Pour comprendre ce qu’est la pensée, Aristote commence par définir l’imagination. Il souligne l’importance de cette faculté en la distinguant bien de la pensée. En effet, former une opinion par le raisonnement aboutit soit à une erreur, soit à une vérité.
L’imagination ne se situe pas sur ce plan. L’imagination dépend de nous, de « notre vouloir ». Comme le dit Aristote :
« Nous pouvons réaliser en image un objet devant nos yeux. »
L’implication individuelle n’est pas la même. L’imagination est maîtrisée, sa logique ne nous dépasse pas. Aristote explique à ce sujet que :
« Lorsque nous formons l’opinion qu’un objet est terrible ou effrayant, aussitôt nous éprouvons l’émotion correspondante – de même si l’objet est rassurant.
Au contraire, dans le jeu de l’imagination, notre comportement est le même que si nous contemplions en peinture les objets terribles et rassurants. »
Cette faculté de l’imagination est différente de la sensation, qui est elle immédiate. D’ailleurs, dit Aristote, on ressent toujours, alors que l’imagination n’a lieu que parfois. Il n’est pas non plus besoin d’une sensation pour activer l’imagination.
La sensation a la dignité du réel : elle est toujours vraie. Ce n’est pas les cas des images produites par l’imagination. Et plus l’imagination s’éloigne des choses sensibles, plus sa véracité est amoindrie.
Une fois dit cela, Aristote s’intéresse à la faculté de penser. Et là, il constate que la pensée ne peut pas être débordée. Les sens peuvent l’être ; ils peuvent être paralysés par un surcharge de données. Ce n’est pas le cas de la pensée, qui même est davantage à même de saisir les éléments simples une fois qu’elle a affronté la complexité – ce qui est une constatation hautement dialectique !
Aristote dit :
« Le sens, en effet, n’est plus capable de percevoir à la suite d’une excitation sensible très forte : par exemple, on ne perçoit pas le son à la suite de sons intenses, de même qu’à la suite de couleurs et d’odeurs puissantes on ne peut ni voir, ni sentir ; au contraire, l’intellect, quand il a pensé un objet fortement intelligible, n’est pas moins capable de penser les intelligibles inférieurs, mais il en est au contraire plus capable.
La faculté sensitive, en effet, n’est pas indépendante d’un organe corporel, tandis que l’intellect est séparé. »
Ainsi l’imagination conserve un lien, même ténu, avec la chose sensible, alors que la pensée a formé une démarche indépendante. La pensée conceptualise ; elle ne traite pas de l’eau réelle, mais de l’eau considérée du point de vue de son essence.
Mais alors, qu’est-ce que la pensée ? Aristote répond : elle est comme une feuille blanche où rien n’est écrit, c’est-à-dire qu’elle est, pour son époque, une tablette d’argile. Il dit :
« C’est en puissance, d’une certaine manière, que l’intellect est identique aux intelligibles [= qui relèvent de l’intellect], mais il n’est en entéléchie aucun d’eux avant de penser.
Il doit en être comme d’une tablette où rien ne se trouve inscrit en entéléchie : c’est précisément ce qui arrive dans le cas de l’intellect.
De plus, il est lui-même intelligible comme le sont les objets intelligibles. »
L’intellect est, si l’on veut, uniquement une machine capable d’utiliser des concepts conceptuellement. Il fonctionne en s’appuyant sur l’essence des choses, leur concept pris en tant que vérité interne. Mais il est coupé de la réalité, il ne fait qu’opérer, il consiste lui-même d’ailleurs en une opération.
Ce qu’on appelle pensée, avec l’intellect, c’est un concept maniant d’autres concepts. L’être humain ne pense pas : il est un lieu connaissant des opérations conceptuelles, sa démarche intellectuelle étant elle-même une opération conceptuelle.