La tentative de coup d’État d’août 1991 représente le seul moment où l’URSS a connu un véritable moment de basculement.
Lors du triomphe du révisionnisme dans les années 1950, il n’y eut que deux réactions très fortes. La première fut celle des membres du Parti Communiste de Grèce, avec à leur tête Níkos Zachariádis.
Réfugiés dans les pays de l’Est européen et en URSS, notamment à Tachkent, à la suite de la défaite provoquée par la trahison de la Yougoslavie, ils ont levé une vraie opposition frontale, qui a été écrasé.
Si on a ici une expression de cadres isolés, la seconde eut un caractère de masse, en Géorgie, avec des émeutes dans la capitale Tbilissi, en mars 1956, qui furent réprimés dans le sang.
Pour le reste, on a quasiment aucune information, de par la répression terrible et sa dimension secrète. Deux faits marquants sont cependant à noter. Le premier, c’est l’apparition d’un « appel des communistes révolutionnaires soviétiques (bolcheviks) », en 1966. Il fut diffusé par l’intermédiaire de l’Albanie et est censé avoir circulé en URSS.
L’appel est relativement optimiste quant à la classe ouvrière et à l’armée en URSS. On y lit notamment :
« Aujourd’hui, un moment décisif est survenu dans le développement du mouvement communiste.
Dans une situation où chaque parti communiste doit décider lui-même quelle voie suivre – la voie du marxisme révolutionnaire ou la voie de l’opportunisme, il est important que les communistes du monde entier entendent la voix de leurs camarades soviétiques.
Aujourd’hui, l’opinion de ces derniers est présentée comme telle qu’elle est exprimée dans les décisions et les déclarations publiées par les dirigeants actuels du PCUS.
Mais quiconque connaît au moins un peu la situation intérieure de notre pays, qui au moins parfois communique avec les masses et les membres ordinaires du parti, ne peut s’empêcher de savoir que toutes ces décisions et déclarations non seulement ne reflètent pas les véritables aspirations et les objectifs de l’écrasante majorité du peuple soviétique, comme de l’écrasante majorité des membres du PCUS, mais sont en contradiction flagrante avec ces aspirations et ces objectifs.
Les communistes chinois et albanais ont fait preuve d’une loyauté inébranlable envers les principes et d’un dévouement révolutionnaire en dénonçant l’opportunisme moderne.
Les documents du Parti communiste chinois et du Parti du travail albanais ont complètement révélé la voie de trahison des intérêts de la révolution socialiste, suivie par les dirigeants du PCUS après la mort de Staline.
C’est pourquoi nous répéterons souvent les thèses des camarades chinois et albanais.
Mais même dans ces cas-là, en règle générale, nous exprimerons notre propre point de vue, afin que chacun sache : c’est le point de vue d’un communiste soviétique, c’est le point de vue de millions de communistes soviétiques.
Cependant, nous considérons que notre objectif le plus important est de révéler les raisons qui ont donné naissance à l’antagonisme entre la direction du PCUS, d’une part, et l’écrasante majorité des communistes soviétiques, d’autre part.
Il faut arracher les masques des dirigeants opportunistes du PCUS en révélant leur position sociale au sein de l’URSS, où ils ne peuvent cacher leurs entrailles pourries sous aucun masque, où ils ont réellement usurpé tout le pouvoir et se sont opposés au peuple (…).
Immédiatement après le XXe Congrès, lors des assemblées générales des organisations primaires du PCUS, les membres ordinaires du parti ont demandé massivement que le Comité central donne une évaluation véritablement marxiste des activités de Staline.
Cette revendication était si persistante que la direction du PCUS fut contrainte de recourir à la persécution de certains membres du parti et à la dissolution d’un certain nombre d’organisations du parti agissant de concert. Plus tard, en 1957, lors des réunions du parti, tous ceux qui critiquaient les décisions du XXe Congrès furent contraints de renoncer à leurs opinions (…).
Y avait-il une différence dans la nature des activités de Lénine et de Staline ?
Oui, c’était le cas. En comparant ces deux dirigeants révolutionnaires, les opportunistes (en plein accord avec leur vision bourgeoise du monde) réduisent tout aux qualités personnelles de ces personnes.
Cependant, il est tout à fait clair que les activités de Lénine et celles de Staline en tant que dirigeants du parti et de l’État appartiennent à deux étapes différentes du développement de la révolution, étapes fondamentalement différentes l’une de l’autre.
La mort de Lénine a presque coïncidé avec la fin du début de la révolution européenne, de sorte que la tâche de gouverner le premier État prolétarien incombait à Staline à une époque d’encerclement total sur la scène mondiale, face à une base faible pour la construction du socialisme.
La percée d’un maillon faible de la chaîne capitaliste impliquait la faiblesse de la révolution elle-même (…).
Créant et unifiant l’appareil d’État et accomplissant simultanément la tâche d’une grande importance historique d’assurer le succès économique de notre pays pendant toute la période de construction des fondations du socialisme, Staline s’est appuyé sur l’appareil bureaucratique dans ses actions, il a lutté contre l’appareil bureaucratique avec son aide.
Et c’était précisément pour cette raison qu’il ne pouvait pas l’écraser complètement. Il a vu comment l’hydre bureaucratique grandissait, et malgré le fait qu’il lui coupait impitoyablement les têtes, elle les relevait encore et encore.
Dans sa lutte pour préserver la pureté révolutionnaire, il ne faisait confiance (et on peut difficilement dire qu’il n’avait aucune raison de le faire) à aucun de ceux qui l’entouraient (seul Molotov se montrait son digne compagnon d’armes).
La personnalité de Staline est véritablement une personnalité héroïque et sacrée. Staline apparaît dans l’histoire comme un exemple pour les révolutionnaires, comme un avertissement pour ceux qui hésitent et comme une terreur pour les ennemis.
La mort de Staline a libéré les mains de la bureaucratie (…).
Pour briser le système bureaucratique en URSS, il faut une organisation de révolutionnaires, il faut canaliser la colère du peuple vers la lutte des classes. Mais il n’est nul besoin de faire de découvertes pour cela.
Devant nous se trouve une voie bien tracée : celle de la restauration du parti prolétarien.
Après tout, le PCUS est aujourd’hui devenu une organisation tout à fait formelle, un magnifique canevas qui crée une apparence démocratique à travers laquelle la bureaucratie exerce réellement son pouvoir. Il est tout à fait clair que le nouveau parti véritablement prolétarien ne sera rien d’autre que le Parti communiste de toute l’Union (bolcheviks) restauré.
Quiconque est prêt à lutter contre la bureaucratie, quiconque apprécie de manière désintéressée les grandes victoires révolutionnaires de notre peuple doit s’engager avec audace et irrévocablement dans cette voie.
Notre heure a sonné.
De la création de cellules locales du PCUS(b) à leur fusion en une puissante avalanche invincible qui balayera la bureaucratie, telle est la voie que les communistes doivent suivre. Les activités des cellules du PCUS (b), la distribution de ses slogans et tracts devraient aboutir à une véritable lutte partisane.
La terre doit brûler sous les pieds des bureaucrates. Inutile de dire que cette lutte fera naître ses héros !
Les opportunistes, avec leur cynisme petit-bourgeois et leur méfiance à l’égard des gens, ne voient rien d’autre dans ce monde que leur propre intérêt matériel.
Cependant, l’héroïsme communiste et l’honnêteté de notre peuple sont sans limites. Suffoquant dans l’atmosphère suffocante de la pourriture bureaucratique, certains Soviétiques ont perdu leurs repères dans la vie.
Mais montrez-leur le bon chemin et ils commenceront à faire des miracles.
Aussi petites et impuissantes que puissent paraître les cellules du PCUS(b) au début de leurs activités, les organisateurs doivent clairement comprendre l’importance de leur propre initiative.
Leur persécution scandalisera sans aucun doute le peuple tout entier et opposera les masses aux bureaucrates ; et la bureaucratie ne sera pas en mesure d’y faire face. »
Il n’y eut pas d’autres informations sur cette organisation, qui sans doute fut écrasé dès le départ.
On voit cependant facilement que si la position est anti-révisionniste, il n’y a pas de compréhension de la dimension culturelle, du rapport villes-campagnes, du matérialisme dialectique, etc.
On en reste à une position de refus d’une tendance qui a déjà triomphé, ce qui ne permet pas d’avancer une perspective en propre.
Plus symptomatique sans doute, il y eut la mutinerie de la frégate lance-missile Storojevoï (Le Vigilant), en novembre 1975, conduite par le commissaire politique Valery Sabline. L’objectif de celui-ci était d’arriver à Leningrad au niveau du croiseur Aurora, d’où partit le tir à blanc d’un coup de canon indiquant la prise du palais d’Hiver en Octobre 1917.
Il entendait alors s’adresser à la presse et à la télévision pour dénoncer la corruption des dirigeants du pays et affirmer les valeurs léninistes. Le contenu de la déclaration est à peu près celui-ci :
« La direction du parti et le gouvernement soviétique ont trahi les principes de la révolution. Il n’y a ni liberté ni justice. La seule issue est une nouvelle révolution communiste.
Une révolution est un puissant mouvement de pensée sociale, c’est une poussée colossale de fluctuations ionosphériques, qui provoquera inévitablement l’activité des masses et s’incarnera dans un changement matériel dans l’ensemble de la formation socio-économique.
Quelle classe sera l’hégémonie de la révolution communiste ? Ce sera la classe de l’intelligentsia ouvrière et paysanne. La question centrale de la révolution est la question du pouvoir.
On suppose que l’appareil d’État actuel sera nettoyé et, à certains moments, démantelé et jeté dans les poubelles de l’histoire. Ces problèmes seront-ils résolus par la dictature de la classe dirigeante ? Nécessairement! Ce n’est que par la plus grande vigilance nationale que l’on pourra accéder à une société du bonheur ! »
Les mutins demandèrent à ce que le navire soit considéré comme indépendant de l’État et du Parti pour une année, qu’un des membres de l’équipage puisse prendre la parole à la télévision et à la radio chaque jour de 21h30 à 22h, que le navire puisse diffuser en permanence sur une chaîne de radio, que des provisions soient régulièrement apportées et que s’ils débarquent, les membres de l’équipage ne soient pas inquiétés.
Le navire a été bombardé et le capitaine du navire a pu reprendre le contrôle ; Valery Sabline a ensuite été rapidement fusillé et l’affaire bien entendu passé sous silence.
Cette affaire reflète indéniablement plus le sens de l’opposition qu’il y eut en URSS social-impérialiste.
On est dans l’incompréhension de ce qui se passe, on est dans la ligne de Nikita Khrouchtchev mais sans Nikita Khrouchtchev ; on ne veut pas de Staline qui semble déjà lointain, mais on voit bien que depuis sa mort les choses ont profondément changé.
C’est là qu’on voit que le révisionnisme, lorsqu’il a triomphé, a immédiatement obscurci toute possibilité d’une réaffirmation scientifique du marxisme-léninisme.
Le Parti était en effet porté par les cadres et la corruption de ceux-ci a abouti au sentiment d’installation ; lorsque Nikita Khrouchtchev dénonce Staline en 1956 au 20e congrès, l’affaire est pliée.
C’est en 1952, au 19e congrès, que la lutte des deux lignes était possible, lorsque le Parti a été réduit à une fonction « mécanique » dans la société, avec l’idée d’une paix mondiale générale. Mais là il n’y avait déjà plus que la droite et le centre, la gauche étant finalement épuisée, enlisée dans les activités de maintien en fonction du Parti et de l’État.
Sans une compréhension correcte de ce processus, on se focalise sur le 20e congrès et le développement d’une couche parasitaire, dont on ne sait pas trop s’il faut la dénoncer comme capitaliste ou comme bureaucratique.
C’est la raison pour laquelle le seul espace politique restant était une lecture gauchiste, à moins de se tourner ouvertement vers les pays occidentaux.
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