La nomination de Pierre Laval comme chef du conseil en juin 1935 et sa décision de gouverner par décrets-lois est prétexte à une grande polarisation de la part du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) ; comme il s’agit de désormais toujours intégrer les radicaux dans la perspective, on passe à un discours « national ».
Les décrets-lois ne représenteraient que les intérêts d’une poignée de capitalistes, qui plus est vendus à l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste ; il faut l’unité nationale la plus large pour empêcher le désastre.
C’est le moment où commence l’expression « deux cents familles » pour désigner une oligarchie ; le Parti communiste (SFIC) va l’employer avec une grande régularité. Son mot d’ordre est de parler du « fascisme agent de l’étranger et des 200 familles qui divisent la nation française ».
L’origine de l’expression est pourtant à chercher les radicaux, puisque c’est Édouard Daladier qui l’emploie le premier lors du congrès du Parti radical-socialiste à Nantes en octobre 1934.
Voici ses propos :
« Ce sont deux cents familles qui, par l’intermédiaire des conseils d’administration, par l’autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l’économie française mais de la politique française elle-même.
Ce sont des forces qu’un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France. L’empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit.
Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse. »
L’appel commun socialiste-communiste de la fin juillet 1935 exprime cette ligne « nationale » :
« À bas les décrets-lois de misère
Les mesures déflationnistes que vient de prendre le gouvernement Laval constituent une véritable provocation l’égard de tous les travailleurs des Services publics, des pensionnés et de l’ensemble des producteurs.
C’EST UN VÉRITABLE ATTENTAT CONTRE LA NATION.
En s’attaquant directement aux conditions d’existence d’une grande partie de la population le gouvernement montre une fois de plus au patronat la voie à suivre pour diminuer les salaires des travailleurs de l’industrie privée.
Ces mesures dites d’économies frappent les petites gens au lieu de s’attaquer au grand capital.
Onze milliards enlevés à la circulation dans le pays, cela signifie des milliers de faillites de petits commerçants, une aggravation de la misère à la campagne, l’accentuation du marasme économique et la paralysie croissante de l’activité industrielle.
Les décrets-lois qui abaissent les conditions d’existence du monde du travail ne résoudront nullement tes difficultés financières, au contraire ils mettront le franc en danger.
Le Parti communiste et le Parti socialiste nettement opposés à la politique de déflation et soucieux de soutenir l’action des masses frappées par les décrets-lois de misère, décident
1° D’appeler les organisations communistes et socialistes aider de toutes leurs forces au rassemblement de tous les groupements directement intéressés à l’action contre les décrets-lois (Syndicats, associations d’anciens combattants, etc.), et à soutenir toute action contre les décrets-lois qui frappent, les travailleurs
2° D’inviter les municipalités des deux Partis à préparer eh commun un plan d’action pour organiser la protestation contre les décrets-lois portant atteinte aux intérêts de la population laborieuse
3° D’inviter les conseillers généraux de la Seine, des deux Partis, à demander la réunion du Conseil général, afin d’examiner les conséquences des décrets-lois sur le budget départemental et pour organiser ta défense de tous les travailleurs des Services publics. Les conseillers généraux de province des deux Partis agiront de même.
CONTRE LA POLITIQUE DE MISÈRE DES DÉCRETS-LOIS
POUR DÉFENDRE LE PAIN, GARANTIR LA PAIX ET SAUVEGARDER LA LIBERTÉ
VIVE L’UNITÉ D’ACTION DES TRAVAILLEURS
LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C. LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O. »
L’opposition à Pierre Laval est très forte, et 50 000 fonctionnaires n’hésitent pas à manifester contre leurs baisses de salaires (de 10%) à Paris malgré l’interdiction. Les manifestations vont également se multiplier dans le pays.
Cet autre appel commun socialiste-communiste de la fin juillet 1935 reflète comment, malgré l’alignement sur les radicaux, il y a la tentative d’utiliser la situation pour ancrer des valeurs du mouvement ouvrier.
« VIVE L’UNITÉ D’ACTION POUR LA PAIX ET LA LIBERTÉ
Dans tout le pays l’ardente volonté de paix et de liberté du peuple de France s’est magnifiquement exprimée te 14 juillet.
Le Parti socialiste et le Parti communiste se félicitent d’avoir préparé les voies de ce magnifique rassemblement des énergies populaires EN SIGNANT, LE 27 JUILLET 1934, LE PACTE D’UNITÉ D’ACTION.
Aussi cette date mérite-t-elle d’être commémorée par les travailleurs.
Le Parti communiste et le Parti socialiste appellent les masses laborieuses à célébrer l’anniversaire de la signature du Pacte et à confondre dans un même acte de foi révolutionnaire leur volonté d’unité, leur volonté de liberté et de paix.
Partout où cela sera possible, les organisations socialistes et communistes se feront un devoir d’organiser en commun, fin juillet ou début d’août, des réunions, fêtes populaires ou démonstrations,
1° pour commémorer la signature du pacte d’unité d’action, qui a permis d’infliger de retentissants échecs au fascisme et qui est le prélude de l’unité totale de la classe ouvrière
2° pour manifester à l’occasion de l’anniversaire de la déclaration de guerre notre volonté inébranlable de défendre la paix et de lutter avec tous les peuples contre les fauteurs de guerre
3° pour honorer en Jean-Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914, la première et la plus grande victime de la guerre, le valeureux défenseur de la paix, l’ennemi implacable des puissances de ruine et de guerre, le prestigieux tribun du peuple
4° pour honorer la mémoire de Jules Guesde (mort le 28 juillet 1922), le vulgarisateur du marxisme en France, qui a tant contribué à donner au prolétariat français le sentiment de sa force et de son indépendance de classe.
Nous faisons appel à tous les partisans de la paix et de la liberté dont la cause se confond, car si le fascisme triomphait en France la guerre serait aussitôt à l’ordre du jour, pour commémorer ces anniversaires avec les socialistes et les communistes dans un même sentiment de confiance et d’espérance dans un avenir meilleur.
À bas la guerre
A bas le fascisme
Pour la paix et la liberté
Vive l’unitéLE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O.
LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C. »
En août 1935, une grève des arsenaux à Toulon affronte la répression policière et des provocations, deux ouvriers se faisant tuer. Sont ensuite présentes à leurs obsèques 30 000 travailleurs. Un autre décès va fortement marquer les esprits, celui d’Henri Barbusse, le fameux auteur du roman Le feu qui n’a eu de cesse de travailler pour le Parti communiste (SFIC) depuis sa fondation. 300 000 personnes accompagnent son cercueil le 7 septembre 1935.
Alors qu’on avance vers les élections parlementaires d’avril-mai 1936, les choses sont claires : l’union pratique socialiste-communiste est inébranlable et la convergence avec les radicaux – contre les grosses fortunes, pour les libertés, pour la république, contre la guerre – est l’arrière-plan fondamental.
Voici la plate-forme commune du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) établie en septembre 1935 :
« Les grands capitalistes mettent tout en œuvre pour faire peser le poids de la crise sur les masses laborieuses dont les conditions d’existence ont été considérablement avilies.
Cette situation a été encore aggravée par les décrets-lois du gouvernement Laval qui ne frappent pas seulement les travailleurs de l’Etat, les anciens combattants et par répercussion la masse des salariés. Les décrets-lois portent également atteinte à l’ensemble de l’économie nationale en diminuant la capacité de consommation des masses populaires et ils mettent le franc en danger.
Il faut COMBATTRE une telle politique de spoliation et de misère.
Il faut défendre le pain des travailleurs.
– par la revalorisation des salaires et traitements ;
– par l’abrogation des décrets-lois qui atteignent si cruellement les conditions d’existence des travailleurs des services publics, des pensionnés, des retraités, des assistés de toutes catégories ;
– par la rupture avec l’absurde et inique politique de déflation qui, en comprimant férocement- le niveau de vie des masses laborieuses, ne fait qu’aggraver la misère paysanne, industrielle, le marasme commercial ;
– par une action cohérente et méthodique orientée vers le développement de ta capacité d’achat des travailleurs-consommateurs, seul moyen d’atténuer tes effets de la crise de l’économie capitaliste.
Il faut défendre le PAIN des -travailleurs en assurant à tous des SALAIRES NORMAUX par la généralisation des conventions collectives de travail soumises au contrôle ouvrier.
Il faut défendre le PAIN des paysans en leur garantissant des PRIX RÉMUNÉRATEURS pour la vente de leurs produits notamment par l’institution d’offices publics agricoles, le développement des coopératives de vente en liaison avec les coopératives de consommation en ajustant le taux des baux à fermes et les redevances de métayage aux conditions économiques actuelles.
Il faut défendre le pain des CHÔMEURS en créant un fonds national de chômage et en établissant une réglementation plus humaine des allocations.
Il faut remédier à la crise de chômage en répartissant judicieusement sur la collectivité des travailleurs les disponibilités de travail, c’est-à-dire :
– en pratiquant la diminution systématique des heures de travail, l’instauration de la semaine de 40 heures, sans diminution de salaire :
– en prolongeant l’âge de la scolarité pour les jeunes ;
– en organisant la relève des travailleurs âgés de plus de 60 ans assurés de moyens suffisants d’existence, par une amélioration de la législation des A. S. ;
– en augmentant les occasions de travail par la mise en route d’une politique de grands travaux d’intérêt collectif et social, financés à l’aide de MESURES FRAPPANT LES GROSSES FORTUNES et servant de gage à l’emprunt.
Il faut DÉFENDRE LA PAIX et démasquer la politique extérieure de Laval, hypocrite et à double face qui, de plus en plus, s’écarte du système de l’assistance mutuelle et de la: sécurité collective, permettant le désarmement général.
Il faut défendre la paix par l’interdiction de la fabrication et du commerce privé des armes :
– par une action intensifiée contre le militarisme, le colonialisme, les crédits d’armement et la diplomatie secrète.
Il faut sauvegarder la LIBERTÉ :
– par le désarmement et la dissolution des ligues fascistes ;
– par le maintien et le développement des libertés démocratiques, communales et syndicales pour tous les citoyens ;
– par la défense de l’école laïque ;
– par la libération de l’État du joug de la féodalité financière, en établissant la souveraineté de la Nation sur la Banque de France par la déchéance du Conseil de régence en procédant la nationalisation des grands monopoles capitalistes qui, sans pouvoir être considérée comme un élément d’instauration du socialisme, peut se réaliser dans le cadre du système social actuel en attaquant dans les postes principaux d’où elles dominent toute la vie du pays les forces du grand capital ;
En organisant l’action contre le gouvernement Laval sur la base de cette plate-forme commune, le parti communiste et le parti socialiste revendiquent l’honneur d’être à la pointe du combat et l’exemple donné par eux permettra d’appeler à faction commune dans les meilleures conditions les diverses organisations politiques et syndicales, chacune gardant son programme général propre.
Le parti communiste et le parti socialiste pensent ainsi contribuer efficacement à la réussite d’un grand mouvement populaire capable de déterminer un changement dans la situation politique et dans l’orientation de l’action gouvernementale.
LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C.
LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O. »
=>Retour au dossier sur Le Parti communiste (SFIC)
et la construction du Front populaire en 1934-1935