L’unité antifasciste ouvrière qui suit le 6 février 1934

L’Humanité publia le document de l’Internationale Communiste au sujet de Jacques Doriot en soulignant la présence au Comité Exécutif de Dimitrov, grande figure antifasciste voire même principale antifasciste.

Et la publication se produisit au moment où le Parti Communiste mobilisa, le 20 mai 1934, 30 000 personnes contre le fascisme à Vincennes, alors que se tenait un congrès national antifasciste, prolongement de la fusion en juin 1933 des mouvements anti-guerres d’Amsterdam et du mouvement antifasciste de Pleyel, avec 3487 délégués (les deux-tiers étant mandatés par des structures parisiennes).

C’est là le succès qui va démarrer le processus du Front populaire, alors que le 27 mai 100 000 personnes se pressent à Paris au mur des Fédérés pour célébrer la Commune de 1871.

En effet, la capacité du Parti Communiste Français à mettre en place une telle initiative antifasciste va imposer un rythme unitaire. Sur le plan de l’antifascisme, le Parti Communiste Français est à la fois légitime et concret sur le terrain. Il n’a pas été le porteur de la vague du 12 février, qui revient aux socialistes et à la CGT, mais en amont c’est lui qui a été le plus affirmatif à ce niveau.

Pour cette raison, l’unité organique antifasciste devient toujours plus incontournable. En octobre 1934, le mouvement Pleyel-Amsterdam parvient ainsi à s’entendre avec le Centre de Liaison des Forces Antifascistes mis en place par la fédération de la Seine du Parti socialiste SFIO, dominée par l’aile gauche.

Cela aboutit à un Comité Central d’Unité d’Action Antifasciste, qui se voit rejoint en novembre 1934 par le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, une structure fondée en mars 1934 par des intellectuels et scientifiques (avec notamment l’ethnologue Paul Rivet qui est socialiste, le philosophe écrivain Alain qui radical, le physicien Paul Langevin qui est proche du Parti Communiste, Victor Basch qui est président de la Ligue des droits de l’homme, l’écrivain surréaliste André Breton, le philosophe Georges Canguilhem, l’écrivain André Malraux).

Il y a également, le même mois, l’adhésion du petit Parti radical-socialiste Camille Pelletan, scission de gauche des radicaux au congrès de mai 1934, puis les républicains-radicaux et radicaux-socialistes de la Seine, et enfin la Ligue des Droits de l’Homme (qui compte 180 000 adhérents) en janvier 1935.

On a là la dynamique même du Front populaire. Le succès du congrès national antifasciste de mai 1934 joue donc un rôle capital et on peut dire que si le Parti Communiste Français n’a pas bien géré la séquence des 6 et 12 février 1934, heureusement il y avait le mouvement d’Amsterdam-Pleyel pour l’ancrer dans la réalité politique et l’arracher à sa démarche de type Parti politique du syndicalisme révolutionnaire.

Il faut souligner ici également que les provocations fascistes et le soutien de la police à celle-ci ont également grandement joué. De février à mai 1934, les affrontements ouvriers avec les policiers protégeant les initiatives fascistes sont très nombreux en France, et particulièrement violents, faisant 18 morts du côté ouvrier.

De plus, les provocateurs fascistes sont toujours plus munis d’armes, leur militarisation se faisant alors de manière systématique, les Croix-de-Feu possédant littéralement une petite armée.

François de La Rocque, le fondateur du mouvement des Croix-de-Feu qui deviendra le Parti Social Français

Qui plus est, le gouvernement forme un bloc réactionnaire unifié. L’instabilité politique suite au 6 février 1934 a amené la constitution dès le 9 février d’un gouvernement sous l’égide de Gaston Doumergue, avec un parlement court-circuité.

On y retrouve déjà de nombreuses figures de la Collaboration, puisque Philippe Pétain est ministre de la Guerre, le néo-socialiste Adrien Marquet est ministre du Travail, Pierre-Étienne Flandin est ministre des Travaux Publics, Louis Germain-Martin est ministre des Finances, Georges Rivollet est ministre des Pensions, Pierre Laval en étant rapidement ministre des Affaires étrangères et Paul Marchandeau ministre de l’Intérieur, ainsi que Henry Lémery ministre de la Justice.

La pression pour l’unité antifasciste vient pour cette raison vraiment de la base, non pas de manière politique au sens strict, mais dans une reconnaissance mutuelle d’une approche commune sur le terrain, de la même sensibilité antifasciste. Les discussions se multiplient ainsi, bon gré mal gré, au plus haut niveau du Parti Communiste Français et du Parti socialiste SFIO d’un côté, de la CGTU et de la CGT de l’autre.

Tout le mois de juin – depuis une initiative du 30 mai 1934 pour être précis proposant une action commune contre le fascisme, contre les décrets-lois, pour la défense du dirigeant communiste allemand Thälmann et des victimes du nazisme – est ainsi marqué par l’irrépressible tendance à une rencontre entre les directions communiste et socialiste.

Le 22 juin 1934, Marcel Cachin publie dans l’Humanité l’article « Poursuivons nos efforts pour l’unité d’action », qui regrette le refus de l’unité par la direction socialiste, et lorsque Léon Blum lui répond le 23 juin dans Le Populaire, il salue « un ton de mesure et de cordialité confiante », et met en avant un tableau censé refléter le point de vue socialiste : si les communistes cessent leur dénonciation de la direction socialiste, un accord est possible.

Voici le tableau, publié initialement dans La bataille, le journal de la Fédération socialiste du nord.

« Nous demandons une simple chose : la trêve. La trêve des partis prolétariens en face de la trêve des partis bourgeois.

Le 29 novembre 1932, entre la République Française et la République des Soviets, il a été signé un pacte dont on lira ci-dessous les articles. |

Nous voulons nous aussi signes un pacte de non-agression.

A L’INSTAR DE CECI…

Pacte de non-agression franco-soviétique

M. Albert Lebrun, président de la République Française.

M. Edouard Herriot, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères;

Le Comité central exécutif de l’Union des Républiques Soviétiques et Socialistes;

M. Valérien Dovgalevsky, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l’U.R.S.S. près le président de la République Française;

Animés de la volonté de consolider la paix,
Convaincus qu’il est dans l’intérêt des deux hautes parties contractantes d’aménager et de développer les relations entre les deux pays,

Désireux de confirmer et de préciser, en ce qui concerne leurs rapports respectifs, le Pacte général de renonciation à la guerre du 27 août 1928, Ont résolu de conclure un traité à ces fins et ont convenu des dispositions suivantes :

Article premier. – Chacune des hautes parties contractantes s’engage, vis-à-vis de l’autre, à ne recourir, en aucun cas contre elle, soit isolément, soit conjointement avec une ou plusieurs tierces puissances, ni à la guerre, ni à aucune agression par terre ou par mer.

Art. 2. – Si l’une des hautes parties contractantes est l’objet d’une agression, l’autre partie contractante s’engage à ne prêter ni directement, ni indirectement, aide ou assistance à l’agresseur ou aux agresseurs, pendant la durée du conflit.

Art. 3. – Les engagements énoncés aux articles 1 et 2 ci-dessus ne peuvent en aucune façon limiter ou modifier les droits et obligations découlant des accords conclus par elle avant l’entrée en vigueur du présent traité.

Art. 4. – Chacune des hautes parties contractantes s’engage pour la durée aucune entente internationale ayant pratiquement pour effet d’interdire la vente ou l’achat de marchandises ou l’octroi de crédits à l’autre partie.

Art. 5. – Chacune des hautes parties contractantes s’engage à respecter à tous égards la souveraineté ou l’autorité de l’autre partie, à ne s’immiscer en aucune façon dans ses affaires intérieures, à s’abstenir notamment d’une action quelconque tendant à susciter ou à favoriser toute agitation, propagande ayant pour but déporter atteinte à son intégrité territoriale ou de transformer par la force le régime politique ou social de tout ou partie de ses territoires.

Fait à Paris en double expédition, le 29 novembre 1932

Signé : LEBRUN, HERRIOT, pour la France. STALINE, DOVGALEVSKY, pour l’U.R.S.S.

Celui-ci est une réalité et nous nous en félicitons

EST-IL VRAIMENT IMPOSSIBLE D’OBTENIR CELA ?…

Pacte de non-agression socialo-communiste

Les citoyens Paul Faure, secrétaire général du Parti socialiste S.F.I.O. ;

Léon Blum, directeur politique du «Populaire» ;

La C.A.P. du Parti socialiste ;

Les citoyens Thorez, secrétaire général du Parti communiste ;

Marcel Cachin, directeur politique de l’«Humanité» ;

Le Comité central du Parti communiste ;
Animés de la volonté de battre le fascisme,
Convaincus qu’il est dans l’intérêt de la classe ouvrière d’améliorer et de rendre plus fraternelles les relations entre les deux partis,

A défaut d’unité organique dont les conditions ne sont peut-être pas encore réalisées, les contractants, en présence du danger que le fascisme fait courir au monde du travail, reconnaissent la nécessité de mener en commun accord des actions déterminées, et ont résolu de
conclure un pacte contenant les dispositions suivantes :

Article premier. – Chacune des parties contractantes s’engage, vis-à-vis de l’autre, à mettre fin aux attaques, injures et critiques contre leurs organismes et militants, responsables ou élus. Cet engagement vaut pour les organisations régionales et locales.

Art. 2. – Si, à l’occasion de réunions ou de manifestations des militants appartenant à l’un ou à l’autre parti se trouvent aux prises avec des adversaires fascistes, les ressortissants des parties contractantes se devront aide et assistance mutuelle pour repousser les agressions.

Art. 3. – Les engagements énoncés aux articles 1 et 2 ci-dessus ne peuvent, en aucune façon, limiter ou interdire le droit que conserve chaque parti de faire sa propre propagande et d’assurer son propre recrutement.

Art. 4. – Les controverses doctrinales et la confrontation des méthodes tactiques, loin d’être proscrites, sont désirables en tant qu’elles élèvent le niveau intellectuel des masses, et qu’elles se déroulent dans une atmosphère correcte et loyale.

Art. 5. – Chacune des parties contractantes s’engage à respecter à tous égards la souveraineté ou l’autorité des organismes dirigeants de l’autre partie à ne pas s’immiscer en aucune façon dans ses affaires intérieures, à s’abstenir notamment d’une action quelconque tendant à susciter ou favoriser toute tentative de désagrégation.

Fait à Paris, le…

Signé : Paul FAURE, Léon BLUM, pour le Parti Socialiste. M. THOREZ et Marcel CACHIN, pour le Parti Communiste.

Celui-là n’est hélas, qu’une hypothèse et nous le déplorons »

Cet appel à l’unité dans Le Populaire a lieu le même jour que le compte-rendu du verdict de Saint-Omer, qui tient en l’acquittement de deux « camelots du roi » de l’Action française ayant tué au pistolet l’ouvrier communiste Joseph Fontaine le 11 avril 1934 lors d’une contre-manifestation organisée à Hénin-Liétard ; la veuve de Joseph Fontaine dut payer les frais de justice.

Dès le lendemain, Le Populaire lance une campagne en titrant : « Les travailleurs n’accepteront pas le verdict de Saint-Omer ». Et parallèlement, le Parti Communiste Français qui vient d’ouvrir une « conférence nationale », formula à ce titre des propositions au Parti socialiste SFIO le 25 juin :

« Aux ouvriers et aux sections socialistes.

A la C.A.P. du Parti socialiste.

Camarades,

traduisant les sentiments de la classe ouvrière et des masses laborieuses de France, la Conférence nationale du Parti communiste français est indignée par le verdict de Saint-Omer qui constitue un encouragement aux assassins de prolétaires.

Seule l’action commune des travailleurs peut faire reculer la bourgeoisie et c’est pourquoi la Conférence propose aux ouvriers socialistes, aux sections socialistes, ainsi qu’à la C.A.P. du Parti socialiste, sans préjudices des propositions antérieures faites par le Comité central du P.C.F., d’engager dans tout le pays une large action de masse contre le verdict inique.

Nous proposons l’organisation en commun de :

1) Meetings et manifestations dans les principaux centres du pays déjà indiqués dans nos précédentes propositions pour arracher la libération du camarade Thälmann et de tous les antifascistes [emprisonnés en Allemagne].

2) Meetings et manifestations dans les bassins miniers du Nord et du Pas-de-Calais, Hénin-Liétard, Lens, Douai, Béthune, Anzin.

3) Pétitions de masse contre le verdict dans tout le pays, dans toutes les entreprises, les puits, les transports et lieux de pointage des chômeurs. Les petits commerçants, paysans, travailleurs, intellectuels, etc., qu’il est nécessaire de gagner à la lutte antifasciste seront invités à prendre part à ces pétitions.

4) Groupes d’auto-défense de masse antifascistes constitués en commun.

Nous proposons aussi que le groupe parlementaire socialiste et la fraction communiste à la Chambre déposent ensemble une proposition tendant à assurer la défense des libertés démocratiques conquises par les travailleurs (droit syndical de réunions, de manifestations, de grève, etc.) ainsi que le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.

Au cours de la campagne, dont nous proposons la réalisation, cette proposition de loi sera largement développée et les travailleurs seront appelés à lutter ensemble pour en imposer l’adoption.

En raison de la gravité du verdict de classe, rendu par la cour d’assises de Saint-Omer, nous espérons avoir une réponse très rapide.

Afin de ne pas perdre de temps et pour permettre l’organisation immédiate de l’action commune, vous pourriez, dès ce jour, comme nous le faisons nous-mêmes, donner des instructions à vos Fédérations et Sections pour qu’elles s’entendent d’urgence avec nos organisations correspondantes.

Salutations communistes.

La Conférence nationale du Parti communiste. »

Le jour même un accord pour la réalisation d’un meeting fut trouvé entre la section parisienne du Parti Communiste et la Fédération socialiste de la Seine, alors que le dirigeant de la CGTU Cheminots, Pierre Sémard, fut accueilli pour prendre la parole au congrès de la CGT Cheminots.

Voici le texte de l’accord, consistant en un appel.

« Tous unis dans l’action !

La Région communiste de Paris-Ville et la Fédération socialiste de la Seine ont décidé de mener la lutte en commun pour arracher les victimes du fascisme des mains de leurs bourreaux.

En Allemagne, le chef du Parti communiste, Ernst Thälmann, et de nombreux antifascistes sont menacés de mort par les bandes hitlériennes.
En Autriche, la militante socialiste Paula Wallisch et d’autres lutteurs ouvriers sont dans les prisons du sinistre Dollfuss.

IL FAUT LES SAUVER !

IL FAUT LES RENDRE A LA LIBERTÉ !

IL FAUT BARRER LA ROUTE AU FASCISME EN FRANCE !

SOCIALISTES, COMMUNISTES, VOUS TOUS TRAVAILLEURS

Luttez ensemble pour vos frères de classe, otages du fascisme !
Luttez ensemble contre les décrets-lois de misère, contre toutes diminutions de salaire, et pour. la défense des chômeurs !

Luttez ensemble contre les manœuvres aériennes qui préparent la guerre !

Luttez ensemble contre les provocations des bandes fascistes, protégées par le Gouvernement d’Union Nationale qui vient de faire prononcer l’odieux verdict de Saint-Omer, acquittant les fascistes assassins de Joseph Fontaine.

Pour la défense des libertés ouvrières !

Pour le désarmement et la, dissolution des ligues fascistes !

TOUS EN MASSE AU GRAND MEETING D’UNITÉ D’ACTION
qui se tiendra lundi 2 juillet à Bullier 20 h 30

Orateurs

Marcel CACHIN Jacques DUCLOS Maurice LAMPE
du Parti Communiste du Parti Communiste Secrétaire de la Région Communiste de Paris.

Jean ZYROMSKI Claude JUST Emile FARINET
du Parti Socialiste du Parti Socialiste Secrétaire de la Fédération Socialiste de la Seine »

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La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français