennent seront remplies par les préparatifs militaires et politiques de la prochaine guerre.
Ses principaux participants seront la Grande-Bretagne et l’Amérique. Cette préparation sera la clé fondamentale de la situation internationale dans la période qui vient. »
Il souligne que la prochaine guerre sera d’une ampleur bien plus grande encore qu’en 1914-1918 ; c’est un exemple tout à fait parlant de comment, dès 1928, l’Internationale Communiste a parfaitement compris la tendance historique du moment :
« Nous sommes témoins d’un développement ininterrompu du militarisme et d’une accélération gigantesque du rythme de la préparation à la guerre des pays dits grandes puissances.
Les chiffres que nous possédons montrent nettement, que la prochaine guerre impérialiste dépassera en ampleur la guerre de 1914-18. que personne n’a plus l’audace d’appeler la dernière des guerres. »
Il mentionne également un aspect essentiel, celui de la Pologne :
« Pour conclure, je veux indiquer que, précisément au moment où nous débattons au Congrès la question de l’attitude de l’Internationale Communiste devant la guerre, nous apprenons que le conflit entre la Pologne et la Lituanie s’est considérablement aggravé.
C’est le résultat inévitable des intrigues des puissances impérialistes. Ces événements doivent également nous rappeler la nécessité de renforcer notre action anti-militariste et d’exécuter les tâches, que le Congrès de l’Internationale nous impose.
Nous devons, dans les circonstances actuelles, défendre le gouvernement soviétique plus délibérément que jamais. Les derniers événements en Pologne confirment notre tactique fondamentale dans la question de la guerre, qui constitue en ce moment le problème principal, qui se pose devant l’Internationale Communiste.
Nous devons nous préparer à la crise qui vient, et qui sera indiscutablement une dure épreuve pour l’Internationale Communiste. »
La question polonaise est effectivement essentielle, alors que dans les pays voisins de l’URSS, en Lettonie, en Lituanie, en Estonie et en Finlande, sous influence britannique (et sous pression polonaise), les organisations du mouvement ouvrier sont écrasées et qu’il y a une mobilisation sur une base nationaliste des forces armées, voire même de la population.
La Pologne écrasa pareillement violemment la Hramada, une structure paysanne biélorusse regroupant 100 000 paysans.
C’est que l’expansionnisme polonais est particulièrement violent ; à sa tête, on a Józef Piłsudski, dont l’obsession est la destruction de la Russie pour laisser la place à un empire polonais.
Initialement socialiste, Józef Piłsudski prit le pouvoir par un coup d’État en 1926 et développa un régime autoritaire nationaliste anticommuniste, équivalent à celui de la Finlande. La différence était que l’expansionnisme polonais, dans la nostalgie de l’empire passée, était extrêmement violent.
La Pologne de Józef Piłsudski s’appuyait sur deux fondements :
– le prométhéisme, c’est-à-dire l’appui aux forces centrifuges en URSS pour provoquer son éclatement, ce qui signifie argent, matériel et espions envoyés en soutien aux forces nationalistes ;
– l’établissement de la Fédération entre Mers, sous l’égide de la Pologne bien entendu, englobant en plus d’elle la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine.
Ce dernier point est essentiel. Si le discours polonais vise à présenter cette nation de manière unilatérale comme « martyr », en réalité elle a été un empire qui n’a pas tenu. La République des Deux Nations, avec la Lituanie et la Pologne, a été une grande puissance de 1569 à 1795 ; en 1610, les forces polonaises sont à Moscou et nomment un tsar catholique pour vassaliser la Russie.
Ce fut un échec complet et la Pologne fut même ensuite rayée de la carte de 1795 à 1918, subissant alors une terrible oppression nationale autrichienne, prussienne et russe.
Józef Piłsudski intervient ici comme expression du courant polonais revanchiste, voulant refaire de la Pologne une grande puissance au cœur de l’Europe de l’Est. Une grande polémique stratégique eut d’ailleurs lieu à l’époque chez les réactionnaires, alors que la Pologne avait 27 millions d’habitants, dont un tiers de non polonais occupant toute la partie est du pays.
Le concurrent du socialiste « impérial » Józef Piłsudski était le « national-démocrate » Roman Dmowski, qui prônait une Pologne « ethniquement homogène », uniquement catholique, avec également une alliance avec la Russie. Le « camp de la Grande Pologne » de Roman Dmowski adopta toujours plus une ligne ouvertement fasciste, dans une version donc nationaliste étroite, à l’opposé de la lecture impériale de Józef Piłsudski.
Ce dernier, avec sa vision expansionniste, était évidemment un levier formidable pour les pays capitalistes pour pousser à la déstabilisation de l’URSS ; d’innombrables campagnes d’espionnage et de sabotage partirent de Pologne.
Le grand souci était qui plus est que dans toute cette fièvre nationaliste polonaise, le Parti Communiste ne parvenait pas à avancer, plafonnant en dessous de 20 000 membres, tout en se divisant en de multiples fractions scissionnistes, représentant une véritable catastrophe aux yeux de l’Internationale Communiste qui devait constamment faire la police.
Celle-ci va d’ailleurs pas moins que dissoudre en août 1938 à la fois le Parti Communiste de Pologne, le Parti Communiste de Biélorussie occidentale et celui d’Ukraine occidentale, considérant qu’ils ont été infiltrés par les services secrets polonais.
Cette situation polonaise joua un rôle immense dans la priorité stratégique soviétique de neutraliser à tout prix la Pologne en cas de guerre mondiale.
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de l’Internationale Communiste