Les soulèvements plébéien et taborite

Dans les campagnes, le processus de diffusion des idées hussites prit davantage de temps qu’en ville, en raison du manque de communication et des efforts de la réaction pour empêcher le mouvement d’éclore.

Le mouvement lancé était cependant irréversible, et à partir du printemps 1419 des rassemblements se firent sur les collines et les hauteurs, à l’appel des prédicateurs. Les monts et les collines sont en effet présentés dans la Bible comme des points de jonction, d’où le fait que des édifices religieux y sont également construits.

Des milliers de personnes se rencontrèrent et s’unirent, et le premier très grand rassemblement « taborite » eut lieu le 22 juillet 1419 sur le mont Burkovak, à 120 km de Prague, avec 40 000 personnes.

Calice hussite, manuscrit de 1460

L’endroit fut appelé « Tabor », en référence à la transfiguration du Christ censée s’être déroulée au Mont Tabor, près du lac de Tibériade en Palestine. Voici comment cela est présenté dans l’Evangile selon Saint Matthieu :

« Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l’écart sur une haute montagne.

Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici, Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui.

Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit.

Et voici, une voix fit entendre de la nuée ces paroles : celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection : écoutez-le ! Lorsqu’ils entendirent cette voix, les disciples tombèrent sur leur face, et furent saisis d’une grande frayeur.

Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et dit : Levez-vous, n’ayez pas peur ! Ils levèrent les yeux, et ne virent que Jésus seul. »

Une autre colline fut nommée de manière similaire « Oreb », près de Trebechovice, en Bohême orientale. Les prêcheurs affirmaient qu’il fallait fuir Babylone, que les élus se concentreraient sur les collines, se défendant face aux forces de l’antéchrist.

Un chant populaire se diffusera un peu plus tard lorsque les événements auront bouleversé la donné :

« Debout, debout, grande cité de Prague! Avec tous les loyaux sujets de Bohême, l’ordre des chevaliers, tous ceux qui portent les armes,

dresse-toi contre le roi de Babylone [=l’empereur Sigismond de Luxembourg] qui menace la commune de Prague, cette (nouvelle) Jérusalem, et ses nombreux fidèles. »

Le dimanche suivant le grand rassemblement sur le Mont désormais appelé « Tabor », la nouvelle s’était répandue dans Prague, dont le cœur révolutionnaire avait changé d’endroit.

A Prague, la chapelle de Bethléem avait en effet désormais comme prêcheur Jakoubek de Stribro, un élève de Jan Hus ayant pris le relais, avec une ligne modérée.

Avec la mise en branle des masses urbaines, ce fut alors l’église Notre-Dame-des-Neiges, dans la partie la plus récente de la ville, qui devint le pôle de radicalité, avec comme prêcheur Jan Želivský, s’affirmant comme disciple de Nicolas de Dresde, qui avait assumé une ligne populaire-révolutionnaire.

Cette image du XVe siècle montre la communion sous les deux espèces, grande revendication hussite

Chassé de sa paroisse début 1419, pour avoir pratiqué la communion sous les deux espèces, Jan Želivský avait trouvé refuge à Notre-Dame-des-Neiges, dont le responsable avait rejoint le hussitisme en 1415.

Inspiré par les Évangiles et l’Apocalypse, Jan Želivský prêcha six mois pour la plèbe, peuple de mendiants, d’artisans déclassés, de valetaille.

Jan Želivský fondait ses prêches sur l’Apocalypse de Saint-Jean ; il assimilait les prélats, les seigneurs et les patriciens à l’Antéchrist, avec des prédications qui avaient un écho formidable.

Voici le contenu très représentatif de la pensée de Jan Želivský, avec un extrait de son sermon du 19 avril 1419 :

« Mais les apôtres ne firent pas de choses pareilles, ni avant ni après, car ils vivaient du travail de leurs mains et de la prédication de l’Evangile.

Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous allons aussi avec toi (Saint Jean, XXI, 3).

Car toutes les fois qu’un bon chrétien propose quelque bonne chose, les autres le suivent en cela. Ils y allèrent donc aussitôt ; et ils entrèrent dans une barque, mais ils ne prirent cette nuit-là.

La nuit signifie le vice, et ce d’autant plus que nous avons à l’esprit cette nuit de l’Antéchrist où nous vivons pour lors. Tout chrétien doit gagner sa subsistance à force de travail.

Ils mentent donc, les papes et les moines mendiants, quand ils se prétendent les successeurs des apôtres.

Mais pourtant les apôtres travaillaient de leurs mains et peinaient avec le peuple. Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus (voir le second épître aux Thessaloniciens, III, 10).

Aujourd’hui, tous les courtisans et laquais et prêtres enrichis, pasteurs de l’autel et chanoines aspirent à une vie de paresse. »

Une semaine après le premier grand rassemblement taborite, le 30 juillet 1419, des masses vinrent s’assembler auprès de lui en étant munis de glaives, de javelots, de massues, Jan Želivský prêchant sur la multiplication des pains, faisait un sermon, affirmant :

« O, que Prague serve en cet instant de modèle à tous les fidèles non seulement en Moravie, mais aussi en Hongrie, en Pologne et en Autriche. Et qu’ainsi la parole de Dieu prenne de Prague son envol à travers le monde ! »

Reprenant l’affirmation de la nécessité de travailler pour gagner son pain, il développe la thèse hussite selon laquelle toute personne a accès au pain du sacrement :

« Et que dois-je dire du pain du sacrement ?! Certes, tous ceux qui travaillent à des choses inutiles mangent le pain sans le mériter.

Ils ne sont point dignes du pain, ceux qui font commerce le jour du Seigneur ; ils ne sont point dignes du pain, ceux qui convoitent une bouchée pécheresse ; ils ne sont point dignes du pain, ceux qui dans leurs actions négligent le bien général, qu’ils soient rois ou princes, magistrats sous serment ou autres fainéants de la cour que le travail dégoûte et qui se pavanent dans un luxe pour lequel d’autres ont à grande douleur trimé.

Ne sont pas non plus dignes du pain tous ces prélats qui ne travaillent pas avec le peuple selon l’ordre de l’Évangile, lors même qu’ils se donnent bien du mal pour plumer les uns et les autres (…).

Et que me faut-il dire des moines et des nonnes ? Ils ne travaillent à rien d’utile, ne s’occupent qu’à des futilités. Or, Dieu ne rassasie que ceux qui le suivent en foule. »

A l’issue du sermon un cortège se forma, remontant la ville jusqu’à l’église Saint-Étienne dont le curé fut chassé. Jan Želivský reprit alors son sermon, puis le cortège repartit jusqu’à l’hôtel de ville, où étaient emprisonnées des personnes ayant communié sous les deux espèces.

Devant le refus de les libérer, les masses prirent d’assaut l’hôtel de ville, défenestrant le bourgmestre, l’officier de justice et des gardiens. Ce fut l’acte fondateur de la tempête hussite et de la révolution taborite.

La défenestration de Prague vue par
Adolf Liebscher (1857-1919)

Les événements s’enchaînèrent alors : lors du grand rassemblement de la Sainte Madeleine (22 juin 1419), Prague donna le signal de la révolution. Le 16 août, Venceslas IV meurt, choqué par le déroulement des actions hussites.

Le 17 septembre, un manifeste populaire appela à un rassemblement du 30 septembre. Fin septembre furent mises en place les « Quatre articles », avec la participation de Jan Želivský.

Ces « Quatre Articles de Prague » furent écrits simultanément en latin, en tchèque, en allemand et en magyar. Les exigences étaient les suivantes: la liberté de prêcher la parole de Dieu dans le royaume, la communion sous les deux espèces pour tous les fidèles et ce sans distinction d’âge ni de rang, la sécularisation des biens-fonds du clergé (soit au moins un tiers des terres cultivables de Bohême, aux mains de l’Eglise), le châtiment des péchés mortels publics.

Le 25 octobre à Prague, les hussites s’emparèrent du Vysehrad, la seconde place forte de la ville. Entre le 4 et 10 novembre, le gouvernement de la reine régente fut renversé par la milice pragoise aidée des taborites campant aux portes de la ville.

L’empereur, intéressé par la mise de côté du clergé mais pas par le renforcement de la noblesse, tenta de gagner du temps par une trêve ; inversement, le 1er mars 1420, le pape Martin V rédigea la bulle Omnium Plasmatoris Domini, appelant à la croisade de tous les catholiques contre les hussites.

En juillet 1420, la première croisade anti-hussite fit le siège de Prague, dont la résistance fut organisée par Jan Želivský ; la ville fut également aidée par les Taborites, et les forces impériales furent repoussés le 14 juillet 1420.

La noblesse s’empara massivement des propriétés du clergé, alors que les forces urbaines faisaient de même. Les positions de l’Église catholique s’étaient effondrées.

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