Níkos Zachariádis avait tout à fait compris que la question de la guerre civile était celui de l’affrontement entre la démocratie populaire et le fascisme. La DSE n’était pas une fin en soi, pas plus que l’EAM ; il ne s’agissait que d’éléments dans une séquence plus générale.
La force du mouvement de libération nationale avait ainsi résidé, selon Níkos Zachariádis, dans le fait que l’indépendance nationale avait été affirmée en rapport avec la bataille pour la démocratie, ce qui allait avec la question agraire ; la question nationale de l’indépendance était inséparable du rapport à la démocratie.
Les restes féodaux en Grèce devaient impérativement être anéanties pour qu’une victoire soit possible. C’était le sens de l’établissement du pouvoir populaire qui, pourtant, avait cessé d’exister avec les accords de Varkiza.
L’existence de ceux-ci apparaissaient inévitables de par la puissance britannique : il eut fallu agir dès le départ des troupes allemandes, pour prendre les Britanniques de vitesse. Mais l’opportunisme avait été trop puissant à l’intérieur du KKE à ce moment-là pour qu’une telle initiative se dégage.
Avec le retour de Níkos Zachariádis, le KKE put de nouveau aller de l’avant et la formation de la DSE venait compenser l’échec de l’épisode des accords de Varkiza.
Inévitablement toutefois, une lutte entre deux lignes devrait se dérouler entre la position de Níkos Zachariádis et celle prolongeant les accords de Varkiza, voyant la DSE comme l’aspect principal pour rétablir les négociations et l’intégration du KKE aux institutions, et non la bataille pour la démocratie populaire.
La crise apparut avec l’échec de l’offensive de la fin de l’année 1947.
A l’initial, la DSE s’appuyait sur deux fronts : les massifs à la frontière avec l’Albanie, à savoir les monts Gramos et le massif montagneux du Pinde. Ce bastion inexpugnable permettait d’agir dans tout le nord-ouest de la Grèce, à partir d’une centaine de villages.
La tentative de s’emparer de la ville de Konitsa à la fin de l’année 1947 fut cependant un échec, malgré la présence de 10 000 combattants appuyés par des canons de 105 mm situés en Albanie.
Cette ville devait servir de centre névralgique du gouvernement provisoire ; l’incapacité à la prendre fut un coup d’arrêt dans le développement et un succès politique pour le régime réactionnaire.
La DSE tint alors une conférence les 15, 16 et 17 janvier 1918 dans les monts Gramos.
Comment fallait-il expliquer le développement insuffisant de la DSE ?
Níkos Zachariádis considéra que cela avait été une lourde erreur de la part du KKE de ne pas avoir été en mesure d’avoir une organisation plus solide dans les villes, tant pour renforcer la guérilla des campagnes que pour lancer des actions dans les villes.
Un autre souci, à ses yeux, fut l’esprit militaire bureaucratique issu des officiers issus de l’armée, qui empêchait la DSE d’avoir une nature authentiquement révolutionnaire, ce qui exigeait donc la systématisation de la présence des commissaires politiques à la direction militaire.
Il était nécessaire d’abandonner le principe de d’une guerre des partisans pour passer au niveau d’organisation d’une véritable armée populaire, même si bien entendu dans les zones où des bases n’étaient pas possibles, le mode d’opération de type partisan était l’approche principale.
Il devait y avoir une dialectique entre une DSE en tant qu’armée populaire dans les zones libérées et les unités partisanes opérant dans le reste du pays.
Le dirigeant militaire de la DSE, Márkos Vafiádis, s’opposa à Níkos Zachariádis. Il considérait qu’il ne fallait pas former de base, mais maintenir une ligne d’opérations partisanes totalement décentralisées. Níkos Zachariádis fut obligé de réunir le Comité Central en session extraordinaire pour faire accepter sa ligne, qui le fut à l’unanimité.
La DSE connut alors des développements certains, mais il manquait à chaque fois une impulsion décisive, le régime s’en sortant systématiquement grâce à un appui américain gigantesque.
La DSE se développa cependant dans les îles Samos et Eubée, mais l’incursion qui eut lieu dans les faubourgs de Salonique fut un échec en raison du manque d’organisation des membres déjà présents dans la ville.
La tentative de 2200 personnes non armées mais accompagnées de fortes unités de la DSE de traverser des territoires ennemis en Grèce centrale pour rejoindre les monts Gramos se solda également par un fiasco, seulement 500 parvenant effectivement à le faire.
Une opération fut alors lancée dans le Péloponnèse, avec 2 500 partisans, agissant dans une zone suffisamment grande – 90 km de long sur 50 km de large – pour isoler pratiquement Athènes du reste du pays, mais la DSE ne fut malheureusement pas en mesure de s’y maintenir en raison, en avril 1948, de l’opération nouvelle aube des forces réactionnaires, qui visa à encercler la DSE.
Il y eut d’abord 4 500 arrestations, suivis d’offensives à l’est et à l’ouest ainsi qu’au nord, avec un blocus maritime du golfe de Corinthe au sud : il n’y en eut que 1 000 combattants de la DSE à parvenir à briser l’encerclement.
La tentative de la DSE de diviser les troupes ennemies à l’offensive en s’emparant de la ville de Karpenisi échoua, dans la mesure où la ville leur fut abandonnée pendant quinze jours.
Suivit alors la première vaste contre-offensive anti-DSE, l’opération Couronne menée par les forces réactionnaires, qui étaient dirigées par l’américain James Alward Van Fleet.
Les réactionnaires grecs savaient que si cette fois ils avaient réussi à bloquer le développement de la DSE dans le Péloponnèse, il y aurait inévitablement d’autres tentatives tant que la DSE disposait de larges bases dans le nord-ouest du pays.
C’était une reconnaissance de la valeur essentielle de la formation par Níkos Zachariádis d’une base d’appui comme centre névralgique de la DSE.
Aussi l’opération Couronne visa à former un tampon entre l’Albanie et les monts Gramos où étaient basés 8 000 combattants de la DSE. Il s’agissait d’isoler la DSE de l’appui albanais, et de liquider la zone contrôlée par elle.
La DSE était tout à fait consciente du risque et forma alors de son côté une base de 3 000 combattants en Épire pour harceler les arrières des forces ennemies en cas d’attaque et briser tout ravitaillement.
Les forces réactionnaires s’appuyaient néanmoins sur 70 000 combattants lourdement armés, appuyés par 30 000 membres d’une garde nationale formée en 1947.
L’opération Couronne commença le 28 juin 1948 et au bout de 17 jours la ligne extérieure de défense était tombée, alors que la DSE fut même obligée de ramener 4 000 combattants pour tenir le coup.
Cela ne suffit pas et au bout de 29 jours la DSE fut obligée de quitter la zone, avec un repli réussi dans la région de Vitsi.
L’affrontement de la DSE avec les forces réactionnaires grecques était devenu une bataille avec une force directement au service de l’impérialisme américain soutenant le régime de toutes ses forces : pas moins de 20 000 obus furent envoyés sur la crête durant l’opération.
Van Fleet lança tout de suite ses troupes à la poursuite des troupes de la DSE se repliant, afin de tenter d’empêcher une installation pour l’hiver.
S’ensuivirent des offensives et des contre-offensives, avec finalement la victoire de la DSE dans la mesure où ce fut le double échec pour les forces réactionnaires : leur offensive échoua et qui plus est la DSE se réinstalla dans les monts Gramos.
La DSE avait su aussi protéger en général les liaisons avec l’Albanie et la Yougoslavie, pays laissant également passer les troupes de la DSE et les aidant militairement.
De plus, la DSE avait renforcé ses activités dans la région de Tripoli-Sparte au sud du Péloponnèse, ainsi que dans la région montagneuse de Thessalie.
La DSE avait tenu le choc et résisté à l’opération d’anéantissement de Van Fleet.