L’influence du modernisme et du proletkult sur la musique classique des années 1920 en URSS

Cherchant à préserver le patrimoine musical classique, l’URSS des années 1920 accorda une place particulière à plusieurs œuvres marquantes. On a ainsi les symphonies de Beethoven qui furent régulièrement jouées, avec un accent particulier sur la neuvième, dont le final fut régulièrement employé dans les festivités. La société Beethoven fut fondée en 1927 à l’occasion du centenaire de sa mort.

On a également le Requiem de Mozart qui fut valorisé notamment pour le concert spécial des martyrs de la révolution aux Champ de Mars de Petrograd en 1920, ainsi que le passage de la mort de Siegried dans Le crépuscule des dieux de Wagner.

Toutefois, si Mozart et Beethoven furent admis comme des titans, la position de Bach fut plus compliqué, chose absurde réparée heureusement dans les années 1930, même si la société Bach est fondée dès 1928. Gustav Mahler ne fut pareillement reconnu que dans les années 1930.

Le problème de fond est en effet que la jeune URSS souffrait de deux tendances erronées dans le domaine de la culture, toutes deux unies malgré leur opposition.

Certains se tournaient vers les expérimentations occidentales, d’autres allaient dans un sens « prolétarien », dans l’esprit gauchiste du « proletkult ».

On a ainsi en 1922 la Symphonie pour sirènes d’Arseny Avraamov (1886-1944), utilisant des sirènes d’usine et de navires, des clochers, des camions, des hydravions, 25 locomotives à vapeur, un orchestre, des chœurs, des régiments militaires, etc.

Parmi les principales figures de cette scène se prétendant avant-gardiste et contribuant parfois, très rarement, à certaines avancées, on a Nikolai Rosslavets (1880-1944), Arthur Lourié (1891-1966), Alexandre Mossolov (1900-1973). Ce dernier est notamment à l’origine d’un ballet intitulé L’acier, en 1926-1928, dont voici un extrait, intitulé L’aciérie.

Voici également, toujours d’Alexandre Mossolov, L’arrivée du tracteur au kolkhoze, de 1926-1927.

Il faut également mentionner Vladimir Deshevov (1889-1955), qui a composé la pièce pour piano Les rails en 1926, et Vladimir Dukelski (1903-1969), qui a lui quitté la Russie dès 1920.

Voici Les rails.

La direction à prendre était cependant très discutée. D’un côté, on a ainsi la RAPM, l’association russe des musiciens prolétaires, fondée en juin 1923, allant dans la logique du proletkult, avec à partir de 1929 l’appui du Collectif de production (Prokoll), qui cherchait à produire des opéras révolutionnaires.

Une scission de la RAPM fut également l’ORKiMD, l’Association des compositeurs et activistes musicaux révolutionnaires, fondée en 1924 et produisant la revue Muzyka i revolioutsiaa (Musique et révolution), disparaissant en 1929.

De l’autre côté, on avait l’ACM, l’association pour la musique contemporaine. Cette dernière structure avait dans ses rangs des figures majeures comme Nikolaï Miaskovski, Dmitri Chostakovitch, mais également des avant-gardistes revendiqués comme Alexandre Mossolov, ainsi que Nikolai Rosslavets qui était même à l’origine de la fondation de l’ACM.

L’influence du modernisme fut marquant, comme en témoigne le programme de la philharmonie de Leningrad. On y trouve toute une série d’œuvres relevant de cette démarche.

On a notamment Verklärte Nacht d’Arnold Schönberg en 1923-1924, ainsi que Fontane di Roma d’Ottorino Respighi et les Variations sur un thème de Mozart de Max Reger. En 1925-1926 on a l’opéra qui fut un immense succès bourgeois en 1912, Ferner Klang de l’Autrichien Franz Schreker.

On a la même année une profonde affirmation du modernisme français, avec Pacific 231 d’Arthur Honegger, qui chercher à reproduire les sons d’une locomotive, ainsi que des œuvres de Francis Poulenc, Erik Satie, Darius Milhaud, Jean Wiéner, Georges Auric. Ce dernier était un compagnon de route du Parti Communiste en France et cela en dit long sur l’influence idéologique bourgeoise en son sein.

Premier numéro du journal de la RAPM,
avec une couverture réalisée
par la peintre cubo-futuriste Lioubov Popova

Tout le programme de la philharmonie de Leningrad des années 1920 fut marqué par cette affirmation moderniste ; au théâtre maly (le « petit », par opposition au bolchoï, le « grand »), on joua par exemple également Jonny spielt auf d’Ernst Krenek (qui devint un partisan dans la foulée de l’austro-fascisme).

Cette concurrence entre tenants du proletkult et partisans d’un éclectisme occidental parasita toutes les années 1920, avant qu’en 1932 le PCUS(b) n’unifie les associations des musiciens et n’ouvre la voie au réalisme socialiste.

Déjà toutefois des œuvres marquantes avaient pu émerger, notamment avec l’Ukrainien Reinhold Glière (1874-1956). Celui-ci, par la suite, dans la période 1938-1948, partit en Ouzbékistan et en Azerbaïdjan pour étudier la musique folklorique et l’appuyer.

Cette figure de la musique classique d’avant 1917 se plaça au service de l’URSS, produisant notamment Fantaisie pour le festival de l’Internationale Communiste en 1924, Marche héroïque pour la République Socialiste Soviétique Autonome bouriate-mongole en 1936, Ouverture solennelle pour le vingtième anniversaire de la révolution d’Octobre (1937), Amitié des peuples à l’occasion des cinq ans de la constitution soviétique en 1941, Pour le bonheur de la mère patrie (1942), 25 ans de l’armée rouge en 1943.

Voici Le Pavot Rouge, un ballet révolutionnaire populaire qu’il composa en 1927, dans une version filmée de 1955.

Voici ici le passage avec une chanson traditionnelle de la marine.

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