1943 est l’année de l’effondrement interne du fascisme italien. Rien qu’en mars ont lieu des grèves en masse, à Turin tout d’abord, puis Milan, Venise afin de se diffuser, pour toucher 100 000 ouvriers protestant contre leurs conditions de vie et exigeant la paix. Les centaines d’arrestations ne suffisent pas à ébrécher un mouvement témoignant d’une véritable relance de la lutte de classe ; elles nuisent par contre grandement aux réseaux communistes.
Toutefois, les impérialistes connaissent également la situation et ils ont intégré ce fait. En juillet 1943, le 10, les Alliés organisent un débarquement en Sicile, ayant pris au préalable de nombreux contacts avec la mafia italienne pour aider à assurer une transition. L’Armée fasciste ne fait pas le poids avec ses 18 divisions mal équipées, ainsi que 8 autres en garnisons dans les îles, alors que 34 autres sont actives en France, en Grèce et dans les Balkans.
Dans la foulée, 25 juillet 1943, le Grand Conseil du fascisme démet Benito Mussolini et l’emprisonne. L’Armée allemande le libère et occupe le Nord et le Centre de l’Italie, qui deviennent la « République Sociale Italienne », alors que la zone sud reste à la monarchie, désormais soutenue par les Alliés. Benito Mussolini devient alors la cible d’absolument tout le monde, présenté comme le principal voire le seule coupable de la dérive ayant faite de l’Italie une alliée soumise à l’Allemagne nazie.
Le militaire Pietro Badoglio devient chef du gouvernement et l’Italie déclare la guerre à l’Allemagne. Cette dictature militaire de 45 jours est toutefois ambivalente ; elle n’est qu’un intermède brutal, une tentative sanglante de maintenir un fascisme sans Benito Mussolini ni discours fasciste, accompagnée de 93 morts, 536 blessés, 2276 arrestations.
Par la suite, on a une sorte de gouvernement temporaire instaurant les libertés élémentaires : la transition entre fascisme et démocratie bourgeoisie était assuré, mais sous l’égide des alliés.
Le régime fasciste s’est effondré ; il n’a pas été renversé. Il n’y aucune effusion de sang, pratiquement, dans ce qui est simplement une passation de pouvoir. Au cours de ce processus, il y a des grèves ouvrières, la presse de gauche réapparaît, des prisonniers politiques sont libérés.
Naturellement, le PCI profite énormément de cette vague populaire qui se déroule partout ; en trois semaines, il a déjà pratiquement 20 000 membres organisés. Mais lui-même appartient de manière unilatérale au courant qui veut pactiser avec les fascistes ayant rompu avec Benito Mussolini.
Voici ainsi les revendications faites par le PCI, de manière conjointe avec le Parti Socialiste Italien et le Partito d’Azione, parti antifasciste non communiste et non catholique, de type radical socialiste républicain et issu de Giustizia e Libertà, lors du gouvernement des 45 jours de Pietro Badoglio.
Elles sont justes, mais elles ne posent pas la question du cadre du régime : tous les partis sont républicains, mais en allant pas jusqu’à vouloir rompte avec la monarchie, ils se bloquent la formation d’un bloc du type Front populaire comme au moment de la guerre d’Espagne.
« Le PCI, le PSI et le P d’A déclarent l’entière responsabilité du « régime Badoglio » :
a) pour l’échec de la conclusion d’un armistice immédiat.
b) Pour la non défense contre le danger de l’invasion allemande toujours possible, en faisant appel aux forces populaires.
c) pour l’absence de retour des libertés démocratiques et la non liquidation effective du régime fasciste
d) pour la non libération de tous les détenus politiques et, en vue des développements possibles de la dangereuse situation intérieure et internationale qu’une telle politique n’a pas allégés mais aggravés,et pour le manque de toute autorité active pour résoudre les problèmes créés par la situation elle-même…
C’est pour ces raisons que le PCI, le PSI et le P d’A décident de constituer un Comité permanent de vigilance et de défense pour la liberté et la paix du peuple italien. »
C’est que le PCI ne raisonne pas en terme de Front populaire ou de Démocratie populaire ; il espère que le régime va tomber d’un coup ou tout au moins très rapidement.
C’est l’idée fixe depuis les années 1920. Si Amadeo Bordiga pensait qu’il y aurait directement la dictature du prolétariat et Antonio Gramsci (et à sa suite Palmiro Togliatti) une Assemblée constituante, ce ne fut jamais considéré comme une étape en tant que telle.
Aussi le PCI est-il prêt à accepter, au grand dam du PC d’URSS (bolchévik) ainsi que du PCF, à ce que l’un de ses membres, Giovanni Roveda, devienne vice-commissaire à la question syndicale, uniquement sur le plan technique, du gouvernement Badoglio.
Cette position permet il est vrai de participer à la poussée du PSI et du Partito d’Azione et de voir ainsi 3000 de ses propres membres emprisonnés sortir de relégation et de prison, donnant un nouveau grand élan à sa base militante, avec des cadres enfermés depuis 5, 10, 15, presque 20 ans, qui se sont entraidés et formés lors de leur enfermement. Leur libération intervient juste avant une offensive de l’Allemagne nazie, qui aurait amené les prisonniers à une mort certaine.
Voici cependant l’explication pour le moins alambiquée du PCI:
« L’acceptation d’une telle charge de ta part a certainement été soumise à l’approbation du parti : c’est pourquoi nous ne la considérons pas comme un acte personnel, mais comme une décision du parti qui engage sa position et sa responsabilité politique face au gouvernement et aux masses travailleuses.
Maintenant, parmi les différentes hypothèses que nous pouvons faire sur ces conditions, la manière et le déroulement par lesquels tu as été engagé pour une telle fonction, un point reste ferme : il ne peut et ne doit pas signifier une collaboration politique avec l’actuel gouvernement.
Nous revendiquons la paix et la liberté et le gouvernement Badoglio nous donne la guerre et l’état de siège. C’est du moins ainsi jusqu’à présent. Il n’y a que deux cas où nous pouvons nous ranger pour sa défense : face à une tentative de rébellion des fascistes et dans l’éventualité que les forces allemandes se transforment en armée d’occupation. En dehors de ces deux cas, peu probables pour le moment, nous ne pouvons avoir qu’une attitude d’opposition parce que le régime passé survit encore trop dans le gouvernement Badoglio…
La charge que l’on t’a confiée est acceptable dans la mesure où tu la conçois comme la représentation de la volonté des masses travailleuses. Donc, pas en tant qu’agent du gouvernement face aux masses, mais représentant de celui-ci face à et contre l’actuel gouvernement. »
Le PCI explique qu’il accepte qu’un de ses membres participe au gouvernement fasciste gérant la fin du fascisme et ayant renversé Benito Mussolini, pour être cependant contre lui. C’est une position incompréhensible, à part si l’on saisit que tout est vu par le prisme de l’opposition unique à l’Allemagne nazie.
L’Unité du 22 août 1943 a ainsi comme titre en pleine page Les Allemands hors d’Italie et on y lit :
« Le peuple qui a eu la force de chasser les fascistes italiens veut maintenant chasser résolument lesfascistes allemands.
Si le gouvernement Badoglio ne respecte pas le sentiment de la nation, s’il ne veut pas ou ne sait pas défendre l’indépendance du pays, s’il a peur, avec le souffle de la liberté, de remettre en état les capacités de lutte et de reconstruction qui existent dans le pays et qui se sont manifestées dans la guerre contre le tyrannie fasciste, ce sera le devoir du front national des partis antifascistes de mobiliser les forces populaires pour défendre l’indépendance et conquérir la paix.
Les Allemands veulent écraser la volonté du peuple italien, ils veulent faire des Italiens de la chair à canon pour leur impérialisme croulant et transformer notre pays en bastion sanglant qui protège leur terre, ils veulent sauver les fascistes renversés par le peuple. Que l’on déclare les Allemands ennemis de l’Italie, que l’on appelle le peuple à la lutte pour la défense de son indépendance et pour la sauvegarde de ses villes, qu’on lui donne la liberté de s’organiser et le peuple répondra : Présent !. Les communistes italiens seront alors en première ligne. »
C’est là un positionnement en faveur d’un Front populaire, mais dans un cadre erroné : le PCI se fait embarqué par un régime tendant à devenir démocratique bourgeois en se liant à l’impérialisme américain et à l’impérialisme britannique, trouvant une nouvelle dynamique, ce que le PCI ne voit pas.
Pour le PCI, il s’agit seulement de pouvoir continuer à s’élancer, le reste venant de lui-même. Juste avant l’armistice de l’Italie avec les Alliés, le PCI témoigne qu’il s’est mis à la remorque des Alliés en général, sans considération des aspects secondaires, donnant comme mot d’ordre dans L’Unité du 7 septembre 1943 « la paix se gagne en chassant les Allemands de notre territoire » et expliquant :
« La classe ouvrière sait quelle doit assumer dans cette lutte une place d’avant-garde et affronter et supporter de grands sacrifices. Elle est décidée et prête au combat, certaine d’avoir avec elle, dans une union intime et solide, toutes les autres classes de la nation qui veulent sauver la patrie. »