L’obsession juridique et la constitution juive du monothéisme primitif

Le judaïsme est une religion principalement juridique, exactement comme dans l’animisme cosmique. Le judaïsme conserve l’obsession pour les règlements, l’observance de ces règlements, etc.

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’obsession du judaïsme pour la pureté. Il y a là un rapport direct entre les rituels du judaïsme, et ceux des cultes de l’animisme cosmique.

Toute l’histoire légendaire du sacrifice par Abraham de son fils Isaac, que Dieu (Élohim) lui ordonne avant de métamorphoser le sacrifice demandé en sacrifiant un animal pourrait être tout aussi bien assumé par n’importe quel autre culte de l’animisme cosmique, y compris même le refus à la dernière minute du sacrifice humain.

On retrouve par exemple un récit tout à fait semblable dans la mythologie grecque, avec la tentative de sacrifice de Phrysos (dont le nom dérive de celui de bélier en grec) par son propre père.

Et jusqu’à aujourd’hui, la tradition juive veut que pour Yom Kippour, on fasse pratique de « l’expiation » en faisant… tourner un poulet au-dessus de sa tête, avant qu’il ne soit tué ! La prière dit à cette occasion dit :

« Voici mon double, voici mon remplaçant, voici mon expiation. Puisse ce coq ou cette poule aller à la mort pendant que je m’engagerai et continuerai une vie heureuse, longue et paisible. »

On est là très clairement au niveau de l’animisme cosmique. On voit le degré d’interprétations que les rabbins sont obligés d’atteindre pour maintenir un tel édifice religieux en équilibre.

Le judaïsme, comme animisme-cosmique avancé ne peut être en réalité être poussé complètement au monothéisme, il ne peut qu’y dériver de manière tendancielle, de par l’impossibilité de se couper de sa base même.

Alors il se tourne vers l’obsession de ses propres interprétations et réinterprétations, se condamnant à un effondrement toujours recommencé, tout en maintenant toujours possible une nouvelle lecture, conforme aux exigences des temps. Cette formidable tragédie dialectique offre une base à son propre dépassement, et c’est bien ainsi que le monothéisme chrétien, comme rupture historique assumée, s’est élancé depuis le judaïsme et depuis le judaïsme seulement.

La dimension juridique en témoigne. Le monothéisme chrétien, s’il réalise des normes, n’est absolument pas systématique dans chaque moment du quotidien comme le judaïsme, qui en reste aux exigences de l’époque de l’animisme cosmique.

Cela ne se voit pas chez les pratiquants prenant une distance inavouée. Aujourd’hui, le judaïsme considère que chacun décide dans quelle mesure il sera pratiquant en tant que tel, qu’il n’y a pas à juger ce choix. C’est là une réinterprétation libérale propre au capitalisme ; le judaïsme a largement emprunté son style au protestantisme.

Mais sinon c’est un véritable catalogue sans fin de règles allant jusqu’à l’ordre pour lacer ses chaussures.

Car le judaïsme, dans ses fondamentaux, n’a pas d’espace pour un tel libéralisme sur le plan de la pratique. Le judaïsme exige la pratique de la religion parce que la pratique est avant tout la conformité aux préceptes juridiques.

Elle est même cela uniquement. Peu importe de croire ou pas, il faut suivre les règles. Peu importe qu’on croit ou pas du moment qu’on fasse le Shabbat : telle est la conception dominante.

Et ces préceptes juridiques sont en adéquation complète avec le « Dieu » qui est ici le même que celui de l’animisme cosmique. Manger cacher n’est pas simplement une exigence, c’est une mise en conformité. Porter une kippa, c’est montrer sa soumission. La circoncision est une marque de l’alliance effective avec le dieu tutélaire. Toutes les fêtes répondent à des périodes de l’année, qui reviennent cycle par cycle.

La dimension cyclique du judaïsme doit tout à l’animisme cosmique.

C’est très important, car le monothéisme chrétien, le réel monothéisme, fait disparaître toute conformité juridique avec un Dieu-univers.

Cette dimension anti-juridique du monothéisme est fondamentale ; en voici un exemple significatif avec ce que raconte Paul, la figure majeure du christianisme, dans l’Épître aux Galates :

« Je leur exposai l’Évangile que je prêche parmi les païens, je l’exposai en particulier à ceux qui sont les plus considérés, afin de ne pas courir ou avoir couru en vain (…).

Sachant que ce n’est pas par les œuvres de la loi que l’homme est justifié, mais par la foi en Jésus-Christ, nous aussi nous avons cru en Jésus-Christ, afin d’être justifiés par la foi en Christ et non par les œuvres de la loi, parce que nulle chair ne sera justifiée par les œuvres de la loi.

Mais, tandis que nous cherchons à être justifiés par Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés pécheurs, Christ serait-il un ministre du péché? Loin de là!

Car, si je rebâtis les choses que j’ai détruites, je me constitue moi-même un transgresseur, car c’est par la loi que je suis mort à la loi, afin de vivre pour Dieu.

J’ai été crucifié avec Christ; et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi.

Je ne rejette pas la grâce de Dieu; car si la justice s’obtient par la loi, Christ est donc mort en vain. »

Et Paul de souligner que c’est la fin de cette dimension juridique qui est la base du caractère universel du monothéisme :

« Si l’héritage venait de la loi, il ne viendrait plus de la promesse; or, c’est par la promesse que Dieu a fait à Abraham ce don de sa grâce.

Pourquoi donc la loi? Elle a été donnée ensuite à cause des transgressions, jusqu’à ce que vînt la postérité à qui la promesse avait été faite; elle a été promulguée par des anges, au moyen d’un médiateur.

Or, le médiateur n’est pas médiateur d’un seul, tandis que Dieu est un seul.

La loi est-elle donc contre les promesses de Dieu? Loin de là! S’il eût été donné une loi qui pût procurer la vie, la justice viendrait réellement de la loi.

Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce qui avait été promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croient.
Avant que la foi vînt, nous étions enfermés sous la garde de la loi, en vue de la foi qui devait être révélée.

Ainsi la loi a été comme un pédagogue pour nous conduire à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi.

La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce pédagogue.

Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ ;

vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.

Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. »

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