L’opposition de gauche « néo-marxiste » dans l’URSS social-impérialiste

Incapable de se tourner vers le marxisme-léninisme en tant que matérialisme dialectique, l’opposition interne à l’URSS social-impérialiste a eu une tendance substantielle à se tourner vers le gauchisme.

C’était la solution « idéale » pour contourner la question de Staline, de l’URSS des années 1930, 1940, 1950. Il suffisait de dire que la révolution russe était une bonne chose, mais qu’elle s’était enlisée et qu’une bureaucratie avait pris le dessus.

La question de savoir si cette bureaucratie agissait dans un cadre resté socialiste ou bien si le capitalisme avait pris le dessus n’était pas vraiment répondu, ou bien avec des nuances plus qu’autre chose.

Le strict équivalent de cette approche sur le plan des idées, ce sont les partis communistes occidentaux liés à l’URSS, les courants marxistes-léninistes tournés vers Che Guevara.

Il y a également, par contre, une certaine influence de l’esprit de la « nouvelle gauche » liée aux événements de l’année 1968, avec notamment Herbert Marcuse et la dénonciation d’une société moderne tournée vers l’administration et la consommation.

Dans tous les cas, on est dans une approche de recomposition du marxisme, de relecture, de néo-marxisme.

Il faut dire ici que cette opposition « gauchiste » se fonde systématiquement sur la base de jeunes liés aux universités, et ayant des connaissances à propos de ce qui se passe comme révoltes dans les pays occidentaux.

De par les difficultés d’accès à ces connaissances, de par la répression impitoyable, il faut par contre bien considérer que ces gauchistes sont restés très faibles quantitativement, en restant totalement à la marge de la société soviétique, à part très relativement dans quelques milieux artistiques et littéraires dans les grandes villes.

On a ainsi la Fédération des forces démocratiques d’orientation socialiste, basée à Moscou, consistant un cercle touchant grosso modo 300 personnes entre 1977 et 1982. Ces jeunes étaient alignés sur la social-démocratie occidentale et les partis communistes occidentaux.

On a le Groupe du communisme révolutionnaire, touchant des centaines d’étudiants à Saratov, Riazan et Petrozavodsk, mêlant marxisme-léninisme, réformisme, humanisme occidental.

Ce fut également l’approche du Parti révolutionnaire des intellectuels de l’Union soviétique, de Sverdlovsk, démantelé en novembre 1971, qui insista par ailleurs sur le néo-marxisme occidental (notamment Herbert Marcuse).

Tel était le cas d’une Opposition de gauche à Leningrad, en 1976-1978, et dans la même ville de l’Union des communards révolutionnaires (1975-1979) qui avait comme modèle le mai 1968 français.

Une autre organisation très similaire était la Jeunesse pour le communisme, présente à Moscou, Toula et Iaroslavl, et active 1979 à 1981 ; elle se revendiquait du marxisme révolutionnaire et de Che Guevara. Il y eut également une « Brigade Internationale Che Guevara » fondée à Moscou par des étudiants latino-américains.

Il y eut également, de manière bien plus marquante, le Parti néo-communiste de l’Union soviétique, qui exista de 1974 à 1985 avec une grande pratique clandestine (encre sympathique « boîte aux lettres » pour les messages codés…).

C’était le fruit d’une rencontre entre deux structures déjà clandestines, le Parti des Nouveaux Communistes et l’École de gauche, dont des membres se rencontrèrent. Comme la ligne était conspiratrice, il fallut des mois d’approche avant que chaque structure ne révèle son existence à l’autre.

La première organisation était très marquée par le gauchisme européen, Herbert Marcuse, Che Guevara, la seconde était très influencée par l’existentialisme (Jean-Paul Sartre, mais également Albert Camus).

La fusion des deux structures, davantage une unité complète initialement en réalité, produisit une vraie tentative d’analyser l’URSS et de proposer une relance du processus révolutionnaire.

Car toutes deux considéraient que l’URSS des années 1930 avaient bien mis en place le socialisme, mais que la situation était perverse de par la formation d’une bureaucratie prenant le dessus. On est ici dans un mélange de gauchisme, de trotskisme, d’eurocommunisme propre aux partis communistes des pays occidentaux liés à l’URSS.

Comme on était par contre en URSS même, trouver la réponse pour avancer était impérative. Et si les deux organisations s’entendirent si bien, c’est que toutes deux appuyaient la dimension subjective, l’esprit de rupture.

Elles considéraient que les étudiants seraient en première ligne pour réactiver la cause révolutionnaire, lorsque la bureaucratie témoignerait de son incapacité à être autre chose que parasitaire dans une société se développant malgré tout économiquement.

Eux n’auraient rien à perdre, se retrouvant bloqués dans leur vie, alors que dans le cadre de l’URSS, les ouvriers pouvaient grimper les échelons dans la bureaucratie.

La répression s’abattit toutefois immédiatement, avec de multiples arrestations, en 1975. L’auteur des thèses de ce mouvement, à la tête du premier groupe, Parti des Nouveaux Communistes Alexandre Tarassov, parvient à échapper initialement à la répression et parvient à détruire les documents.

Il n’y aura alors pas de procès, le KGB ne parvenant pas à trouver l’existence du Parti néo-communiste de l’Union soviétique.

Alexandre Tarassov, âgé de 17 ans alors, n’échappe par contre pas à une année dans un hôpital psychiatrique. Il y a reçu des coups, des prises forcées de neuroleptiques, des électro-chocs, des comas hypoglycémiques artificiels, des injections de médicaments particulièrement douloureux, etc.

Le résultat fut l’hypertension, les rhumatismes, une inflammation chronique des articulations, des maladies du foie et du pancréas, l’incapacité de bouger sans douleur sans analgésiques.

Cela ne l’a pas empêché, à sa sortie (obtenue en simulant d’avoir été brisé), de reprendre son travail militant, le mouvement ayant été sauvé grâce à la dirigeante Natalya Magnat, décédée à 42 ans en 1997,en raison de la maladie de Crohn, incapable alors de trouver de l’argent pour une troisième opération.

Elle écrivit alors :

« Nous avions peur d’un tel développement de les événements, nous l’avions prévu, que c’est ainsi que tout se terminera. Je pense que s’il y avait eu beaucoup de gens comme nous, bien plus, l’histoire aurait pu se dérouler différemment, sans l’effondrement de l’Union soviétique, sans massacres interethniques, sans pauvreté, sans amertume générale et sans ossification. »

Natalya Magnat

Car le mouvement, qui a réussi à tenir jusqu’en 1985, a fini par s’autodissoudre, considérant qu’il n’était pas en mesure d’avoir une influence sur les choses.

Le plus étonnant, c’est que lorsqu’il procède à cette capitulation, il est considéré que l’URSS allait d’effondrer d’ici la fin du 20e siècle !

Cependant, la désillusion a triomphé dans les rangs de cette organisation, réduite à une vingtaine de personnes, mais avec un bon réseau et de nombreux cadres éprouvés.

Toutes ses activités l’amenaient à se confronter à des gens vivant leur vie, happés par la vie quotidienne, se désintéressant totalement d’une perspective révolutionnaire.

L’auto-dissolution de 1985 correspond à cet esprit qu’un petit parti clandestin qui ne pourrait pas avoir d’effet lors de l’effondrement du régime, en raison de l’imprégnation fondamentalement petite-bourgeoise des masses.

Le paradoxe d’une prévision correcte de l’effondrement mais de la capitulation qui triomphe s’explique par le fait que le Parti néo-communiste de l’Union soviétique considérait toujours l’URSS comme socialiste.

Il finit par rejeter cette conception, mais considéra alors que la marche était trop haute pour lui, puisqu’il fallait non seulement une révolution politique pour se débarrasser d’une couche petite-bourgeoise – bureaucratique, mais en fait une révolution générale.

Alexandre Tarassov est resté sur cette position gauchiste, en tant que « post-marxiste » hyper-actif dans la publication d’articles et l’édition d’ouvrages (notamment Cornelius Castoriadis, Alain Badiou), ainsi que sur l’antifascisme (il fut régulièrement menacé par l’extrême-droite activiste et même agressé).

On notera qu’il dénonça violemment le coup de force du Maïdan en Ukraine (« eux qui se disent « gauchistes », mais ne soutiennent pas la guerre du peuple du Donbass contre le régime de Kiev sont soit des imbéciles, soit des agents directs de l’impérialisme occidental »).

Parmi les autres structures notables, il faut mentionner le « Parti de la Dictature du Prolétariat », actif à Kouïbychev (aujourd’hui Samara) de 1976 à 1981, qui s’était par contre tourné vers les ouvriers, sur une base gauchiste cependant.

C’était également le cas de l’« Union des communistes », fondé en 1986 sur la base d’un groupe fondé en 1983, et écrasé en 1988, mais continuant ensuite de manière non clandestine.

Cette tendance au gauchisme produisit, finalement, le retour de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme.

Il y eut ainsi un cercle léniniste clandestin fondé en 1980 à Moscou, qui donna naissance à une « Organisation – Comité du parti marxiste révolutionnaire de toute l’Union », qui cependant stoppa tout de suite son activité, pour donner naissance à une structure légale se transformant au fur et à mesure pour former une « Union des socialistes indépendants », et ensuite la Confédération des anarcho-syndicalistes en 1988, qui fut relativement connue en Russie les années suivantes.

Cette confédération a également été rejointe par le Détachement de Che Guevara formé en 1978 à Moscou dans la clandestinité, qui a réussi à se maintenir en ne faisant pas de propagande ouverte et en agissant clandestinement à l’Institut pédagogique d’État de Moscou.

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