Publié dans Crise, numéro 28, décembre 2024
La désorganisation issue de la pandémie de Covid-19
Avant les années 2010, le trafic de drogue était essentiellement composé de gens agissant à la marge. Il s’agissait surtout de se faire un peu d’argent par la contre-bande, puis très vite on réintégrait une vie normale, sauf pour les noyaux durs des mafias.
À partir des années 2010 commence à se structurer des réseaux militarisés, disposant d’une main d’œuvre fiable et agissant par terreur pour contrôler et étendre leurs points de distribution. Un des faits qui marque le basculement est la mort d’un jeune guetteur de 16 ans à la cité du Clos la rose à Marseille, à la fin novembre 2010, tué de plusieurs balles de kalachnikov tirées par un commando à bord d’une voiture. Lors de cette « expédition punitive », un jeune de 11 ans revenant du centre-ville et à l’écart des trafics est lui aussi pris pour cible, s’en sortant par chance malgré qu’il ait reçu 5 balles.
Comme pour le reste de l’économie, l’irruption du Covid-19 est venu perturber de plein fouet les réseaux structurés et stabilisés dans les années 2010. Lors du premier confinement mis en œuvre face à la première vague de Covid-19 en mars 2020, l’État n’a pas pu faire face à la pression opérée à l’intérieur des prisons.
De fait, des très nombreuses personnes condamnés pour trafic de drogue ont été libérées et se sont revenues dans leur quartier d’origine. Sur les près de 6600 prisonniers libérés, une partie était concernée par les trafics de drogue ; ceux pour terrorisme, acte criminel ou violence intra-familiale étant exclus des modalités de libération anticipée.
C’était là ouvrir la boîte de pandore car dans le contexte de désordre général occasionné par la pandémie, il ne pouvait que se produire un bond qualitatif vers une nouvelle situation.
La rupture des chaînes d’approvisionnement et l’explosion de la production de drogues, notamment de cocaïne qui a suivi, appelait à la renégociation des marchés de distribution.
Cet enjeu avait bien été souligné par la revue Crise en avril 2020. Il y était écrit :
« Le marché de la drogue est plus que tout autre conditionné par le flux-tendu. La rupture d’approvisionnement a été fatale, et cela d’autant plus que de nombreux consommateurs ont constitué des stocks juste avant le confinement. On a là aussi un aspect de la profonde décomposition morale, psychologique, d’une partie de la jeunesse masculine française, littéralement paralysée par la crise.
L’effondrement de l’offre s’est donc réalisée en parallèle d’une explosion de la demande, avec une chute d’au moins un tiers du trafic. Le résultat a été que les prix ont explosé, avec une hausse estimée entre 30 à 60 %.
La barrette de 100 grammes de cannabis est par exemple passée de 280 à 500 euros en une semaine, augmentant les rivalités entre bandes de dealers. »
De ce fait, les associations de criminels formés avant la crise du Covid-19 ont du revenir à la charge de manière plus affirmée, tant dans leur capacité d’approvisionnement que dans celle du contrôle de la main d’œuvre et des points de distribution.
Il a fallu garantir les anciens points de distribution mais aussi et surtout en conquérir de nouveaux, occasionnant de nombreux règlements de compte, participant à la réorganisation-désorganisation générale des anciens réseaux. L’affrontement le plus connu étant à Marseille entre la « Yoda » et la « DZ Mafia » pendant l’année 2023.
Un autre aspect a été l’explosion de la production consécutive à l’explosion de la consommation, notamment de cocaïne et de drogues de synthèse. En 2023, on parle de cinq millions de consommateurs de cannabis, mais aussi de près de 600 000 de cocaïne.
Cette nouvelle tournure est marquée par l’implication croissante de jeunes, voir de très jeunes personnes recrutées sur les réseaux sociaux pour occuper les postes du bas de l’échelle du trafic mais aussi pour remplir des missions de liquidation de concurrents ou d’intimidation de tout un point de deal.
Dans le contexte de crise générale du capitalisme, il a fallu reconquérir les anciens points de deal, tout autant que s’élargir. Cela a débouché sur le renforcement des réseaux, allant jusqu’à la cartellisation, la transformation en véritable cartel ou du moins un grand pas en ce sens, comme l’illustre la « DZ Mafia ».
Tout cela n’aurait pas été possible sans avoir au préalable un état d’esprit favorable, tout à la fois du côté des consommateurs et du côté des « travailleurs » (« charbonneurs », « charkleurs »…).
La décompression psychique d’après les confinements a ainsi produit un terrain social et culturel propice à l’éclosion de personnalités mi-zombies, mi-gangster ainsi qu’à banaliser la consommation généralisée de drogues dans la société allant jusqu’au relativisme le plus complet quant aux conséquences du trafic.
Lumpenprolétaires et zombie life-style
Les « émeutes » de juin 2023 à la suite de la mort du chauffard Nahel ont rappelé à la France le poids social et culturel pris dans la société par le lumpenprolétariat. Ce poids se caractérise par le triomphe de la mentalité du « petit seigneur » qui permet à des individus décomposés de se relancer dans la vie capitaliste par la terreur anti-sociale.
C’est un retour en arrière en ce qu’il remet au goût du jour la mentalité esclavagiste. C’est-à-dire dans une société capitaliste développée où l’individu-égocentré doit se valoriser sur les marchés de la société de consommation en utilisant et exploitant les autres par des moyens de truquage, de combine, de mensonge, voir pour certains la violence. C’est le cannibalisme social ou « l’art » de manger les autres pour favoriser sa propre existence, sa propre valorisation sociale.
Si l’on ajoute à ce contexte historique le fait que certains pans du lumpenprolétariat se trouvent d’ores et déjà ancrés dans des mécanismes de reproduction sociale permettant une certaine stabilisation autour du trafic de drogue, ainsi que le climat général de fatigue psychique sur fond d’esprit récréatif-libéral, on a alors les conditions historiques pour que l’extension du narcotrafic se réalise sans obstacles de taille.
Plus généralement, l’individualisme, l’entrepreneur conquérant, la survivance d’une mentalité à moitié féodale dans une immense partie du monde, « l’happycratie » récréative permanente, l’oubli de soi et d’autrui forment autant de valeurs issues d’une société bourgeoise en putréfaction qui produit en retour des horreurs, des monstres.
Car dans la couche du lumpenprolétariat, ces valeurs qui accompagnent le modèle de la réussite bourgeoise ne peut que prendre une tournure morbide et mortifère.
C’est là que se joue le retour en arrière comme moyen de parvenir à gagner de grosses sommes d’argent : c’est la quête de l’argent rapide que l’on espèce obtenir à peu de frais dans une société qui a abandonné toute envergure morale et culturelle.
Cela aboutit à des faits terribles comme ce 6 octobre 2024 où le chauffeur VTC Nassim Ramdane est abattu par un adolescent de 14 ans sur la route d’une mission visant à liquider des concurrents pour le compte d’un donneur d’ordre de 23 ans agissant depuis sa prison.
Cet adolescent avait lui-même des parents incarcérés pour trafic de drogue, errant par conséquent entre familles d’accueil, foyers et points de deal, avant donc de devenir « charcleur » (tueur à gage, sorte de sicario à la française). On a là de très jeunes personnes en décrochage total avec la réalité, totalement désensibilisées au contact d’autrui et du réel.
Ainsi comme l’a souligné à plusieurs reprises les précédents numéros de la revue Crise, les débuts de la seconde crise générale du capitalisme se matérialise par une spécificité historique, celle d’un lumpenprolétariat en roue libre.
À la différence des XIXe et XXe siècle, notre époque est marquée par l’inexistence d’une classe ouvrière organisée, au sens où c’est une classe irresponsable quant à sa mission historique, et par une bourgeoisie décadente qui ne porte plus rien de positif, de constructif. Il n’y a donc plus d’encadrement social effectif qui tienne.
Dans un tel contexte, le lumpenprolétariat cannibalisé devient l’agrégateur d’un style, d’une mode valorisée et valorisante pour des tas de zombies de la métropole. Ce mode de vie, car c’en est un, se propage alors à tous les étages de la société, avec donc son attitude, ses codes, ses habits, sa musique, son mode de déplacement. On pensera ici à bon nombre de clips de rap valorisant ce mode de vie.
Ce mode de viese nourrit du pire de la bourgeoisie « moderniste » et du pire des restes du passé féodal.
Pour la bourgeoisie, la valorisation typique des comportements lumpen est un miroir inversé de sa propre condition cosmopolite, anti-sociale, ultra-individualiste, de la même manière que la mentalité de petit seigneur agissant pour sa propre compte sans égard pour autrui est le reflet de l’ultra-riche ayant coupé les ponts avec le reste de la société.
En mettant en avant une telle attitude qu’elle qualifie de « populaire » car ayant une lecture misérabiliste et populiste du monde, la bourgeoisie espère se protéger du feu de la lutte des classes en paralysant la classe ouvrière. En ce sens, la substance de la seconde crise générale ne diffère pas ici de la première crise générale avec un lumpenprolétariat qui joue toujours ce rôle de supplétif culturel de la bourgeoisie.
En somme, on peut résumer un des aspects de la seconde crise générale comme suivant : crise du capitalisme + décadence de la bourgeoisie = valorisation du lumpenprolétariat = banalisation du cannibalisme social.
L’État bourgeois dépassé par la situation
Comme on le sait, la bourgeoisie ne pense pas, elle ne planifie pas. Lorsque la crise du Covid-19 a tout désorganisé, elle n’avait pas conscience du phénomène, moins encore des conséquences. C’est tout à fait vérifié avec la question des prisonniers libérés lors du premier confinement et de manière plus générale sur le délitement de la prison comme moyen d’isoler les éléments anti-sociaux.
De nombreux réseaux de trafic sont ainsi pilotés directement par des détenus emprisonnés, la prison ne jouant plus aucun rôle contre l’extension des mafias. Car au-delà du fait que des dealers continuent leur business malgré leur emprisonnement, la prison est une plateforme de rencontre où des alliances se nouent, permettant aux réseaux de se transformer progressivement en des cartels.
Une des raisons à ce processus réside dans le déploiement de nouveaux moyens technologiques tels que l’usage de drones pour se faire acheminer des téléphones portables.
Bien qu’infiltrés et craqués en 2020 par la gendarmerie, il faut citer les EncroPhone, des téléphones sécurisés aux messageries cryptées, déjà utilisés par certains cartels mexicains ayant permis d’éviter de trop grosses saisies policières.
Mais c’est surtout dans le relâchement du personnel pénitentiaire et de tout l’appareil d’État que réside le problème, avec une tendance à laisser-faire, laisser-passer dans le but de gagner la paix civile dans des prisons surchargées.
Un fait marquant illustrant ce processus est sans aucun doute l’exfiltration par un commando ultra-militarisé du détenu Mohammed Amra dans le département de l’Eure au péage d’Incarville lors d’un de ses déplacements à bord de véhicules de l’administration pénitentiaire d’une prison de Normandie vers une autre. Outillés d’armes de guerre, le commando est parvenu à localiser le convoi et à le bloquer en sens inverse à la sortie du péage, faisant directement feu et tuant deux agents.
En décembre 2024, soit sept mois plus tard, le fugitif Mohammed Amra n’a toujours pas été retrouvé, ni même les membres du commando. C’est dire la capacité d’intervention des mafias en France contre, ou plutôt face à l’État lui-même.
Bien que des signaux étaient au rouge, et que des évènements hallucinants tels que l’affrontement tribale et armée à Dijon en juin 2020 sur lesquels la revue Crise s’était penché alors, l’État n’imaginait pas qu’un convoi pénitentiaire puisse être attaquer par un commando ultra-militarisé. La faillite est ici palpable et le réveil douloureux avec une société qui a brutalement pris conscience des enjeux réels.
Cette déliquescence du rôle de la prison est un témoin directe de l’érosion des capacités de direction de la bourgeoisie, devenue incapable de faire appliquer correctement des peines en visant la protection de la société dans son ensemble.
Car dans les faits, cette relative prise de contrôle des dealers sur les prisons aboutit à renforcer leur emprise sur les territoires, et donc à déliter les liens sociaux.
La sécurité n’est plus garantie dans certaines parties du territoire du pays avec pour conséquence le quasi remplacement de l’État par les réseaux criminels dans la gestion des affaires courantes. On parle ici d’immeubles, voir de quartiers tout entier. Le réseau prend ainsi en charge ses salariés sur un mode féodal, avec notamment des dommages et intérêts versés à la famille de jeunes « guetteurs » ou « charbonneurs » assassinés.
De manière plus générale, ce sont les jeunes les plus décomposés qui se retrouvent pris en charge par ces réseaux, devenant ainsi de la main d’œuvre disponible pour l’ensemble du réseau, c’est-à-dire évoluant au gré des jours sur plusieurs points de deal de la région.
De fait, une telle « socialisation » n’aurait pas été possible sans la diffusion des téléphones portables et des réseaux sociaux qui rendent la communication pour les recrutements sécurisées et fiables. On est plus dans le dealer vivant et évoluant dans son propre quartier, mais dans un secteur économique qui a réussi à « salarier » une partie de la jeunesse lumpen.
Cette prise de contrôle social s’étend maintenant vers le contrôle des flux légaux locaux et la remise en question de la présence étatique elle-même En valent pour preuve les rackets d’épicerie et de petits commerces à Marseille, l’intimidation débouchant sur la fermeture d’une agence d’office HLM dans un quartier à Nantes en 2023, la déviation de lignes de bus en banlieue lyonnaise la même année, la suspension du distribution du courrier postal dans un quartier de Saint-Nazaire ou bien la fermeture d’une cantine scolaire à Échirolles en 2024.
Ce qui se passe, c’est bien la tendance à la « mexicanisation » de la France, avec des poches territoriales où les mafias imposent un « nouvel » ordre fondé sur un retour en arrière fait de racket, de règne de la terreur de type seigneuriale, mais aussi d’encadrement social et culturel d’une partie de la jeunesse.
La bourgeoisie avait établi un « deal » avec les trafics en tant qu’expression historique : l’État devait laisser relativement la drogue circuler pour garantir la paix sociale, mais cela ne devait pas déborder un cadre délimité. Par-exemple, les bailleurs HLM acceptent le paiement en cash des loyers, ce qui en dit long sur la tolérance envers les revenus du narcotrafic.
Mais depuis l’irruption de la crise en 2020, de nombreux faits attestent d’agissements de trafiquants débordant du cadre et impactant la vie civile elle-même : la société française est au début de la prise de conscience du poids considérable pris par les agissements des réseaux de drogue.
Pourri par le libéralisme et par un nivellement vers le bas de ses propres cadres salariés dirigeants, la bourgeoisie est dépassée par la situation. Quoi qu’elle fasse, elle ne peut plus grand-chose contre le narcotrafic et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il y a la situation financière d’un État au bord de la faillite, devant forcément chercher à limiter le budget en faveur des forces régaliennes comme la police et la gendarmerie, et cela même dans un contexte où ces mêmes forces sont accaparées par le travail administratif et la gestion des violences intra-familiales ne restant plus dans le silence des vies privées.
Mais là n’est pas l’aspect principal. La question de fond réside dans la nature d’un capitalisme en crise qui a trop laissé couler les choses, avec une corruption de basse intensité qui agit comme le meilleur corrosif. L’État a laissé faire en ne bousculant pas trop les choses afin de garder un peu de calme civil, se retrouvant vite pris au piège des sommes colossales en jeu, permettant une masse de corruption.
On parle ici de rémunérations folles pour réaliser des « petits faits » opérés aux bons endroits des maillons des trafics : fermer les yeux sur le déplacement d’un conteneur transportant de la drogue dans un port, faire traîner la rédaction d’un acte juridique le rendant caduque, faire fuiter par erreur des données d’un fichier de police permettant la fuite ou le déplacement des « nourrices », conserver quelques kilos de drogues chez soi, participer à l’investissement dans un bail commercial légal pour faciliter le blanchiment…
Enfin, on notera ici le rôle important joué par la monnaie fiduciaire, dont l’économie légale qui pourrait être définitivement remplacé par la monnaie scripturale mais cela entraverait les trafics et son rôle dans l’accumulation capitaliste.
C’est la raison pour laquelle l’institut de statistique (INSEE) de l’État bourgeois a intégré en 2018 le trafic de drogue dans le calcul du PIB. C’est là le reflet de l’intégration du trafic de drogue comme secteur du capitalisme, jouant un rôle particulier dans la circulation du capital tout autant dans la métropole impérialiste que dans certains pays semi-coloniaux, semi-féodaux.
L’imbrication des têtes de réseau dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux
Le trafic de drogue ne pourrait exister dans son ampleur actuel sans qu’il n’y ait une imbrication profonde avec des pays tels que le Maroc, l’Algérie, la Thaïlande, Dubaï.
D’abord parce que ce sont des zones arrières éloignées des ennuis immédiats du trafic, ensuite parce que les têtes se trouvent au plus près de la production de la drogue. On sait comment la vallée du Rif au Maroc est le premier producteur de cannabis illégal à destination de l’Europe. Enfin, surtout, ces pays sont importants car ils regorgent de facilités pour le blanchiment de l’argent.
On parle de pays aux traditions féodales, favorisant les échanges contractuels informels sans être trop regardant sur l’origine des sommes en jeu. Aussi Dubaï et la Thaïlande forment des espaces de vie typique pour satisfaire ces gros capitalistes cherchant à dépenser leur argent dans la décadence la plus totale. Cela alimente en retour les aspirations régressives des salariés d’exécution du réseau, cherchant à atteindre au plus vite ce train de vie.
Ces pays sont également des points d’appui pour le blanchiment de l’argent. Le chiffre d’affaire d’un point de deal se partage en frais fixes, comme payer les salariés du réseau, les voitures, les armes, etc., et le reste revient au gérant-propriétaire qui se doit donc de trouver une solution pour réutiliser des sommes astronomiques disponibles seulement en liquide.
Pour ce faire, un trafiquant peut jouer la carte du réinvestissement de sommes de moyenne importance dans des petits commerces comme des épiceries, des kebab, « barber shop », etc.
Il y a aussi la prise de contrôle des boites de nuit pour générer ensuite des fausses factures facilement dissimulables du fait des sommes dépensées en liquide lors de soirées spéciales. La mort de Nicolas devant la discothèque Le Seven à Saint-Peray le 31 octobre 2024 relevait d’une de ces tentatives de prise de contrôle.
Mais il y a d’autres moyens plus complexes. Ce sont par-exemple les partenariats avec des entreprises de construction qui emploient une main d’œuvre non déclarée issue de l’immigration, et a donc besoin de cash. Les trafiquants interviennent dans le blanchiment par ce biais là, et les patrons des entreprises montent des sociétés écrans générant des fausses factures pour rembourser les sommes en cash. Cette forme de blanchiment ne pourrait exister sans le processus d’émigration-immigration des pays semi-coloniaux, semi-féodaux vers les métropoles impérialistes.
Enfin et surtout, il y a le rôle joué par les « sarrâfs » qui signifie « agent de change » en arabe. Un « sarrâfs » est une sorte de financier occulte, dont l’origine vient du Moyen-Age lorsque des banquiers facilitaient les échanges le long des routes commerciales du Moyen-Orient en pratiquant l’hawala.
L’hawala est une méthode de transfert d’argent informel qui repose entièrement sur la confiance entre les contractants qui se connaissent sur une base le plus souvent communautaire. L’argent de la drogue est ainsi remis à des collecteurs agissant pour le compte du « sarrâfs » qui dispose d’équivalents dans d’autres pays et remet cette somme à la tête de réseau dans le pays où il réside.
Très difficile à tracer et fonde sur une confiance interpersonnel, le système des « sarrâfs » permet de blanchir des sommes très importantes… Cela peut également fonctionner sous la forme de « compensations » immobilières ou foncières. Ce système de l’hawala est central pour le blanchiment des sommes les plus importantes du trafic, notamment pour acquérir des terrains ou des immeubles.
Le développement de pays tels que le Maroc ou bien Dubaï, ayant bénéficié du développement capitaliste de ces trente dernières années, permet d’offrir une base arrière aux têtes de réseaux tout en continuant à proposer des relations aux mœurs semi-féodales essentielles au maintien des formes de blanchiment.
Un exemple : les prétentions « républicaines »
de Fabien Roussel du PCF contre les narcotrafics
À Grenoble en septembre 2024, Lilian Dejean, un agent public en service était abattu par balles par un meurtrier issu du narcobanditisme. C’est que la narcotrafic à Grenoble s’est emparé de nombreux endroits de la ville et de ses banlieue, faisant régner un climat de terreur insupportable pour bon nombre de gens.
C’est le cas notamment du quartier Saint-Bruno dans le centre-ville régulièrement touché par des règlement de compte par armes à feu, la direction de l’école situé aux abords de la place centrale modifiant parfois les itinéraires de sortie scolaires des enfants. Face au pourrissement de la situation, 300 habitants organisés dans un collectif se sont rassemblés samedi 23 novembre 2024 pour exiger une prise en charge de la sécurité. On parle de fusillades régulières dans une ambiance délétère de terreur, certaines balles ayant récemment atteint des logements et avec des itinéraires de sortie scolaire devant être déviés pour éviter la place centrale du quartier.
Or Grenoble, c’est aussi sa banlieue avec une tradition liée à l’implantation du PCF, ce qui avait fait une ceinture rouge. Échirolles relève de cet héritage avec un mairie tenue par le PCF depuis 1944. Dans un de ses quartiers de la ville, le narcobanditisme pratique une terreur quotidienne, avec notamment un point de deal devant l’école Elsa-Triolet, poussant dernièrement le maire à fermer la cantine scolaire. À Saint-Martin-d’Hères, commune limitrophe d’Échirolles dirigée par un maire soutenu par le PCF, c’est un « drive » pour la drogue qui est installé au cœur d’une aire de jeu pour enfants….
C’est la raison pour laquelle Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, s’est rendu en Isère mardi 26 novembre 2024 en mettant en avant cette thématique. Après s’être rendu à un rassemblement de 400 personnes à l’appel de la maire d’Échirolles pour demander l’installation d ’un commissariat de plein exercice, il s’est rendu à Pont-de-Claix pour apporter son soutien aux salariés de l’industrie chimique Vancourex menacée de fermeture, avant de terminer par un meeting à Fontaine sur le thème de la sécurité et de la lutte contre les narcotrafics.
Fabien Roussel a joué le tribun populaire, avec la prétention de « prendre la tête de ce combat à gauche dans tout le pays ». Il y a distillé des formules chocs, comme « Barrons la route à la drogue », « Délinquants en col blanc, en prison comme tout le monde ». Et la maire PCF d’Échirolles Amandine Demore de parler du trafic d’armes et de drogues comme le « pire du système capitaliste ».
Des formules qui frappent mais sont totalement vaines… Car pour le PCF, l’expansion du narcobanditisme serait seulement la faute de l’État, rien que de l’État avec la perte d’effectifs dans les instances régaliennes (police, justice, douanes, enquêteurs…). Le combat contre le narcobanditisme serait le « combat de tous les républicains » , « au-delà des clivages ».
En bon élève le PCF veut présenter un projet de lutte contre le narcotrafic au Ministère de l’intérieur début janvier 2025, dont on sait déjà qu’il ne sera guère différent de ce que contient finalement le rapport du Sénat de mai 2024. En effet, selon Fabien Roussel, il s’agirait d’avoir p lus de policiers et douaniers en lien avec une traque des réseaux bancaires du blanchiment pour en finir avec le narcotrafic.
Évidemment, ce sont là des aspects de la bataille, mais qui en néglige la nature fondamental : celle de la mobilisation du peuple sur des valeurs nouvelles. Ce que ne dit pas le PCF c’est que le pourrissement du capitalisme engendre forcément un pourrissement des mentalités, une moisissure de l’esprit fait de passivité et de fuite en avant dont la drogue est un des exemples les plus morbides et mortifères. Le problème est ainsi historique et culturel et non pas seulement « sécuritaire ».
Le PCF s’est laissé couler et ses anciens bastions se sont transformés en des pointes avancées du deal. C’est vrai de la banlieue de Grenoble comme de la Seine-Saint-Denis. Il faut se souvenir ici de la mort en juin 2020 par règlement de compte à Saint-Ouen d’un jeune homme présenté comme chef du point de deal local tout en étant sympathisant du PCF, apprécié de ce parti lui-même !
Le PCF a continué sa vie tranquille marquée par la sociabilité associative « pépère ». Ainsi Fabien Roussel peut-il encore parler lors de son meeting à Fontaines d’une vie pleine de rêves à Grenoble car elle serait une ville entourée des montagnes et de la chartreuse (alcool local très fort) et des « meilleures vins rouges ». Le PCF peut donc avancer un combat « républicain », cela est carrément démagogique car en diffusant l’idée d’une possible « vie tranquille » à l’ombre d’un État déliquescent, il dessert la prise de conscience populaire de l’ampleur des tâches à réaliser.
Le poids pris par les narco-trafics impose la construction d’un nouvel État
La lutte contre la place prise par les narco-trafics en France ne peut donc se passer d’une lutte des classes aiguisée. La faillite de l’État bourgeois dans le contexte de la seconde crise générale ne pourra pas endiguer réellement l’extension des narcos car il y a un besoin de répression absolue tant de la bourgeoisie décadente que du lumpenprolétariat.
Le business de la drogue a trouvé à se nourrir de la destructuration du tissu prolétarien, en exploitant habilement des pans du lumpenprolétariat se retrouvant en errance totale. Une errance favorisée par une situation sociale marquée par la paupérisation absolue du fait d’un pays n’ayant plus de base industrielle en mesure de socialiser par le travail l’ensemble de la population.
De fait, la Révolution visant le Socialisme en France se doit de prendre en compte cette problématique avec en ligne de mire le changement moral. Car ce dont il va s’agir, c’est de modifier les consciences pour éradiquer le poids croissant de la consommation de drogue. Il va falloir combattre les consommateurs qui permettent à de tels trafics de prospérer car l’offre n’existe que parce qu’il y a une demande. À cela s’ajoute un pouvoir d’État planifiant l’industrialisation du pays pour réintégrer grâce à des camps de travail les errements du lumpenprolétariat tout autant que pour mater sévèrement les responsables de la bourgeoisie décadente. ■
Série de faits de violence anti-sociale issus du narco-banditisme impactant la vie civile en France depuis mars 2023
- 4 mars 2023 : dans le quartier Nord de Nantes, le bailleur social Nantes Métropole Habitat est fermé depuis plusieurs semaines après des intimidations et menaces de mort proférées par des dealers à proximité.
- 24 avril 2023 : à Marseille, cité La Busserine, un homme d’une soixantaine d’années meurt après avoir reçu des balles de kalachnikov alors qu’il jouait aux cartes à la table d’un café
- 10 mai 2023 : à Marseille, cité Saint-Joseph, une femme de 43 ans meurt tuée par balle alors qu’elle se trouvait dans sa voiture.
- 22 août 2023 : à Nîmes, quartier Pissevin, un enfant de 10 ans est tué par balles alors qu’il rentrait en voiture avec son oncle d’une sortie au restaurant.
- 10 septembre 2023 : à Marseille, cité Saint-Thys, une jeune étudiant de 24 ans est tuée d’une balle de kalachnikov dans la tête alors qu’elle se trouvait dans sa chambre.
- 19 octobre 2023 : à Montpellier, cité Saint-Martin, un homme tir au fusil à pompe à l’aveugle vers 21h. Une balle pénètre la salle de bain d’un appartement du 5e étage de l’immeuble, blessant une femme de 25 ans.
- Nuit du 25 au 26 novembre 2023 : À Dijon, quartier de Stalingrad, un homme de 55 ans meurt après avoir reçu des balles de kalachnikov alors qu’il dormait dans sa chambre de son appartement situé au 1er étage. L’immeuble a été mitraillé, avec près de 60 douilles retrouvées sur place.
- 14 mai 2024 : au péage d’Incarville dans l’Eure, un commando armé de kalachnikov extirpe d’un convoi pénitentiaire le détenu impliqué pour trafic de drogue Mohammed Amra. Deux agents pénitentiaires sont tués, trois sont blessés.
- 8 juin 2024 : à Marseille, cela fait un an qu’un centre médico-psychologique (CMP) est fermé à cause des violences de dealers exercées à proximité.
- 13 juin 2024 : à Rennes, la mairie ferme la bibliothèque du quartier de Maurepas le samedi car la sécurité n’est pas assurée pour les agents du fait d’un point de deal à proximité.
- 22 juin 2024 : à Cannes, deux individus cagoulés sur une moto tirs des balles de kalachnikov dans le quartier de la Frayère. Une balle traverse la cuisine d’une habitante.
- 2 juillet 2024 : à Nice dans le quartier Bon Voyage, des individus masqués patrouillent en plein après-midi dans le quartier armés de kalachnikov.
- 6 juillet 2024 : à Cahors, un père de famille d’origine russe de 36 ans est battu à mort par des dealers après s’être opposé à l’installation d’un point de deal en bas de chez lui.
- 17 juillet 2024 : à Nice, sept membres d’une même famille, dont trois enfants de 5, 7 et 10 ans, meurent dans l’incendie de leur appartement après que deux individus ait mis le feu à plusieurs étages de l’immeuble dans le cadre d’une « guerre de territoire ».
- 8 septembre 2024 : À Grenoble, un dimanche matin, l’agent municipal en fonction Lilian Dejean est abattu par des balles de petit calibre tirées par un trafiquant sorti de boite de nuit et en délit de fuite après avoir causé un accident de voiture.
- 21 septembre 2024 : à Villeurbanne, plusieurs impacts de balle sont constatés sur la façade d’un immeuble. Des balles traversent un appartement, endommageant une télévision et un canapé du salon.
- 24 septembre 2024 : la mairie PCF d’Échirolles ordonne l’évacuation d’un immeuble habité par une vingtaine de familles exposées à un « danger de mort permanent » du fait de la dégradation avancée des parties communes par les dealers
- 25 septembre : les professeurs du collège Mallarmé à Marseille exercent leur droit de retrait après des tirs d’armes de guerre sur l’établissement (87 impacts) et un tag « coffee » (signifiant un point de deal) sur l’un des murs de l’enceinte scolaire.
- 27 septembre 2024 : à Caluire-et-Cuire, les habitants cherchent à déloger des dealers venus s’installer dans le quartier. Certains sont blessés par des coups de couteau.
- 3 octobre 2024 : le chauffeur de VTC Nassim Ramdane est tué par un jeune « sicario » car il aurait refusé de le conduire lui et un de ses complices pour aller assassiner un concurrent.
- 9 octobre 2024 : une vidéo est diffusée sur les réseaux sociaux où l’on voit des individus armés, habillés de noir et cagoulés devant une table orné d’un banderole « DZ Mafia » dans un but de « non-revendication » du meurtre du chauffeur VTC Nassim Ramdane et d’un autre concurrent.
- 12 octobre 2024 : à Marseille, un bus de la ligner 23 est contraint de s’arrêter après qu’un individu armé à bord d’un scooter ait visé le bus car recherchant de passagers. La zone est connue comme l’un des plus gros point de deal de la ville, avec des bus forcés de zigzaguer entre les barrages filtrants construits par les trafiquants.
- 20 octobre 2024 : à Marseille, la direction de la RTM fait dévier une ligne de bus passant à proximité de points de deal pour protéger les chauffeurs d’une « balle perdue » issue de règlements de compte.
- 24 octobre 2024 : à Bordeaux, à 17h, un groupe de migrants liés au trafic de drogue attaque avec du mobilier urbain des commerçants sur un cours du centre-ville.
- 26 octobre 2024 : à Rennes, un père, probablement lié au trafic de drogue, avec son fils de 5 ans, est pris en chasse par un véhicule avec des individus armés à bord qui font feu. L’enfant de 5 ans est touché par balles à la tête.
- 31 octobre 2024 : à Poitiers, un affrontement violent oppose plusieurs dizaines d’individus après que certains soient venus mitrailler un « fast-food » sur la place Coimbra du quartier des Couronneries. Cinq blessés sont constatés.
- 31 octobre 2024 : à Saint-Peray en Ardèche, un jeune homme venu faire la fête est tué à l’arme de poing devant la discothèque Le Seven dans le cadre d’une tentative de prise de contrôle par la « DZ Mafia » de la boite de nuit.
- 1er novembre 2024 : dans le quartier nord de Nantes, un tir de kalachnikov traverse les pièces d’un appartement.
- 13 novembre 2024 : à Marseille, une supérette des quartiers de nord est ciblée par un commando armé de la « DZ Mafia » en vue de son extorsion.
- 18 novembre 2024 : Au quartier la Trébale à Saint-Nazaire, un pompier en tournée de vente de calendriers est agressé par une dizaine de jeunes liés au point de deal, l’obligeant à prendre la fuite.
- 20 novembre 2024 : à Saint-Nazaire, la direction de la poste suspend la distribution du courrier à une adresse impactée par le trafic de drogue et ses violences régulières. Il est envisagé de continuer la distribution du courrier « en dehors des horaires d’ouverture du point de deal ».
- 25 novembre 2024 : à Marseille, un individu asperge d’essence la porte d’un appartement où résidait une policière récemment licenciée, quelques jours après une autre tentative d’incendie du même appartement et des coups de feu sur l’immeuble. Le même jour, un commando armé attaque le bureau de l’Office anti-stupéfiants de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle pour récupérer une vingtaine de kilogramme de cocaïne géolocalisée par les trafiquants.