Les Croix de Feu étaient nés comme structure d’anciens combattants, mais le glissement vers une ligne ouverte à tous avait donc été impulsée par François de La Rocque. En 1935, on lit d’ailleurs dans le Programme du Mouvement Social Français des Croix-de-Feu que :
« Nous ne pratiquerons jamais la religion de l’État, mais nous voulons un État tuteur, un État qui serve, contrôle, sanctionne.
Le Mouvement Croix-de-Feu est aussi loin de la conception totalitaire, à la mode italienne, allemande, où l’enfant dès sa naissance est voué à l’État, que de la conception marxiste où l’individu devient un numéro anonyme, écrasé sous la tyrannie collective d’une poignée de dictateurs. L’épithète fasciste convient à d’autres. Pas à nous.
Nous ne travaillons ni pour des partis, ni pour un parti, ni pour des hommes, ni pour un homme, mais pour le peuple de France.
Le Mouvement Croix-de-Feu ne met pas en cause le régime républicain. »
Avec le P.S.F., cela devient officiel en tant que tel :
« La mystique Croix de Feu est née de 1914 à 1918, aux premières lignes. La guerre a réalisé, dans une France de plus en plus divisée socialement, intellectuellement, spirituellement, un véritable « brassage » des classes, des conditions et des opinions.
La profonde unité de notre peuple est ainsi apparue une fois de plus. Elle s’est manifestée par le sentiment d’une fraternité retrouvée. La France s’est découverte elle-même et ses enfants se sont reconnus entre eux.
Les vainqueurs ont voulu préserver, transmettre et perpétuer dans le pays cette révélation. Ils ont commencé par en apporter le bénéfice éblouissant aux hommes des générations d’après-guerre : ce fut la levée massive des Volontaires Nationaux.
Et maintenant, la création, le succès du Parti Social Français, ouvert à tous les Français et Françaises, prouve que le serment de vie a été tenu. L’esprit du feu est assuré de ne pas mourir. »
Le P.S.F. n’est donc pas un parti qui prétend représenter une tradition nationaliste, de type royaliste et catholique, mais qui entend rassembler sur une base modernisatrice, au-delà des classes sociales et des religions.
Le P.S.F. est un parti nationaliste républicain, entend unifier et non pas revenir à une unité organique ayant prétendument existé dans le passé, comme dans le romantisme royaliste. Le positionnement est ouvertement laïc et chez les Croix de Feu, des célébrations pour les anciens combattants étaient faites indifféremment dans des églises, des synagogues, des temples protestants. Voici ce qu’on lit, par exemple, dans l’article Pourquoi j’adhère au Regroupement National du Croix de Feu publié en novembre 1935 dans le Flambeau :
« Les Croix de Feu ne sont enfermées dans aucun compartiment. Libre-penseurs, israélites, catholiques, protestants, ils se tiennent par les sommets de toutes les nobles convictions, qu’ils viennent de gauche ou de droite, ils ont un but commun qui est l’intérêt de la France. »
Lors d’une interview de décembre 1934 au journal dominicain Sept, François de La Rocque formula ainsi son approche laïque-catholique :
« Je suis heureux de savoir que, dans mon action publique, laquelle est extérieure au plan religieux, je n’ai fait rien qui soit contraire à orthodoxie de ma religion personnelle. »
Le P.S.F. conserve cette perspective :
« Il faut, dans le respect de toutes les croyances et incroyances, protéger le culte de toutes les forces spirituelles.
Il faut, dans la liberté de toutes les confessions, comprendre que la civilisation occidentale, la nôtre, est une civilisation chrétienne (…). Le P.S.F. n’est pas un parti confessionnel. Il respecte toutes les convictions religieuses. Mais le principe de son activité est la civilisation chrétienne. »
François de La Rocque a dans ce cadre toujours réfuté l’antisémitisme, bien que bien entendu sa défense des personnes juives s’appuyait uniquement sur le nationalisme français. Voici à ce sujet un extrait du Congrès de Strasbourg du P.S.F., le 13 décembre 1936 :
« Nous sommes et nous resterons des hommes de la réconciliation,
mais aussi nous sommes des hommes qui lorsque le pays est en danger, lorsque le pays est menacé, ne reculent devant aucun devoir.
Devant le péril qui menace, il n’a pas existé de meilleure défensive que l’offensive.
Mes chers amis, le gouvernement de M. Léon Blum a décidé… (Cris : « A bas les Juifs »…). Je ne veux pas entendre de « A bas ». J’ai à dire ce que j’ai à dire, et ceux qui n’approuvent pas la pensée chrétienne qui anime le P. S. F., n’ont qu’à foutre le camp !
Le gouvernement de M. Léon Blum a décidé que ce Congrès, avec l’ordonnance magnifique qu’on lui avait préparé, n’aurait pas lieu.
M. Blum, un jour, à la Chambre, se tournant vers ses adversaires, leur a dit : « Je vous hais. » Eh bien ! moi qui ne prononce jamais ce mot-là, j’ai à lui dire quelque chose d’infiniment plus grave :
«M. Blum, je vous méprise!»
Quelqu’un a crié tout à l’heure « A bas les Juifs ! » Non. Malgré M. Blum, je salue les Juifs — il y en a qui ont été de vrais combattants. J’en appelle aux Juifs patriotes qui sont dans le Parti Social Français, j’en appelle à tous les Israëlites, qui acceptent notre civilisation chrétienne, et je leur dis : « Cet homme qui est votre coreligionnaire a trahi, il vous a trahis, il est cause que l’on vous confond parfois avec d’autres
qui sont venus de l’autre côté de notre frontière,
avec cette racaille qui vient de partout, avec les parasites de toutes les civilisations. Vous n’en êtes pas. Alors, retournez-vous contre M. Blum qui, faisant tant de mal à son pays, vous fait aussi tant de tort à vous mêmes, retournez-vous contre la séquelle, et mettez-les en accusation non seulement pour avoir trahi la France, mais aussi pour vous-avoir trahis vous-mêmes.
le danger extérieur
Mon ami Ybarnegaray vous définissait tout à l’heure, comme toujours en parfaite communion de pensée avec moi, qui menace notre pays, là, tout près : Moscou faisant le jeu de Berlin. L’histoire prouve que, si leurs vues sont divergentes et contradictoires, leurs efforts convergent souvent.
En laissant se développer le désordre à l’intérieur de notre pays, M. Blum nous conduit à la révolution et à la guerre, l’une préparant l’autre, l’autre entraînant l’une. De toutes façons, ce serait la mort pour un pays dont M. Blum ne sait même pas ce qu’il est… M. Blum, vous avez prétendu aujourd’hui, refoulé que vous êtes sans doute vous-même, vous avez prétendu aujourd’hui refouler la grande vague de salut public qui, en ce moment, déferle à travers toute la France.
M. Blum a voulu vous refouler. Élargissez votre front de défense. Plus que jamais, qu’à chaque foyer un homme veille et, comme lorsque nous étions en première ligne, et que nous grimpions à l’attaque, que le voisin de droite ou de gauche s’apprête à voler au secours de celui qui sera menacé. Et ainsi grâce à vous, grâce à nous, grâce au P. S. F., l’Alsace restant alsacienne, la France restera française. »
François de La Rocque entretenait, dans ce cadre, de bons rapports avec le rabbin Jacob Kaplan, mais l’antisémitisme présent chez des Croix de Feu en Algérie amena des tensions, culminant des échauffourées lors d’un service dans une synagogue parisienne entre les partisans de François de La Rocque et les membres de la Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme, en juin 1936. A partir de ce moment, les rapports officiels entre la communauté juive organisée et les Croix de Feu se terminèrent.
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