Les deux autres tendances forment l’expression jusqu’au-boutiste de la conception du bolchevisme comme une sorte de machinerie implacable. La motion ultra-gauchiste de Georges Leroy et Maurice Heine considère que la motion Cachin – Frossard ne va pas assez loin dans la valorisation de ce « bolchevisme », tandis que la motion Blum – Paoli considère qu’on ne va pas assez loin dans sa dénonciation.
Cette dernière motion est portée d’ailleurs par le « Comité dit de Résistance Socialiste », nom choisi afin de bien montrer qu’il s’agit de défendre les traditions socialistes françaises, avec en particulier la représentativité proportionnelle. Léon Blum fera un long discours à ce sujet, qui passera à la postérité et sera le catéchisme des socialistes au 20e siècle.
La motion de Léon Blum et Dominique Paoli dit ainsi du Parti que :
« Il se refuse à pousser la centralisation jusqu’au point où l’autonomie des groupes locaux et l’initiative du groupe parlementaire se trouveraient totalement anéanties.
Il se refuse à priver les minorités du droit d’agir, en supprimant la Représentation proportionnelle ; du droit de penser, en supprimant la liberté de discussion ; ou même du droit de vivre à l’intérieur du Parti en organisation les exclusions en masse et les épurations périodiques.
Il se refuse à créer à côté ou au-dessus des organismes publics du Parti, des organismes clandestins, et, par conséquent, irresponsables, qui les contrôlent. »
La motion de Georges Leroy et Maurice Heine a la perspective contraire, au sens où elle a la même interprétation totalement faussée du bolchevisme. La motion exige en effet qu’il faut que l’adhésion s’accompagne de l’acceptation ouverte des 21 conditions exigées par la IIIe Internationale pour rejoindre ses rangs.
Ce n’est toutefois qu’un masque pour prendre les commandes. En effet, Georges Leroy et Maurice Heine relevaient cependant de l’ultra-gauche, de la mouvance du « Parti Communiste » et la « Fédération Communiste des Soviets ». Au sens strict, ils représentent les tous premiers activistes, issus du syndicalisme, à se tourner vers la Russie soviétique, ici dans les rangs du Parti socialiste SFIO. Ils prétendent à ce titre prendre la direction du cours des choses.
Georges Leroy, le premier orateur de cette tendance, commença évidemment par prétendre qu’il existerait une continuité révolutionnaire représentée justement par cette tendance :
« De cœur avec les Zimmerwaldiens et avec les révolutionnaires russes depuis 1917, nous avons suivi avec attention leur action quotidienne, qui s’est toujours trouvée d’accord notre pensée.
C’est donc sans hésitation que nous avons accepté les thèses et les conditions adoptées par le 2e congrès de la IIIe Internationale communiste, en faveur de laquelle nous n’avons cessé de militer, tant au sein du Comité de la IIIe, que dans les sections du Parti, dans les Syndicats ou dans les Coopératives.
Personne plus que nous n’a vu avec satisfaction les progrès réalisés par ce mouvement qui ralliait chaque jour un nombre grandissant d’adeptes. »
La motion de la tendance reprend la même argumentation visant à se légitimer :
« Dès que nous fut parvenue la nouvelle de la constitution à Moscou de la IIIe Internationale – et alors que tant d’autres cherchaient leur voie – nous entreprenions spontanément, au sein du Parti Socialiste et malgré l’opposition acharnée de ceux qui formaient, à ce moment, sa majorité, la campagne de propagande communiste et soviétique la plus nette et la plus résolue.
Communistes sans conditions de la première heure, nous sommes logiques avec nous-mêmes en demeurant, à la onzième heure, communistes sans réserves.
Nous ne sommes donc, quoi qu’on ait dit, ni des « surextrémistes », ni des « superbolcheviks » (Rires), à moins que ce ne soit outrepasser la discipline communiste que de prendre au sérieux chacune des thèses comme chacune des conditions d’admission votées par le 2e congrès de l’Internationale communiste. (Approbations) »
Ils ne resteront évidemment, en raison de leurs conceptions ultras, que très peu de temps dans la Section Française de l’Internationale Communiste, Maurice Heine se faisant notamment éjecter pour avoir tiré avec un pistolet au plafond lors d’une réunion, car on avait refusé une de ses prises parole !
Au congrès de Tours, l’ultra-gauche utilise ainsi l’argument des 21 conditions, considéré comme une technique, afin de se faire valoir et de prendre les commandes. Georges Leroy cherche à se présenter comme le vrai porte-parole du bolchevisme :
« Les thèses et conditions de l’Internationale communiste forment un tout qui constitue les moyens pratiques nécessaires et indispensables à l’établissement du régime nouveau, tel que seul il permettra de réaliser le communisme.
Renoncer à ces moyens, les vouloir incomplets, les accommoder aux anciens moyens, qui ont surabondamment démontré leur vanité et leur impuissance, c’est continuer à se payer de mots et remettre la Révolution aux calendes grecques.
L’Internationale communiste nous demande un changement radical, non seulement dans la forme et les noms, mais dans l’esprit et le caractère ; elle insiste pour une chose nouvelle, du tout au différente de la chose ancienne, qui a fait faillite et qui, continuée en son fond identique, ne peut que nous vouer à un nouvel échec. »
Le masque tombe cependant dès que la perspective concrète se profile :
« Nous ne sommes pas des sur-extrémistes, mais nous pensons qu’il n’y a pas d’action révolutionnaire possible si l’action syndicale, l’action coopérative et l’action politique ne sont pas convergentes et pour cela nous disons qu’il est indispensable que les militants du Parti forment des noyaux au sein de chacune des organisations où ils militent et que l’action de ces noyaux soit subordonnée à celle de l’ensemble du Parti. »
Pour l’ultra-gauche, le Parti est un état-major permettant un mouvement par en bas, un syndicalisme, un anarchisme.
Mais elle n’a aucune considération de la part de l’Internationale Communiste, qui porte son attention sur la dynamique portée par Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard.