Karl Marx dit qu’une partie des travailleurs restent sur le carreau en raison de l’expansion de la proportion de la part du capital dédié aux investissements (machines, matières premières, etc.) par rapport à la part dédiée aux salaires.
Le phénomène a été constaté par Karl Marx.
Inversement, il n’a pas constaté ce qui pourrait, selon toute hypothèse, être le pendant du côté des marchandises : la hausse de leurs prix.
Essayons de reconstituer le phénomène. On a dix entreprises, vendant à cent consommateurs des choses variées, disons cinq types de marchandises. Ces entreprises sont en concurrence deux par deux, c’est-à-dire que pour chaque marchandise, on a deux entreprises les produisant.
Disons que l’entreprise numéro 2, en concurrence avec l’entreprise numéro 1, réussit à trouver un moyen technique d’améliorer sa production. Elle investit et par conséquent la part du capital dédiée aux salaires baisse autant, en proportion, qu’augmente la part dédiée aux investissements.
Ce processus va permettre aux consommateurs d’acheter moins cher les marchandises de l’entreprise numéro 2 (par rapport à celles de l’entreprise numéro 1), mais en même temps l’entreprise numéro 2 va avoir à tendance à dégager des travailleurs du processus productif.
Il y a, et c’est la contradiction, plus de consommation et moins de travailleurs.
S’il n’y avait pas des cycles capitalistes dans tous les sens, rendant tendanciel le phénomène, le processus serait à court terme impossible : sans travail, pas d’argent et pas de consommation. Il faudrait pour maintenir une croissance, comme se l’imaginait Rosa Luxembourg, que le capitalisme trouve toujours des zones non capitalistes à conquérir.
Mais on sait que, justement, de par l’élargissement perpétuel de la base capitaliste, le capitalisme parvient à dépasser les goulots d’étranglements.
Et c’est là que l’inflation intervient.
Dans la partie du Capital sur la production de la plus-value relative, Karl Marx dit que les capitalistes ne peuvent pas baisser les salaires à moins d’une amélioration de la production capitaliste en deux domaines : celui des marchandises destinées à la vie des travailleurs et celui de la production des moyens de production.
Cela implique que s’il y a moins de consommation et que les capitalistes veulent maintenir leurs profits, comme ils ne peuvent pas baisser les salaires (à moins d’un progrès dans les deux domaines mentionnés), alors ils n’ont qu’une seule option : augmenter les prix.
C’est même pour cela que ce phénomène ne se produit qu’au moment où le capitalisme a atteint un certain niveau productif, au début du 20e siècle, strictement de manière parallèle à sa première crise générale.
Reprenons l’exemple des dix entreprises. Les succès de l’entreprise numéro 2 font les malheurs de l’entreprise numéro 1. Cependant, ce n’est pas tout : les succès de l’entreprise numéro 2 aboutissent à la mise de côté de travailleurs, donc à l’affaiblissement de la consommation en général.
Par conséquent, les capitalistes des entreprises autres que les entreprises numéro 1 et 2 doivent augmenter leurs prix afin de maintenir leurs marges : ils vont vendre moins de produits, mais plus chers.
Naturellement, ils ne vont pas tous vendre moins de produits, mais ceux qui vont le faire vont augmenter de telle manière que cela va entraîner une hausse mécanique des prix chez les autres.
La hausse de prix, lorsqu’elle est possible, permet un réajustement perpétuel pour les capitalistes face à la chute de leurs taux de profit.
Pourquoi alors Karl Marx ne parle-t-il pas de cela dans Le capital ?
Pourquoi n’ajoute-t-il pas l’inflation dans la liste des moyens de contrecarrer la chute tendancielle du taux de profit ?
Il ne parle en effet que de l’augmentation du degré d’exploitation du travail, de la réduction du salaire au-dessous de sa valeur, de la baisse des prix des éléments du capital constant, de la surpopulation relative, du commerce extérieur, de l’augmentation du capital par actions.
C’est que, comme vu plus haut, pour Karl Marx, les travailleurs ne consomment pratiquement pas, d’où le fait que pour lui, la seule chose qui joue réellement sur le salaire soit le prix des marchandises destinées à la vie des travailleurs (en plus de celui de la production des moyens de production).
Aujourd’hui, la vie des travailleurs s’appuie sur une consommation très large. Autrement dit, comme l’exposait la Fraction Armée Rouge en Allemagne au début des années 1970 :
« Le fait est que ni Marx ni Lénine ni Rosa Luxembourg ni Mao n’ont eu à faire au lecteur du [journal populiste à gros tirage] Bild, au téléspectateur, au conducteur de voiture, à l’écolier psychologiquement formaté, à la réforme universitaire, à la publicité, à la radio, à la vente par correspondance, aux plans d’épargne logement, à la « qualité de la vie », etc.
Le fait est que le système se reproduit dans les métropoles par son offensive continue sur la psyché des gens, et justement pas de manière ouvertement fasciste, mais par le marché.
Considérer pour cela que des couches entières de la population sont mortes pour la lutte anti-impérialiste, parce qu’on ne peut pas les caser dans l’analyse du capitalisme de Marx, est pour autant délirant, sectaire comme non-marxiste.
Ce n’est que si l’on arrive à amener la journée de 24 heures au concept impérialiste / anti-impérialiste que l’on peut parvenir à formuler et à présenter les problèmes concrets des gens, de telle manière qu’ils nous comprennent. »
Il suffit de regarder un simple aspect. En France, le prix moyen d’achat d’un smartphone est passé de 370 euros en 2017 à 487 euros en 2023. Une telle augmentation correspond directement à de l’inflation.
Les producteurs de smartphones ont « élevé » artificiellement leur production sur le plan technique afin de grignoter davantage leur part dans les dépenses des travailleurs.
Ou bien, si l’on prend McDonald’s. Le même Big Mac coûte, en 2023, 4,45 euros à Vincennes en banlieue parisienne, 5,70 à Lyon, 6,90 euros à Dijon. La raison est que les restaurants McDonald’s sont gérés à 90 % par des franchisés. Les murs appartiennent à McDonald’s, qui obtient plus de la moitié de ses revenus des loyers. Les franchisés font parfois, pour les mêmes marchandises, le choix d’une inflation afin de grignoter des revenus.
Cette hausse n’a aucune justification, si ce n’est une tendance à chercher davantage de profit et de trouver un moyen coûte que coûte. C’est une démarche en soi artificielle, mais elle est permise par une tendance au monopole.
Monopole dans la vente des produits McDonald’s, mais monopole également de la part de McDonald’s de l’autre, qui possède les murs du restaurant franchisé. Le loyer, bien entendu plus élevé que la normale, fait pratiquement office de dépendance à un crédit de la part du franchisé.
L’exemple le plus fameux de hausse artificielle est naturellement Apple, dont les produits voient leur prix ne cesser de croître, sous prétexte d’améliorations plus ou moins fictives. L’inflation s’appuie clairement sur un marché captif et la mode sert de masque pour un « progrès » provoqué artificiellement.
Ce phénomène est présenté par certains philosophes, dont Martin Heidegger est le plus connu, comme une conquête du monde par la technique. La technique envahirait la société humaine et la déformerait. En réalité, c’est l’idéologie de la technique qui est à l’œuvre, avec des modifications artificielles ou relevant de la mode pour « justifier » une inflation.
Et il y a une dimension commerciale dans la démarche qui consiste très clairement en une régression. Ce jeu sur la hausse des prix reflète une tendance au monopole associé à une logique commerciale, ce dont tout le monde s’aperçoit bien – et cela montre que d’un côté on est arrivé au monopole, et qu’en même temps le capitalisme ramène en arrière, à une logique féodale d’arrachage forcé.
Le capitalisme est mûr pour l’effondrement, à un tel stade.