L’intervention japonaise en Chine

Cependant, un autre élément capital commença également à jouer un rôle : l’intervention japonaise en Chine se faisait toujours plus agressive et sanglante.

Prenant prétexte un attentat contre une voie ferrée appartenant à une entreprise chinoise, le 18 Septembre 1931 – attentat monté par les services secrets japonais – le Japon envahit la Mandchourie et créa en février 1932 l’État fantoche du Mandchoukouo.

L’État fantoche du Mandchoukouo

La république chinoise soviétique déclara ainsi en réponse la guerre au Japon, le 15 avril 1932.

Le Parti Communiste était ainsi capable de réaliser une véritable proposition stratégique. Le Parti lui-même avait une solide compréhension de la société chinoise, comme en témoigne son programme en dix points adopté au sixième congrès, en juillet 1928 :

1) renversement de la domination de l’impérialisme ;

2) confiscation des entreprises et des banques appartenant au capital étranger ;

3) unification de la Chine et reconnaissance aux minorités nationales du droit à l’autodétermination ;

4) renversement du gouvernement des seigneurs de guerre du Kuomintang ;

5) établissement du pouvoir des conseils des délégués des ouvriers, des paysans et des soldats ;

6) institution de la journée de huit heures, augmentation des salaires, secours aux chômeurs, assurances sociales, etc. ;

7) confiscation de toutes les terres des propriétaires fonciers et distribution des terres aux paysans ;

8) amélioration des conditions de vie des soldats, distribution à leurs familles des terres auxquelles ils ont droit et attribution de travail à leurs familles ;

9) abolition de toutes les taxes et autres contributions exorbitantes et adoption d’un impôt progressif unique ;

10) union avec le prolétariat mondial et avec l’U.R.S.S.

L’intervention japonaise demandait cependant un réajustement.

Mao Zedong pendant la guerre civile ; à gauche, Zhou Enlai

Mao Zedong analysa par conséquent les réactions à l’invasion japonaise dans les différentes couches sociales, dans La tactique de lutte contre l’envahisseur japonais, en 1935.

Et il formula les corrections à faire.

« Les ouvriers et les paysans réclament la résistance. La révolution de 1924-1927, la révolution agraire de 1927 à nos jours et la vague anti-japonaise qui déferle depuis l’Incident du 18 Septembre 1931 montrent que la classe ouvrière et la paysannerie sont les forces les plus résolues de la révolution chinoise.

La petite bourgeoisie réclame également la résistance. La jeunesse étudiante et la petite bourgeoisie urbaine n’ont-elles pas déjà déclenché un vaste mouvement antijaponais ?

Cette fraction de la petite bourgeoisie chinoise avait participé à la révolution de 1924-1927. Sa situation économique relève, comme celle des paysans, de la petite exploitation, et ses intérêts sont inconciliables avec ceux des impérialistes.

Ses membres ont cruellement souffert de l’impérialisme et de la contre-révolution chinoise, qui ont acculé nombre d’entre eux au chômage et à la ruine totale ou partielle.

Maintenant, sous la menace directe de se voir réduits à l’état d’esclaves coloniaux, ils n’ont plus d’autre issue que la résistance.

Mais comment la bourgeoisie nationale, la bourgeoisie compradore, la classe des propriétaires fonciers et le Kuomintang réagissent-ils devant cette question?

Les grands despotes locaux et mauvais hobereaux, les grands seigneurs de guerre, les gros bureaucrates et les gros compradores ont depuis longtemps pris parti.

Comme toujours, ils soutiennent qu’une révolution – quelle qu’elle soit – est pire que l’impérialisme.

Ils ont constitué le camp de la trahison ; pour eux la question de savoir s’ils seront ou non des esclaves coloniaux ne se pose pas, puisqu’ils ont perdu tout sentiment national et que leurs intérêts sont inséparables de ceux des impérialistes.

Leur champion est Tchiang Kaï-chek. Ce camp de la trahison est l’ennemi juré du peuple chinois.

Sans cette meute de traîtres, l’impérialisme japonais ne se serait jamais lancé dans cette agression avec autant de cynisme. Ils sont les valets de l’impérialisme.

La bourgeoisie nationale pose un problème complexe. Cette classe avait pris part à la révolution de 1924-1927, mais effrayée par le feu de la révolution, elle passa dans le camp de l’ennemi du peuple — la clique de Tchiang Kaï-chek.

Il s’agit de savoir s’il est possible que la bourgeoisie nationale modifie sa position dans les circonstances actuelles.

Nous estimons que cela est possible, car cette classe ne s’identifie pas avec celle des propriétaires fonciers ni avec la bourgeoisie compradore: entre elle et ces dernières, il existe une différence.

La bourgeoisie nationale n’a pas un caractère féodal aussi prononcé que la classe des propriétaires fonciers ni un caractère compradore aussi marqué que la bourgeoisie compradore.

Une fraction de la bourgeoisie nationale, son aile droite, a des liens assez étroits avec le capital étranger et les intérêts fonciers chinois et, pour le moment, nous ne spéculerons pas sur les chances d’un changement de position de sa part.

Le problème se pose pour les autres fractions de la bourgeoisie nationale, qui n’ont pas de liens de ce genre ou qui en ont peu. Nous croyons que, dans cette situation nouvelle, où la Chine se trouve en danger d’être réduite à l’état de colonie, un changement peut se produire dans leur attitude.

Le trait caractéristique de ce changement sera l’hésitation.

D’une part, elles détestent l’impérialisme, d’autre part, elles redoutent une révolution poussée jusqu’au bout: elles balancent entre les deux attitudes.

Cela explique pourquoi dans la période révolutionnaire de 1924-1927 la bourgeoisie nationale avait pris part à la révolution et pourquoi elle passa du côté de Tchiang Kaï-chek à la fin de cette période.

Quelle différence y a-t-il entre l’époque actuelle et celle de 1927, où Tchiang Kaï-chek trahit la révolution? La Chine n’était alors qu’une semi-colonie, elle est aujourd’hui en voie de devenir une colonie.

Au cours de ces neuf années, qu’est-ce que la bourgeoisie nationale a gagné à abandonner son alliée, la classe ouvrière, et à lier amitié avec les propriétaires fonciers et les compradores?

Rien du tout, sinon la ruine totale ou partielle de ses entreprises industrielles et commerciales.

C’est ce qui nous fait conclure à la possibilité d’un changement d’attitude de la bourgeoisie nationale dans les circonstances actuelles.

Quelle sera l’importance de ce changement? L’hésitation en sera la caractéristique générale. Néanmoins, à un certain stade de la lutte, il est possible que l’une des fractions de la bourgeoisie nationale, son aile gauche, participe à la lutte, et qu’une autre passe d’une attitude hésitante à la neutralité (…).

Si notre gouvernement a été fondé jusqu’à présent sur l’alliance des ouvriers, des paysans et de la petite-bourgeoisie urbaine, il nous faut dès maintenant le réorganiser de façon qu’il comprenne des membres de toutes les autres classes désireux de participer à la révolution nationale.

Pour le moment, un tel gouvernement aurait pour tâche essentielle de s’opposer à l’annexion de la Chine par l’impérialisme japonais (…).

Pourquoi transformer la république des ouvriers et des paysans en république populaire?

Notre gouvernement ne représente pas seulement les ouvriers et les paysans, mais toute la nation.

Cela était exprimé implicitement dans notre formule de république démocratique des ouvriers et des paysans, étant donné que les ouvriers et les paysans constituent les 80 à 90 pour cent de la population.

Le Programme en dix points, adopté par le VIe Congrès de notre Parti, exprime non seulement les intérêts des ouvriers et des paysans, mais aussi ceux de la nation tout entière.

La situation présente exige cependant que nous remplacions notre formule par celle de république populaire.

En effet, l’agression japonaise a modifié les rapports de classes en Chine et rendu possible la participation à la lutte antijaponaise de la petite bourgeoisie et même de la bourgeoisie nationale.

Il va de soi que la république populaire ne représentera point les intérêts des classes ennemies.

Au contraire, elle sera directement opposée aux despotes locaux, aux mauvais hobereaux et à la bourgeoisie compradore, laquais de l’impérialisme, et ne les considérera pas comme faisant partie du peuple, exactement comme, à l’inverse, le « Gouvernement national de la République chinoise » de Tchiang Kaï-chek représente seulement les ploutocrates et non les gens du peuple, qui, pour lui, ne font pas partie de la nation.

La population de la Chine étant constituée dans une proportion de 80 à 90 pour cent par les ouvriers et les paysans, la république populaire devra en premier lieu représenter leurs intérêts.

Cependant, en rejetant l’oppression impérialiste pour donner la liberté et l’indépendance à la Chine et en brisant le pouvoir d’oppression des propriétaires fonciers de façon à libérer la Chine du régime semi-féodal, la république populaire profitera non seulement aux ouvriers et aux paysans, mais également aux autres couches du peuple.

Les intérêts des ouvriers, des paysans et du reste du peuple représentent, dans leur totalité, les intérêts de la nation chinoise. La bourgeoisie compradore et la classe des propriétaires fonciers vivent sur le sol chinois, mais elles ne tiennent pas compte des intérêts de la nation, et leurs intérêts sont en conflit avec ceux de la majorité.

Comme nous ne rompons qu’avec cette petite minorité et n’entrons en lutte que contre elle, nous avons le droit de nous appeler les représentants de toute la nation.

Il y a, bien entendu, conflit d’intérêts entre classe ouvrière et bourgeoisie nationale. Il est impossible de développer avec succès la révolution nationale sans donner à son avant-garde, la classe ouvrière, les droits politiques et économiques ainsi que la possibilité de diriger ses forces contre l’impérialisme et ses valets, les traîtres à la nation.

Cependant, si la bourgeoisie nationale adhère au front uni anti-impérialiste, la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale auront des intérêts communs.

Durant la période de la révolution démocratique bourgeoise, la république populaire n’abolira pas la propriété privée, à l’exception de celle revêtant un caractère impérialiste ou féodal, et, loin de confisquer les entreprises industrielles et commerciales de la bourgeoisie nationale, elle en encouragera le développement. Nous devons protéger tout capitaliste national qui n’accorde pas son soutien aux impérialistes ou aux traîtres à la nation. »

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