Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné et le «Désert»

Les Tragiques sont ainsi une œuvre exprimant une défaite, et c’est cela qui fait son intérêt, Théodore Agrippa d’Aubigné étant une figure historique d’une grande importance pour la France du XVIe siècle.

Il fut, en effet, un des principaux activistes de la cause protestante en France, tant sur le plan militaire que sur le plan intellectuel.

C’est en ce sens qu’ont une valeur historique les écrits de Théodore Agrippa d’Aubigné synthétisant cet épisode historique que furent les guerres de religion : Les Tragiques, écrits en vers et publiés en 1616), l’Histoire Universelle, publiés dans la période 1616-1620, en prose et d’une approche plus formelle.

Théodore Agrippa d’Aubigné en 1622

Pour cette raison, conformément à son interprétation de la situation – celle du Désert, c’est-à-dire d’une période d’exil face à la menace –Théodore Agrippa d’Aubigné signera Les Tragiques d’un pseudonyme, LBDD (le bouc du désert).

Les calvinistes se considéraient, après la révocation de l’Édit de Nantes, en 1685 comme les Hébreux à la sortie d’Égypte (Exode, 14-17), dans le « Désert ».

Mais le principe remonte à plus loin : dans Les Tragiques, Théodore Agrippe d’Aubigné utilise déjà cette référence, qui est également présente dans l’apocalypse, une femme se réfugiant dans le désert pour éviter d’être noyé par l’eau sortant massivement d’un dragon.

Le désert est aride, mais protecteur et il ne dure qu’un temps, telle est la vision qu’a Théodore Agrippa d’Aubigné de la situation qu’il connaît :

« O Désert, promesse des cieux,
Infertile mais bienheureux !
Tu as une seule abondance,
Tu produis les célestes dons,
Et la fertilité de France
Ne gît qu’en épineux chardons.
Tu es circuit, non surpris,
Et menacé sans être pris.
Le dragon ne peut et s’essaie :
Il ne peut nuire que des yeux. »

Il s’agit de porter la vérité, qui ne peut naître que dans l’adversité :

« La vérité a coutume
D’accoucher en un lieu secret »

Il faut donc assumer le bannissement qui a été imposé à la vérité, pour la porter :

« Voilà comment de nous la vérité bannie,
Meurtrie et déchirée, est aux prisons, aux fers,
Ou égare ses pas parmi les lieux déserts »

Cela fait des calvinistes le David des temps modernes, défendant la vérité avec une fronde :

« Je commençais à arracher
Des cailloux polis d’un rocher,
Et elle [la Vérité] tordait une fronde ;
Puis nous jetions par l’univers,
En forme d’une pierre ronde
Ses belles plaintes et mes vers.

(…)

Vous bienheureux les malheureux !
Separant des fanges du monde
Votre chrétienne liberté,
Vous défendez à coups de fronde
Les logis de la vérité »

Or, il y a là une contradiction essentielle. La France a été un pays marqué à la fois par l’humanisme (du Nord et de l’Est de l’Europe) et par la Renaissance italienne, au point qu’aujourd’hui les commentateurs bourgeois sont incapables de distinguer les deux.

Mais Agrippa d’Aubigné aurait dû représenter le calvinisme, dans une démarche parallèle à celle de l’humanisme : pourquoi trouve-t-on alors des éléments de la Renaissance ? C’est que son calvinisme n’a pas atteint un niveau suffisant de maturité pour ne pas utiliser des valeurs de la Renaissance.

Cela tient bien entendu à la base aristocratique de Théodore Agrippa d’Aubigné et de ce qu’il représente.

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