L’irrépressible tendance à l’unité ouvrière après le 6 février 1934

La séquence du 6 février 1934 a puissamment ébranlé le mouvement ouvrier français, au point qu’il est évident pour tout le monde que rien ne peut rester pareil. Le Parti communiste (SFIC) y voit une chance, car de par sa base remuante en région parisienne, il est le premier à avoir pris l’initiative le 9 février. Il en découle un réel prestige, qu’il compte bien utiliser et cela à tout prix puisqu’il est dans une situation d’isolement complet.

Cela se ressent d’autant plus fortement qu’au prestige antifasciste se voit associé celui d’avoir généralisé l’opposition à la guerre avec le Comité Asmterdam-Pleyel. Si la lutte anti-guerre avait ébranlé les digues autour du Parti communiste (SFIC), l’antifascisme finit de les faire céder. Il y a une possibilité de sortir de la situation : le Parti communiste (SFIC) s’y précipite, et ce d’autant plus qu’il s’agit de tourner la page du chaos interne suite à la domination de la direction Barbé-Celor.

Maurice Thorez

À la fin juin 1934, Maurice Thorez fait en tant que dirigeant du Parti communiste (SFIC) son rapport à la conférence nationale, qui a comme seul thème « l’organisation du front unique de lutte antifasciste ».

Il titre le rapport « Les travailleurs veulent l’unité ! » et ses deux références pour l’unité sont le travail commun effectué dans le cadre du Comité Amsterdam-Pleyel et celui mené dans l’action syndicale.

Ce dernier point est essentiel, car Maurice Thorez prône l’unité syndicale, donnant des conditions bien précises pour cela :

– une plate-forme minimale de revendications ;

– la liberté d’opinion ;

– l’absence d’exclusion pour des motifs d’opinion divergente ;

– une discipline unitaire « contre le patronat et les fascistes » ;

– des élections démocratiques avec représentation proportionnelle.

On a ici quelque chose d’absolument essentiel, qui n’a pas été vu à l’époque, ni même depuis en fait. Le mouvement commencé en février 1934 aboutit en effet au Front populaire. Mais le Front populaire n’est pas qu’un bloc pour les élections, c’est un programme qui est soutenu par la CGT, une CGT qui s’est réunifiée au début de l’année 1936.

L’unité syndicale est même le phénomène majeur, et comme on le voit avec les conditions données par Maurice Thorez, elle s’appuie sur une base « socialiste unitaire ». Les conditions correspondent en effet ni plus ni moins qu’à la forme historique d’organisation des socialistes français, avec le droit de tendance et la représentativité.

Maurice Thorez

C’est là du pragmatisme, car la ligne de Maurice Thorez, c’est de sortir le Parti communiste de son isolement politique – l’isolement social et culturel s’estompant massivement avec Février-1934 et auparavant avec le mouvement anti-guerre d’Amsterdam-Pleyel – en parvenant à œuvrer dans une CGT unifiée de masse.

Cela veut bien entendu faire du Parti communiste (SFIC) un bras politique de l’activité syndicale, ce qui est précisément la nature du Parti communiste (SFIC) en fait. La Conférence nationale du Parti communiste (SFIC) de juin 1934 se conclut pour cette raison sur trois mots d’ordre : Front unique d’action, CGT unique lutte de classes, Alliance avec les classes moyennes.

Sauf que cela a un prix, que le Parti communiste (SFIC) ne connaît pas encore. Loin d’être un pays misérable, la France est une puissance capitaliste avec des couches intermédiaires très fortes, représentées par les « radicaux », c’est-à-dire les centristes.

Le Parti communiste (SFIC) ne peut pas le voir, car il n’a pas de lecture historique de la société française ; il ne voit pas le poids des traditions françaises, l’ampleur du scepticisme français comme mentalité dominante. En fait, le Parti communiste (SFIC) ressent ce scepticisme : c’est pourquoi il se précipite dans le Front populaire, pour acquérir une légitimité. Mais sans lecture historique, il va passer dans l’orbite des radicaux.

Avant que ce processus ne s’accomplisse politiquement, le Parti communiste (SFIC) vit donc au rythme de ses propres orientations, et celles-ci sont syndicalistes, pour une déviation présente dès sa fondation. Et le tournant syndical se concrétise début juillet 1934, lorsque la CGT Unitaire propose à la CGT un congrès de fusion, sans conditions.

C’est la fin du Parti communiste (SFIC) comme force isolée mais fière, assumant un isolement forcené pour établir une base ultra-active, dans l’idée de la « minorité agissante » si chère au syndicalisme français.

Maurice Thorez lors d’un meeting.
A l’arrière-plan, les figures de Staline, le dirigeant du Mouvement Communiste International, et d’Ernst Thälmann, le dirigeant du Parti Communiste d’Allemagne

Parallèlement, on a le meeting de Bullier le 3 juillet 1934, réunissant les socialistes de la région parisienne et le Parti communiste (SFIC) ; c’est là un aspect très important.

La gauche du Parti socialiste (SFIO), dirigée par Jean Zyromski, dispose en effet de l’hégémonie dans la région parisienne. Elle a suffisamment les coudées franches pour impulser sa propre ligne, surtout qu’au sein du Parti socialiste (SFIO), c’est le fédéralisme qui prime.

Ici encore, le Parti communiste (SFIC) pense être gagnant, car il sort de l’isolement, surtout dans la région parisienne qui est son bastion. Il n’y a pas pour autant de réelle réflexion : le Parti communiste (SFIC) se précipite et s’aligne. Et, de toutes façons, la classe ouvrière qui se met en branle n’a pas le sens des nuances politiques et ne se tourne pas vers le terrain des idées ou de la culture.

Ce qui prime, c’est la réaction effervescente au 6 février 1934. C’est pourquoi, dans la foulée du meeting du 3, se tient Paris le 8 juillet une manifestation de 100 000 personnes sur la même base d’unité des socialistes et des communistes de la région parisienne.

Avec un tel arrière-plan, le Parti communiste (SFIC) propose alors un pacte d’unité d’action au Parti socialiste (SFIO) et ce dernier accepte une discussion entre délégations à l’occasion de son Conseil national du 15 juillet, où le thème de l’unité était au premier rang des préoccupations.

C’est Léon Blum qui s’est chargé d’encadrer la question, au moyen des éditoriaux dans Le Populaire, car il est profondément inquiet. Une partie significative du Parti socialiste (SFIO) veut l’unité avec le Parti communiste (SFIC) et est prêt à une rupture interne pour l’obtenir. La tendance générale est à l’unité, cela apparaît comme indiscutable.

Aussi, Léon Blum, tout en disant qu’il ne veut rien freiner, ne cesse de présenter ce qu’il voit comme des points à souligner, des questions à soulever, des réflexions à avoir, des discussions à réaliser, etc.

C’est le sens des éditoriaux creux, visant à gagner du temps et à profiter de la faiblesse idéologique du Parti communiste (SFIC) pour apparaître comme rationnel, posé, bref « socialiste » : « Les problèmes de l’unité » (7 juillet), « L’unité d’action : les données du problème » (8 juillet), « Les problèmes de l’unité : les conditions de l’action commune » (9 juillet), « Les problèmes de l’unité : l’objet de la lutte commune » (10 juillet), « Les problèmes de l’unité : action commune et unité organique » (11 juillet), « Les problèmes de l’unité : les conditions de l’unité organique » (12 juillet), « Les problèmes de l’unité : la défense internationale contre le fascisme » (13 juillet), « Unité d’action » (14 juillet).

Le Conseil national du Parti socialiste (SFIO) accepte alors, inévitablement, l’unité d’action contre le fascisme et la guerre, posant trois conditions :

– la « bonne foi réciproque » avec la focalisation uniquement sur « l’objet commun » ;

– la « défense des libertés démocratiques » et la non-multiplication des « manifestations jusqu’au point de créer la lassitude de l’indifférence de la masse » ;

– le « contrôle de l’action commune » par un « Comité de coordination » avec les deux organisations.

3471 mandats ont soutenu l’unité, 366 s’y opposaient ; il y eut 67 abstentions. De manière notable, la victoire écrasante des tenants de l’unité ne fut pas présentée ainsi par le Parti socialiste (SFIO) et Le Populaire, qui cherchèrent à neutraliser la situation, au contraire naturellement du Parti communiste (SFIC) et de L’Humanité qui y virent une avancée de leurs propres positions.

Le Parti socialiste (SFIO) fit également en sorte qu’en même temps que le vote en faveur d’un pacte, il soit appelé à la propagande et au recrutement. L’objectif avoué était d’empêcher que la base soit « charmée » par l’activisme du Parti communiste (SFIC).

Neuf tracts furent immédiatement présentés, tentant de balayer un spectre assez large afin de satisfaire les attentes d’action de la base : Le sabotage de la République, Le sabotage de la paix, Le sabotage de l’Agriculture, Le sabotage du Travail, Le sabotage du Petit Commerce, Le sabotage de l’École Laïque, Le sabotage de la Réforme fiscale, Le sabotage de la Réforme administrative, Le sabotage des Finances par les marchands de canons.

Les thèmes choisis, comme on peut le voir, servent également à dénoncer le gouvernement et axer la contestation sur ce plan.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935