Les procès Kravchenko et Rousset

Pour comprendre comment le Parti Communiste Français est échec en mat en 1950, il faut se tourner vers deux affaires qui vont le faire définitivement passer dans le camp bourgeois.

Ces affaires vont, en effet, révéler son rapport à la dictature du prolétariat.

Il y a déjà l’affaire Kravchenko, qui a été un grand thème dans la presse française alors, dans le cadre d’une violente campagne anticommuniste gérée directement par la CIA.

Le Parti Communiste Français est ici tombé dans un piège. Tout commence avec la défection d’un Ukrainien soviétique, Viktor Kravchenko, qui « passe à l’Ouest » lorsqu’il était en poste à New York.

Il publie un ouvrage dans la foulée,J’ai choisi la liberté : La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique.

La revue intellectuelle Les Lettres françaises, née en 1942 et avec en son centre l’inévitable Louis Aragon, dénonça Viktor Kravchenko lors de la publication du livre en français en 1947, avec l’article « Comment fut fabriqué Kravchenko » publié le 13 novembre 1947.

Viktor Kravchenko porte plainte en réponse et c’est le début du « procès du siècle ». Cet événement anecdotique fut transformé en machine de guerre psychologique contre l’URSS.

L’avocat de Viktor Kravchenko fut Georges Izard, le fondateur de la revue Esprit et avocat (il avait notamment été employé par Coca-Cola).

Le procès se déroula du 24 janvier au 22 mars 1949, avec 25 audiences et une centaine de témoins furent présents, dont certains venant de l’URSS. Toute la question de la vie en URSS y passa, bien entendu avec à chaque fois un écho énorme dans la presse bourgeoise internationale, au service de qui quatorze cabines téléphoniques furent mises en place à cette occasion au Palais de justice.

Naturellement, le procès fut gagné par Viktor Kravchenko. Cela lui accorda un prestige énorme. Et afin de maintenir l’illusion de la démocratie bourgeoise, la condamnation des responsables du journal passa de 5 000 francs d’amende chacun à un franc. Reste 150 000 francs de dédommagement obtenu aux dépens de la revue.

Le Parti Communiste Français a été ici d’une stupidité tactique aberrante. Mais c’était inévitable à partir du moment où il croit en la « République » et que son niveau idéologique est lamentable.

C’est pourquoi l’affaire Kravchenko permet une immense propagande contre lui et ouvre la voie à l’affaire Rousset. Celle-ci est bien moins connue, bien que sur le long terme elle va avoir un rôle crucial.

David Rousset est un ancien socialiste passé au trotskisme. Évidemment au service de la bourgeoisie, il publie un appel dans Le Figaro littéraire du 12 novembre 1959.

Il dit qu’il y a des camps en URSS et il appelle à ce que des personnes déportées par les nazis aillent enquêter sur place. Quelques personnes répondent positivement et voici une « Commission internationale contre le régime concentrationnaire » qui commence à demander aux Nations-Unies d’intervenir en sa faveur.

David Rousset publia également un livre, L’Univers concentrationnaire (qui reçoit un prix littéraire, le prix Renaudot, en 1946, et un roman, Les jours de notre mort ; il appartient au trotskisme et les publications se font résolument dans cette perspective.

On est là dans une opération de guerre psychologique et idéologique tout à fait logique. Mais le Parti Communiste Français n’assume pas la dictature du prolétariat ni la révolution, donc il ne peut pas concevoir les camps de travail.

Pour cette raison, Les Lettres françaises publient en novembre 1949 un article intitulé Pourquoi M. David Rousset a-t-il inventé les camps soviétiques ? avec comme sous-titre « une campagne de préparation à la guerre ».

On repart alors avec un procès en diffamation, du 25 novembre 1950 au 12 janvier 1951, avec la comparution de témoins, une médiatisation massive, etc.

David Rousset gagna le procès, bien entendu. Il commença ensuite un tribunal public sur les camps soviétiques, une campagne contre les camps en Chine, il mit en place en 1961 une « Commission pour la vérité sur les crimes de Staline ».

Il soutint alors… Charles de Gaulle, passant du trotskisme au gaullisme de gauche, devenant député et ayant été grand reporter au Figaro littéraire. Il servit d’entremetteur entre l’État et la Ligue Communiste en 1973, pour une reconstitution cette fois sans « service d’ordre ».

Ce qu’il faut voir ici, c’est que le procès de David Rousset contre les Lettres françaises est plus important que celui de Viktor Kravchenko. En effet, il fut bien moins médiatisé, en raison en théorie du caractère non public d’un procès en diffamation.

Mais ce qui compte, c’est que le Parti Communiste Français s’arc-bouta entièrement sur une ligne simple : il n’y a pas de camps de travail en URSS.

Cela veut dire que le Parti Communiste Français ne s’intéresse pas à ce qui se passe en URSS, qu’il a une lecture qui l’arrange totalement en fonction de sa ligne « républicaine ».

S’il avait vraiment assumé la dictature du prolétariat, le Parti Communiste Français aurait revendiqué ces camps de travail. Mais comme il prétend vouloir la dictature du prolétariat tout en ne l’assumant pas, il a masqué la réalité et commencé à se contorsionner dans tous les sens pour maintenir sa propre fiction.

Les procès Kravchenko et Rousset ont révélé idéologiquement l’erreur fondamentale dans la matrice du Parti Communiste Français, tout comme les grèves de 1947-1948-1949 l’ont dévoilé en pratique.

Cette erreur, c’est la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, qui place au cœur de la stratégie la croyance en la République, en remplacement de la dictature du prolétariat.

Il y a ici l’incapacité à trouver une voie à la révolution en France et cela se révèle justement au moment où, après les séquences de 1934 et du Front populaire d’abord, et de la Résistance ensuite, la séquence 1947-1948-1949 pose l’exigence historique du passage à un Parti qui se fonde sur la guerre populaire.

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et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949