La non fondation d’un mouvement marxiste-léniniste et l’incapacité gauchiste permit à la « dissidence » d’apparaître comme la seule réelle opposition en URSS sociale-impérialiste. De par sa dimension purement intellectuelle et ses liaisons ouvertes avec la superpuissance impérialiste américaine, il va de soi qu’aucun soutien populaire n’était possible.
Les dissidents sont des intellectuels et des scientifiques, le plus souvent des littéraires particulièrement tournés vers la littérature occidentale moderniste.
On parle, pour forcer le trait, de gens souvent favorables à un communisme « démocratique », ou du moins à un humanisme socialisant, mais n’ayant pas de scrupules à se voir soutenu par toutes les officines occidentales, que ce soit les maisons d’édition ou les services secrets.
En URSS même, le principal mode opératoire consistait en le samizdat, c’est-à-dire l’auto-édition, réalisée soit de manière manuscrite, soit en tapant à la machine, dans la mesure où tous les appareils de reproduction de documents étaient surveillés.
Le vrai début du mouvement des dissidents date de 1965, avec l’arrestation des écrivains Andreï Siniavski et Iouli Daniel, condamné à plusieurs années de prison pour agitation anti-soviétique.
Cela provoqua un grand émoi dans les milieux intellectuels soviétiques, avec notamment un rassemblement de 200 personnes sur la place Pouchkine à Moscou le 5 décembre 1965 ; les pays occidentaux en profitèrent pour commencer un soutien massif.
Une figure très connue est ici le physicien Andreï Sakharov, qui obtint le prix Nobel de la paix en 1975. Initialement, c’est un des principaux responsables de la mise en place des armes nucléaires en URSS ; il passa ensuite dans l’activisme promouvant un humanisme pro-occidental.
En lien avec des journalistes occidentaux, il organisa ainsi une conférence de presse à Moscou en 1974, expliquant qu’il y avait un danger mondial avec une « URSS sur-militarisée entre les mains d’une bureaucratie officielle d’État ».
L’année suivante, son ouvrage Mon pays et le monde est publié dans les pays occidentaux, ce qui lui vaut d’être arrêté finalement en 1980 et assigné à résidence dans la ville de Gorki jusqu’en 1986.
Cette même année, deux agents du KGB intervinrent en pleine nuit avec deux employés du téléphone ; le téléphone installé sonna rapidement : ce fut Mikhaïl Gorbatchev qui appelait pour dire qu’il pourrait retourner à Moscou s’il le voulait.
Un autre exemple de dissident réhabilité par Mikhaïl Gorbatchev fut Alexandre Soljenitsyne, écrivain auquel l’occident remit le prix Nobel de littérature en 1970. Il fut expulsé en 1974 ; ses romans Une journée d’Ivan Denissovitch et L’archipel du goulag sont des œuvres extrêmement militantes dans l’anticommunisme.
Lui-même est par contre d’extrême-droite et ne relève pas de l’humanisme à prétention socialiste qu’on a chez la plupart des dissidents ; le poète Joseph Brodsky, de facture moderniste, obtint également le prix Nobel de littérature en 1987.
Les dissidents mirent en place en mai 1976 un « Groupe de Moscou pour l’assistance à la mise en œuvre des accords d’Helsinki » ; sa fondation officielle devant la presse internationale eut lieu dans l’appartement moscovite de l’académicien Andrei Sakharov.
Les accords d’Helsinki, signés en 1975, avaient été signés par les pays ouest-européens et les États-Unis (ainsi que le Canada) d’un côté, les pays est-européens et l’URSS de l’autre ; ils soulignaient la nécessité de bons rapports entre le pays, de l’intégrité territoriale, et contenaient un volet sur les droits humains.
Le Groupe de Moscou n’existait de fait que dans le cadre d’un soutien purement occidental, et nombre de dissidents furent expulsés ou forcés à l’immigration. La mise de force en hôpital psychiatrique était une méthode généralisée pour les forcer au silence ou au départ, avec donc de pseudos bilans médicaux permettant de « justifier » un internement et un traitement forcé, visant de fait à rendre réellement fou.
L’écrivain Vladimir Boukovski fut le premier à passer à l’ouest des documents sur l’enfermement psychiatrique des dissidents ; on notera qu’il fut échangé en 1976 contre le prisonnier politique chilien Luis Corvalán (à la tête du Parti Communiste pro-soviétique), qu’il sera l’une des principales figures du Brexit et qu’il eut des soucis avec la justice britannique pour possession d’une immense quantité de films et photographies à caractères pédophiles et zoophiles.
Cette méthode d’enfermement psychiatrique concerna des centaines de personnes, pas seulement les dissidents ; furent ciblés des candidats à l’émigration, des nationalistes des républiques non-russes, des religieux.
C’était également une méthode pour éviter les procès. Un exemple significatif fut Victor Fainberg, qui avait participé à un rassemblement de quelques personnes sur la Place Rouge pour protester en août 1968 contre l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Il eut toutes les dents de devant cassés par la police et pour éviter qu’il ne témoigne au procès des manifestants, il fut envoyé quatre ans en psychiatrie.
Un autre milieu où l’opposition de ce type se recruta beaucoup fut la communauté juive, travaillée au corps par le sionisme très largement appuyé par la superpuissance impérialiste américaine.
Le climat délétère de l’URSS social-impérialiste et un retour significatif de l’antisémitisme poussaient les Juifs à essayer de quitter le pays, les réponses souvent négatives des autorités aboutit à ce qu’ils furent surnommés les « refuzniks ».
Deux affaires sont ici emblématiques de la question. Il y eut ainsi la publication en 1963 d’un ouvrage intitulé Le judaïsme sans embellissement, écrit par Trofim Kichko, un nationaliste ukrainien.
Officiellement philosophe, celui-ci a commencé une activité d’intellectuel antisémite, en étant utilisé ensuite sous le masque d’antisionisme à partir de 1967 et de la rupture nette entre l’URSS et l’État israélien (que l’URSS est historiquement le premier à avoir reconnu).
Le judaïsme sans embellissement, publié officiellement dans le cadre de l’Académie ukrainienne des sciences est une caricature de délire complotiste et provoqua un scandale international, obligeant l’URSS à supprimer l’ouvrage. D’autres ouvrages du même esprit furent néanmoins publiés.
La seconde affaire concerne les études de mathématiques, où il est apparu que l’accès était largement bloqué aux étudiants Juifs. Cela perdura tout au long de la période 1960-1980.
C’est le contexte de la tendance au départ. 259 500 Juifs ont cependant quitté l’URSS entre 1967 et 1982, dont par contre seulement autour de 161 000 pour Israël. Parmi les autres émigrants, il y a les Allemands de la Volga, avec 82 600 quittant le pays entre 1971 et 1985.
Le mouvement se tarit massivement par la suite ; en comptant les protestants, les Allemands de la Volga, les Juifs, etc., 51 333 personnes reçurent des visas de sortie en 1979, 2 688 ont été délivrés en 1982, 1 315 en 1983 et seulement 896 en 1984.
Du côté des Juifs, le mouvement fut très marqué avec l’effondrement de l’URSS : 330 000 départs en 1990-1991, 490 000 pour la période 1992-1999, 104 000 pour la période 2000-2002.
Enfin, le troisième milieu d’opposition dissidente, mais sans recherche de confrontation fut les milieux touchés par l’irrationnel et le nationalisme.
Il y avait toute une fascination en URSS social-impérialiste pour les pouvoirs paranormaux, pour les interprétations mystiques et complotistes, les délires nationalistes raciaux, etc.
Cela va s’exprimer de manière massive sur le plan populaire dans les années 1990, une fois que l’encadrement soviétique aura définitivement disparu, avec le pullulement des groupes nationalistes et des structures néo-païennes, dans un contexte où la moitié du pays vit sous le seuil de pauvreté et que le PIB a chuté de moitié.
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