Au lendemain de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et ses États vassaux, il existe en France trois mouvements historiques en mesure de former un appareil d’État. Il y a tout d’abord les restes de « l’État français » du maréchal Pétain, ainsi que les milieux de la collaboration. L’épuration fut en effet extrêmement relative et nombre de cadres recyclés dans les nouvelles institutions.
Historiquement, cette tendance historique a été appuyée par la bourgeoisie industrielle, cherchant à se placer dans le projet nazi d’une « nouvelle Europe ». L’échec nazi amena un renversement de la position initiale et le soutien aux Américains.
Il y a ensuite tout le mouvement organisé autour du général de Gaulle et qui a obtenu la reconnaissance internationale quant à la représentativité de la France. Il est porté par la bourgeoisie financière, ainsi que celle profitant directement de l’empire colonial, une partie de cette dernière étant toutefois avec la bourgeoisie industrielle.
La bourgeoisie profitant de l’empire fut le sas entre la bourgeoisie financière pro-de Gaulle et la bourgeoisie industrielle pro-Pétain.
Enfin, il y a le Parti Communiste, fort de sa puissante participation à la Résistance et d’une structuration élevée de ses cadres, avec surtout l’URSS à l’arrière-plan. Il représente la classe ouvrière, mais de manière plus générale toute la tendance démocratique-populaire. Son dirigeant Maurice Thorez capitule cependant face à la pression et se place comme appendice du mouvement autour du général de Gaulle.
Or, la faction de de Gaulle, qui a alors le dessus en 1945, est mise de côté par une quatrième faction, montée de toutes pièces par l’impérialisme américain. Il s’agit des courants du « centre », ainsi que des socialistes, qui jouent le rôle de rouage dans la mise en place d’un marché commun européen.
Cela va aboutir à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier d’un côté, l’intégration à l’OTAN sous supervision américaine de l’autre, avec également l’acceptation du Plan Marshall.
Ni le camp démocratique-populaire du Parti Communiste Français, ni le camp le plus agressif de la bourgeoisie (représenté par de Gaulle) n’étaient d’accord avec cela.
Toutefois, le révisionnisme au sein du Parti Communiste Français et l’opportunisme de la bourgeoisie française dans sa majorité fit qu’il y eut soumission à l’hégémonie américaine.
De Gaulle démissionna historiquement du poste du chef de gouvernement dès le 20 janvier 1946 et il fut alors totalement isolé dans la vie publique, après avoir tenté de développer un Rassemblement du peuple français qui s’effondra en 1955.
L’alliance des centristes et des socialistes impliqua également l’isolement progressif complet du Parti Communiste Français, qui représentait pourtant autour de 30 % des voix aux élections.
Or, le bloc formé sous l’impulsion de l’impérialisme américain était construit de bric et de broc. Il y avait par exemple le Rassemblement des gauches républicaines. En son sein, on trouvait :
– le Parti Radical, c’est-à-dire le « centre » ;
– le Parti socialiste démocratique, composé de socialistes ayant collaboré pendant la guerre ;
– l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), de gauche libérale, avec notamment François Mitterrand ;
– le Parti démocrate, Ralliement républicain démocratique et socialiste, qui rejoindra rapidement l’UDSR ;
– les restes du Parti radical indépendant, de centre-droit et opposé à la gauche ;
– les restes du Parti républicain-socialiste, de centre-gauche ;
– le Parti républicain social de la réconciliation française, de droite libérale-sociale anti-communiste, issu du mouvement du colonel de La Rocque qui en est toujours le dirigeant ;
– l’Alliance démocratique, de centre-droit.
A côté de ce regroupement, il y avait également le réseau du Rassemblement des groupes républicains et indépendants français, mais surtout le Mouvement républicain populaire, équivalent de la démocratie-chrétienne allemande et italienne, directement inféodée aux États-Unis.
Cela signifiait une profonde instabilité politique, de par le caractère éclectique du bloc pro-américain.
Pour cette raison, le gouvernement Félix Gouin ne dura que de fin janvier à juin 1946, le gouvernement Georges Bidault de juin à novembre de la même année, le gouvernement Léon Blum de décembre 1946 à janvier 1947.
Le gouvernement Paul Ramadier dura du 22 janvier au 21 octobre 1947, son second gouvernement seulement le mois d’après. Le gouvernement Robert Schuman dura de novembre 1947 à juillet 1948, le gouvernement André Marie de fin juillet à fin août 1948.
Le gouvernement de Robert Schuman dura… deux jours en septembre 1948, celui de Henri Queuille de septembre 1948 à octobre 1949, mais celui de Georges Bidault ensuite quatre mois, puis de nouveau quatre mois.
Suivit un gouvernement de Henri Queuille de… deux jours, de René Pleven de sept mois et demi, de Henri Queuille de nouveau pour quatre mois, de René Pleven de nouveau pour cinq mois. On eut ensuite un gouvernement d’Edgar Faure pour un mois, d’Antoine Pinay pour neuf mois et demi, de René Mayer pour quatre mois et demi, de Joseph Laniel pour six mois et demi puis cinq mois.
Suivirent alors un gouvernement de Pierre Mendès France pour sept mois et demi, d’Edgar Faure pour onze mois, de Guy Mollet pour seize mois, de Maurice Bourgès-Manoury pour trois mois et demi, de Félix Gaillard pour cinq mois, de Pierre Pflimlin pour seize jours.
Même à l’intérieur de ces gouvernements, il y avait une grande valse des ministres et des secrétaires d’État. La prédominance américaine était artificielle ; elle faisait face à une opposition prolétarienne du Parti Communiste Français, d’une opposition grande-bourgeoise avec la droite gaulliste. Sa domination passait par une grande alliance hétéroclite incapable de cimenter son existence, de par sa base sociale trop faible.
L’évolution que connut l’armée provoqua alors une crise de régime.
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