Les Proverbes flamands sont dans l’esprit du Pays de Cocagne, mais cette fois on retrouve la dimension érudite propre au meilleur du moyen-âge, avec un esprit cocasse-intelligent propre aux villes s’extirpant du moyen-âge justement.
Il existe un débat approfondi pour savoir combien de proverbes on trouve sur ce panneau de 117 cm sur 163,5 cm. Il y en a au moins 85 très vraisemblablement, et peut-être autour de 118.
L’œuvre est considérée comme surtout une représentation de l’éparpillement psychologique de l’humanité, son délire permanent. Elle est est rapprochée à ce titre d’une œuvre d’Érasme paru en latin en 1511, Éloge de la folie, et d’une œuvre de Sébastien Brant, La Nef des fous, paru en allemand en 1494.
Elle a également comme titre original Le manteau bleu (en référence au proverbe d’une femme mettant un manteau bleu à son mari, c’est-à-dire le trompant) et fut également appelé Le monde à l’envers.
Car en fait, si on prend les choses dialectiquement, le monde est à l’envers, car les expressions sont représentées au pied de la lettre, ce qui n’a pas de sens. La folie est à rechercher ici, et non pas simplement dans le caractère « populaire » de ce qui est représenté.
Si Bruegel appelle à corriger les mœurs du peuple, c’est parce qu’il reconnaît le peuple.
Voici un découpage des proverbes qu’on peut trouver sur wikipédia.
Voici la liste des proverbes correspondants.
1 Lier le diable au coussin (Les femmes sont plus malignes que le diable)
2 Un mordeur de pilier (Être un faux dévot)
3 Porter l’eau d’une main et le feu de l’autre (Cancaner ; ou bien : Faire le mal d’un côté et le réparer de l’autre)
4 Se cogner la tête contre le mur / Une chaussure à un pied, et l’autre nu (L’équilibre est primordial)
5 Il faut tondre les moutons selon la laine qu’ils ont (Pas à n’importe quel prix)
Tonds-la, ne l’écorche pas (Vas-y doucement)
5 / 6 L’un tond le mouton, l’autre la truie (L’un a tous les avantages, l’autre aucun)
7 Doux comme un agneau (Être très docile)
8 Elle vêt son mari d’une cape bleue (Elle trompe son mari )
9 Combler le puits quand le veau s’est déjà noyé (Ne réagir qu’après la catastrophe)
10 Jeter des roses (perles) aux cochons (Gaspiller son argent pour quelque chose d’inutile)
11 II faut se courber pour réussir dans le monde (Pour réussir, il faut faire des sacrifices)
12 Il tient le monde sur son pouce (Tout faire à sa volonté)
13 Tirer pour obtenir le plus gros morceau (Toujours vouloir la plus grosse part)
14 Qui a renversé sa bouillie, ne peut la ramasser en entier (Les dégâts ne peuvent être complètement réparés )
15 L’amour est du côté où pend la bourse (L’amour est à vendre)
16 Une houe sans manche (Une chose inutile)
17 Peiner à aller d’un pain à un autre (Ne pas arriver à joindre les deux bouts)
18 Chercher la hachette (Inventer une excuse)
Il éclaire avec sa lanterne (Mettre les choses au clair)
Une grande lanterne et une petite lumière (Beaucoup de paroles, mais qui ont peu de sens)
Avec une lanterne pour chercher (Difficile à trouver)
18 Une hache avec un manche (Le manche et la cognée (la chose complète)
19 Le hareng ne se frit pas ici (Ce n’est pas comme il devrait)
Frire tout le hareng pour consommer les œufs (Faire beaucoup pour obtenir peu)
19 Se mettre un couvercle sur la tête (Finir par prendre une responsabilité )
19 La hareng est pendu par ses ouïes (Vous devez assumer la responsabilité de vos actes)
Il y a plus qu’un hareng vide dans tout cela (Il y a des choses cachées)
19 Que peut la fumée contre le fer ? (Il ne faut pas essayer de changer ce qui ne peut l’être)
20 La truie tire la bonde (La négligence mène au désastre)
21 Attacher un grelot au chat (Entreprendre quelque chose publiquement)
22 Être armé jusqu’aux dents (Être lourdement armé)
Mordre le fer (Être furieux)
23 L’une enroule sur la quenouille ce que l’autre a filé (Commérage)
24 Le cochon est saigné par la panse (Par une puissante action, le terrain a été dégagé, 2: Tout est préparé, la partie est engagée, le cas est prévu)
25 Deux chiens sur un os ne peuvent s’accorder (Argumenter sur une seule chose)
26 Faire une barbe de lin à Dieu (Hypocrites)
entre 26 et 27 Se tenir dans sa propre lumière (Être fier de soi)
Personne ne cherche des gens dans le four, s’il n’y a été lui-même (Imaginer la faiblesse chez les autres, est un signe de sa propre faiblesse)
27 Ramasser l’œuf de la poule et pas celui de l’oie (Faire le mauvais choix)
28 Vouloir bailler comme un four (Tenter ce qui ne peut être accompli)
29 Tomber en défonçant le panier (Montrer sa déception)
Être suspendu entre ciel et terre (Se trouver dans une situation embarrassante)
30 Trouver un chien dans la marmite (Arriver trop tard quand tout a été mangé)
30 S’asseoir entre deux chaises dans les cendres (Rester dans l’indécision)
31 Les ciseaux pendent là (Il ne doit pas avoir confiance)
31 Ronger un seul os (S’obstiner longtemps en vain)
32 Le tâteur de poules (Quelqu’un qui se soucie des œufs non comptabilisés)
33 Porter la lumière du jour dans un panier (Perdre son temps)
34 Allumer une bougie pour le diable (Flatter tout le monde sans discernement)
35 Se confesser au diable (Révéler ses secrets à son ennemi)
35 Un souffleur dans l’oreille (Un mauvais orateur)
36 À qui sert un beau plat s’il n’y a rien dedans ?
36 La cigogne reçoit le renard (allusion à la fable d’Ésope)
36 C’est marqué à la craie (Cela ne pourra pas être oublié)
36 Une cuillerée d’écume (Vendre du vent)
36 Pisser sur la broche (Insulter à mort)
38 On ne peut pas tourner la broche avec lui (On ne peut pas raisonner avec lui)
38 Être sur des charbons ardents
39 Attacher chaque hareng par ses propres ouïes (II faut payer de sa propre bourse)
39 Le monde à l’envers
40 Chier sur le monde (Se moquer de tout)
41 Regarder les cartes
41 Se tenir par le nez (Avoir quelqu’un dans le nez)
42 Les dés sont jetés
42 Cela dépend de la manière dont tombent les cartes (Le hasard)
42 Laisse au moins un œuf dans le nid (Sois discret)
43 Œil pour œil dent pour dent
43 Avoir la peau épaisse derrière les oreilles (Être un fourbe fieffé),
43 Parler par deux bouches (Être mauvaise langue)
43 Le pot de chambre est dehors (On ne peut pas cacher une activité honteuse)
43 Pisser à la lune (Vouloir l’impossible)
44 Faire la barbe au fou sans savon (Profiter de la sottise d’autrui)
45 Pêcher derrière le filet des autres (Se contenter des restes)
46 Les gros poissons mangent les petits
47 Enrager parce que le soleil se reflète dans l’eau (Entre envieux)
48 Nager contre-courant
48 Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse
48 Dans le cuir d’autrui on taille de belles courroies (Être généreux avec le bien des autres)
49 Attraper l’anguille par la queue
50 Regarder à travers ses doigts (Laisser dire)
51 Le couteau est accroché (il s’agit d’un symbole de défi)
52 Rester les sabots aux pieds (Attendre inutilement)
53 Il y a un trou dans son toit (Avoir la tête fêlée)
53 Un vieux toit a toujours besoin de réparations
53 II y a des lattes sur le toit (les murs ont des oreilles)
54 Tirer une flèche après l’autre (Ne pas être récompensé de ses efforts)
55 Deux fous sous le même manteau (Combiner deux sottises en même temps)
55 Pousse hors de la fenêtre (Ne pas pouvoir se cacher)
56 Jouer de la musique sous le carcan (Ne pas se rendre compte de ses propres ridicules)
57 Tomber du bœuf sur l’âne (Passer du coq à l’âne)
58 Se frotter le derrière contre la porte (Manquer de reconnaissance)
58 Le mendiant n’aime pas qu’un autre mendiant s’arrête à la même porte
58 Réussir à voir à travers une planche de chêne pourvu qu’il y ait un trou dedans
59 Être suspendu comme chiottes sur un fossé
59 Deux qui chient par le même trou (Faire de nécessité vertu)
60 Jeter l’argent dans l’eau (Jeter l’argent par la fenêtre)
60 Un mur fendu est vite abattu
61 II pend sa tunique à la barrière (Jeter son froc aux orties)
62 II regarde danser les ours (II est affamé)
63 Le balai est dehors (Les maris ne sont pas à la maison)
63 Être mariés sous le balai (vivre en concubinage)
64 Les galettes poussent sur le toit (Vivre dans l’abondance)
65 Les porcs errent dans le blé (Tout va de travers)
66 II a le feu au derrière (Être pressé)
67 Tourner son manteau selon le vent (Faire la girouette)
68 Baiser l’anneau (courber l’échine)
69 Rester planté à regarder la cigogne (Laisser échapper la fortune)
69 À son plumage on reconnaît l’oiseau
70 Jeter les plumes au vent (Perdre le fruit de son propre travail)
71 Tuer deux mouches d’un coup (Faire d’une pierre deux coups)
72 Peu importe à qui est la maison qui brûle pourvu qu’on puisse se chauffer aux tisons
73 Traîner une souche (Traîner un boulet)
74 Crottin de cheval n’est pas figue
75 Un aveugle guide les autres
75 La peur fait trotter la vieille (La peur donne des ailes)
76 Le voyage n’est pas fini parce qu’on aperçoit l’église et le clocher (Ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué)
77 Surveiller la voile (Faire attention)
77 Avoir le vent en poupe
78 Pourquoi les oies marchent-elles pieds nus? (Être indifférent à ce qui ne nous regarde pas)
79 Chier sous le gibet (Danser sur un volcan)
79 Les corbeaux volent où est la charogne (Il n’y a pas de fumée sans feu)
L’œuvre, un tour de force, est considérée comme une expérience somme toute anecdotique par les critiques bourgeois de l’art. Si on regarde bien, ils cherchent absolument à ramener cette peinture à une sorte d’amusement d’esprit médiéval.
Or, on a ici une perspective qui vise clairement l’exhaustivité, et cela dans une logique de représentation de la réalité populaire. Il y a donc la qualité comme aspect principal, pas la quantité.
On est au sens strict dans le nexus de la contradiction au sein du moyen-âge, alors que le capitalisme commence à s’élancer à travers les villes et le protestantisme.
On notera également, car lié aux proverbes flamands, Le Paysan et le Voleur de nid, un tableau de 1568, de format 59,3 cm sur 68,3 cm. L’œuvre est beaucoup moins marquante, évidemment. Elle fait référence au proverbe Dije den nest Weet dijen weeten, dijen Roft dij heeten, soit qui connaît l’emplacement du nid en a la connaissance, celui qui le vole en a la propriété.
C’est davantage dans la question du rapport aux animaux que le tableau présente un réel intérêt.
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