L’industrie de la reproduction humaine illustre une énième facette de la seconde crise générale du capitalisme

Plus le capitalisme avance, plus il doit trouver de nouveaux marchés pour se reproduire, et pour cela il doit de plus en plus se tourner vers du superflu et faire tomber les barrières morales. Cette dynamique va en s’intensifiant en temps de crise, puisqu’il existe alors une masse de capital cherchant à s’investir.

C’est le cas du marché de la reproduction humaine, qui profite de la stérilité causée par d’autres secteurs détruisant la nature et les capacités de reproduction des espèces, mais aussi de l’égocentrisme inhérent à une société individualiste.

Au lieu d’orienter les incroyables forces productives et technologiques vers le développement d’un mode de vie harmonieux, il y a un désordre caractéristique, où l’on ne raisonne qu’en court terme et en parades des développements anarchiques antérieurs.

En somme, on soigne les maux d’une industrie mortifère par une autre, encore plus aliénante avec de nouveaux intérêts en jeux.

Le grand « avantage » du marché de la reproduction est qu’il place son créneau dans le fondement même de la vie : perpétuer l’espèce. Et celle-ci passe par la capacité à se reproduire. C’est donc quelque chose qui peut passer facilement pour incontournable, dans lequel on ne va pas hésiter à investir.

Cette industrie a tout intérêt à transformer la procréation, déplaçant une production naturelle par une artificielle grâce à la technologie. C’est en cela que peuvent se créer de nouveaux secteurs dans lesquels les capitaux disponibles peuvent venir s’injecter.

Prenons par exemple les dispositifs de congélation des gamètes, l’imagerie médicale de pointe, le matériel obstétrique et bien sûr, le développement des outils génétiques, permettant d’isoler des gènes, de raccrocher des morceaux d’ADN tels que les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9.

C’est que pour être réellement un marché viable, la reproduction va devoir toucher les couples hétérosexuels non-stériles, le plus gros marché potentiel. Le moyen d’y arriver est la génétique.

Pour ce marché en pleine expansion, la libéralisation de la PMA n’est pas un droit pour les homosexuels, c’est l’outil principal du processus permettant de faire passer un saut qualitatif au marché en allant à la rencontre des couples fertiles et des femmes seules.

Et pour toucher des couples stériles et des femmes seules, il faut proposer quelque chose d’attractif à banaliser, avec le pragmatisme génétique, « pour le bien de sa descendance ».

On a ainsi un développement extrêmement sophistiqué de la génétique pour pouvoir d’abord proposer l’implantation d’embryons « sains », puis pour pouvoir de plus en plus proposer des « options ».

Le bond de la pratique de la PMA depuis 2015 correspond d’ailleurs à l’amélioration des congélations d’ovocytes, mais aussi à la multiplication des possibilités de diagnostiques préimplantatoires (DPI), avec notamment des techniques permettant, outre d’éliminer un large spectre de maladies génétiques, de choisir le sexe depuis l’analyse génétique de l’embryon.

On a donc des parents non-stériles qui optent pour la PMA pour éviter des « problème génétiques », ceux-ci allant de la trisomie 21 à la dyslexie en passant par le strabisme comme cela peut être proposé au Royaume-Uni. Et d’autres encore, parce qu’ils ne veulent pas de fille, du fait d’une société encore fortement patriarcale comme c’est souvent le cas des couples chinois, par exemple.

Depuis ces améliorations, le marché de la procréation et ses multiples entreprises éparpillées commencent à connaître une activité intense de fusions – acquisitions, montrant une tendance au monopole.

Au début des années 2010, les entreprises étaient éparpillées, avec d’un côté des cliniques « indépendantes », de l’autre quelques banques de sperme et une industrie de niche.

En Europe, c’est l’Espagne qui a constitué le premier pôle à faire de la reproduction un secteur avec un ensemble de cliniques privées (IVI) essaimant à l’étranger, profitant des lois libérales. Dans ce pays, le marché de la procréation était estimé à un chiffre d’affaire de 500 millions d’euros environ en 2018.

À titre comparatif, le marché des jus de fruit dans ce même pays (premier vendeur européen) est de 730,63 millions d’euros. La procréation est un secteur du médical dans lequel l’Espagne est spécialisé, au même titre que les jus de fruits dans l’agro-alimentaire.

Mais pour gagner du terrain il faut pouvoir baisser les prix et bénéficier de lois favorables, cela ne peut se faire qu’en « pesant » toujours davantage.

C’est le sens de la fusion en 2017 d’IVI les cliniques espagnoles et RMANJ les américaines, faisant de IVI-RMA Global le leader mondial du marché de la procréation.

Aux USA, le marché de la reproduction est estimé à 3,6 milliards de dollars en 2017. Toujours à titre comparatif, 1,65 milliard c’est le chiffre d’affaire de Burger King en 2018.

En Asie aussi, le marché de la reproduction est en plein essor, avec une industrie des biotechnologies très développée. La discrimination sexuelle à la naissance au bénéfice des garçons, encore très présente, y promet la popularité du CGP (criblage génétique préimplantatoire, sorte de DPI permettant le choix du sexe).

Progressivement, les leaders du marché de la procréation vont inéluctablement arriver au stade de monopoles, avec 2 grands secteurs :

1) Les services, des cliniques liées aux banques de gamètes et aux agences de mères porteuses, qui sont en lien avec les clients.

2) Les bio-technologies et labos pharmaceutiques (avec les tests ADN, l’imagerie médicale, les outils génétiques, les traitements hormonaux, les instruments obstétriques…) représentant tout de suite des masses de capitaux énormes dont la procréation n’est qu’une nouvelle branche.

La tendance est également à racheter quelques acteurs des services pour disposer d’un contrôle complet de la chaîne de production de fœtus. Plus il y a de cliniques, plus leur industrie a des débouchés.

Viennent ensuite des secteurs adjacents comme l’assurance, le transport, le « tourisme de la santé »…

Évidemment tout cela se fait de manière absolument opaque et anti-démocratique, il est par exemple très difficile de trouver des chiffres, des données et de savoir où tout cela peut bien mener la société.

La pression du secteur est déjà énorme sur les pays n’ayant pas encore libéralisé la PMA, mobilisant toute une couche intermédiaire intellectuelle libérale sous couvert d’égalité des droits.

Il en va de même pour la Gestation Pour Autrui (GPA). Le sandale des nouveaux nés coincés dans le pays de leur « gestatrice » pendant les confinements amène les pro-réglementation à arguer en faveur d’une législation pour faciliter les filiations à l’internationale.

Avec la GPA on normalise le fait de louer le corps d’une femme pour accéder au « désir » d’enfant de tierces personnes. On connaît bien le cas des couples gays, deux hommes ne peuvent pas avoir d’enfants. On connaît aussi le cas des couples hétérosexuels dont l’utérus de la femme ne fonctionne pas. À cela s’ajoute une multitude de raisons tordues de recourir à une mère porteuse : Avoir un enfant après la ménopause, ne pas vouloir abîmer son corps de femme « objectifié » ou encore être un homme et vouloir un enfant tout seul.

À aucun moment il n’est question de morale, tout est une question de pseudo-égalité à posséder des enfants, de possibilités et de choix, et le rôle du libéralisme est de promouvoir une société où la pire des choses n’est pas la traite des êtres humains mais l’entrave à la liberté de choix.

Cependant pour la GPA, l’argument de l’égalité des droits à beaucoup plus de mal à faire son chemin puisque cette pratique relève purement et simplement de la traite des êtres humains.

D’autant plus que l’exploitation reproductive nécessite un réservoir de femmes précaires pour baisser ses prix et pouvoir prétendre à vendre une grossesse à des couples de classe moyenne.

C’est le sens des multiples tentatives d’ouverture de la GPA en Amérique Latine, ou de son développement dans les pays de l’Est de l’Europe. À l’inverse on a pu voir de scandaleuses usines à bébés en Inde, mais la pression populaire a mené à procéder à une législation restrictive en 2015.

La crise du mode de production va entraîner une accélération de ce phénomène avec des injections massives de capitaux et une bourgeoisie moderniste poussant à une élimination complète des barrières morales en contournant le débat démocratique, avec par exemple des résolutions internationales.

La bioéthique va donc être une question cruciale au niveau mondial, c’est un aspect supplémentaire de la friction entre le capitalisme et l’ensemble de la vie, de la biosphère, toujours plus méprisée et bafouée.