L’importance de la coutume dans les mœurs du féodalisme

La terreur provoquée par la peste noire s’insérait non seulement dans un mode de vie féodal en Europe, mais également dans un cadre de pensée qui lui était conforme.

Qu’en était-il ?

Dans le système esclavagiste, c’était l’agitation constante : les Cités-États sont en guerre permanente, l’esclavagisme est violent et perpétuellement réalimenté.

Cela joue beaucoup sur l’existence du polythéisme, avec ses multiples dieux permettant d’appréhender une réalité sociale très dynamique et toujours surprenante.

Les conditions de vie sont extrêmement difficiles, à part pour une infime minorité de « maîtres », et encore eux-mêmes ne conservent-ils leur position dominante qu’avec des efforts permanents, dans un contexte de compétition générale entre les Cités-États.

Henri V d’Angleterre, représenté debout en jeune prince de Galles, 1411-1413

Dans le féodalisme, la réalité est beaucoup plus statique. Les paysans et les nobles restent, peu ou prou, là où ils sont nés.

C’est tellement vrai que le mariage traditionnel des débuts du féodalisme, c’est le mariage entre cousins germains, dans une logique clanique.

C’est tout à fait marquant, car cette démarche est propre au tout début de l’esclavagisme ; le clan est le niveau avant la tribu. Il y a ainsi un redémarrage du processus de communauté élémentaire au sein même du féodalisme.

Comment est-ce possible ? C’est que, paradoxalement, les paysans ont une relative indépendance, ils forment une communauté clanique qui peut s’affirmer.

Pourquoi cela ? C’est que, dans le féodalisme, avant qu’un cadre strict ne soit établi, tout comme il faudra attendre en France le 11e siècle pour que le mariage soit encadré par la religion, tout est statique, mais de manière multiple.

Les territoires sont en concurrence. Si un seigneur permet davantage de choses chez lui, si on peut mieux vivre sur son territoire, alors des paysans vont s’enfuir des territoires voisins, pour aller sur le sien.

Le féodalisme implique la fragmentation : ce n’est pas comme dans l’esclavagisme, où il y a des empires ou du moins des Cités-États.

À l’époque de l’esclavagisme, il faut forcément appartenir à un peuple, ou bien une tribu.

Henri le Querelleur, duc de Bavière, vers 985

Naturellement, dans le féodalisme, il y a bien moins de solution individuelle que dans le capitalisme.

Néanmoins, cela en prend, très lentement, la direction et, paradoxalement, cela passe par le redémarrage par le début : par le mariage entre cousins germains, par l’établissement d’un clan.

Il faut ici avoir en tête l’aspect essentiel que représente la croissance des forces productives. Un esclave travaille mal, car il n’a aucune motivation pour bien faire les choses.

Il faut que le paysan se sente un minimum à l’aise pour travailler avec une certaine diligence, et donc les incitations matérielles vont s’installer au cœur de tout le dispositif productif du féodalisme.

D’où l’importance de la coutume dans la féodalité, tout comme le contrat de travail est essentiel dans le capitalisme. On n’est pas dans l’arbitraire de l’esclavagisme.

La coutume rassure le paysan ; il sait qu’il est perdant en bien des points, mais il existe des limites. Inversement, cela rassure le seigneur également, car il sait que les paysans acceptent la situation.

Grand Évangéliaire de saint Colomba, vers 800

Et, bien entendu, le seigneur va essayer de faire en sorte que la coutume enserre de plus en plus le paysan, jusqu’à tout faire pour l’empêcher de partir.

La coutume se transforme donc en droit ; le féodalisme implique l’expansion ininterrompue de l’arsenal juridique.

Le processus est, bien entendu, très lent ; un ouvrage ici connu est intitulé Coutumes de Clermont-en-Beauvaisis, compilé à la fin du 13e siècle par le juriste Philippe de Beaumanoir.

Il va de soi aussi que le droit se formalise avec le renforcement des institutions, notamment centrales : l’élévation du niveau des forces productives permet de disposer d’un personnel pour cela.

Les procès-verbaux des curies seigneuriales sont copiés, il y a des échanges, il y a des améliorations, des modifications, etc.

Cette pression juridique, qui se fonde sur l’écrit, est impensable sans prendre en compte le développement des premières villes. Celles-ci sont les bastions des commerçants et artisans, avec des revendications d’autonomie toujours plus marquées, exigeant des garanties juridiques.

L’Archange Gabriel de Visotski, 14e siècle

Et pour qu’il y ait le droit, il faut un État, au-delà des particularismes locaux. Le roi, qui gagne en importance tout au long du féodalisme, porte la loi, du moins symboliquement.

D’où la tradition d’en appeler à lui, en contournant les obstacles intermédiaires ; c’est surtout cela qui lui confère un statut tout à fait à part dans la population paysanne, qui se dit : si le Roi savait tout cela, il nous aiderait !

Cette croyance en un Roi juste s’appuie bien entendu sur le fait que celui-ci, dans sa quête de pouvoir, doit s’opposer aux seigneurs locaux, relevant de l’aristocratie tout comme lui, ainsi qu’aux villes soucieuses d’obtenir des libertés significatives, apparaissant pour cette raison même comme « au-dessus » des intérêts mesquins du point de vue du paysan.

Il ne faut donc pas avoir en tête que le féodalisme est le règne de l’instabilité et de l’arbitraire, malgré leur présence régulière bien sûr. La tendance qui prédomine, malgré tout, c’est le renforcement de la coutume, son établissement comme droit.

C’est le moteur idéologique donnant naissance à la monarchie absolue et la bourgeoisie elle-même, lorsqu’elle renverse le féodalisme, a comme premier sens de l’urgence d’établir un nouveau droit.

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