Après 1945, les thèses soviétiques étaient que les contradictions inter-capitalistes s’exacerberaient, que la tendance à la guerre deviendrait de plus en plus forte, que l’impérialisme américain était à la tête d’opérations de sabotages, d’infiltrations et d’agression contre l’Union Soviétique.
Par conséquent, il fallait mobiliser les masses sur des thèmes anti-guerre, ainsi que prôner l’interdiction de l’arme atomique. Ces considérations s’appuient sur la thèse du matérialisme dialectique comme quoi l’impérialisme est le stade suprême du capitalisme, produisant la guerre et le fascisme.
Cependant, Nikita Khrouchtchev représentait une clique de bureaucrates et de carriéristes au sein du Parti, de l’industrie et de l’armée, qui n’avaient par conséquent aucunement envie d’assumer un conflit idéologique ouvert, avec les pays capitalistes, ni de s’engager de manière militante dans le soutien à des processus révolutionnaires où les Partis Communistes s’engagent les armes à la main.
L’un des points essentiels était par conséquent non pas simplement de rejeter l’idéologie comme guide, en utilisant l’argument du « culte de la personnalité » ; il fallait également impérativement abandonner les conséquences pratiques sur le plan des rapports avec les pays capitalistes.
De là est né le concept de « coexistence pacifique », dont l’expression est trompeuse, car elle sous-tend en réalité une concurrence bien définie entre les Etats-Unis et l’URSS.
Auparavant, cette concurrence était idéologique ; elle concernait deux visions du monde antagonistes, les critères étaient ceux de l’idéologie, de la réalisation de révolutions : l’objectif était ouvertement le renversement des régimes capitalistes.
Le principe de « coexistence pacifique » abolit cet affrontement idéologique et l’évaluation en termes de bouleversement, pour prôner une mise en concurrence URSS – États-Unis au sein de ce qui serait une hégémonie mondiale soviéto-américaine. Selon Nikita Khrouchtchev, les États-Unis et l’URSS sont en quelque sorte en « finale » d’un championnat dont les autres protagonistes doivent rester mis à l’écart, et dont le contrôle dépend du rapport de forces internes entre les deux « grands ».
Nikita Khrouchtchev justifie cela au nom de l’existence de la bombe atomique ; dans un discours de juillet 1959, il résume cela de la manière suivante :
« Votre voisin peut vous plaire ou ne pas vous plaire. Vous n’êtes pas obligé de vous lier d’amitié avec lui. Mais vous vivez côte à côte, et que faire si ni vous ni lui ne voulez quittez le lieu auquel vous vous êtes attachés?
A plus forte raison, il en est ainsi dans les relations entre les États…
Il n’y a que deux issues : ou bien la guerre –et au siècle des missiles et de la bombe à hydrogène, elle est grosse des conséquences les plus graves pour tous les peuples- , ou bien la coexistence pacifique. »
Au XXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, il avait déjà affirmé cela, en les termes suivants :
« L’établissement de relations d’amitié durables entre les deux plus grandes puissances du monde, l’Union soviétique et les États Unis d’Amérique, aurait une importance majeure pour le renforcement dela paix dans le monde entier.
Si l’on faisait reposer les relations entre l’URSS et les États Unis sur les cinq principes majeurs de la coexistence pacifique: respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, non-agression, non-ingérence dans les affaires intérieures, égalité et avantage réciproque, coexistence pacifique et coopération économique, cela aurait une portée vraiment exceptionnelle pour toute l’humanité (…).
Les guerres ne sont pas inévitables, ne sont pas fatales. Il y a à présent des forces sociales et politiques puissantes qui disposent de moyens sérieux pour empêcher les impérialistes de déclencher la guerre et, au cas où ces derniers l’oseraient, pour infliger une riposte foudroyante aux agresseurs. »
Ainsi, puisque l’URSS est une grande puissance, « alliée » à de nombreux pays, et disposant de soutiens nombreux avec les Partis Communistes, alors la guerre est évitable, et même la révolution violente : on pourrait arriver au pouvoir de manière institutionnelle, le rapport de forces « pacifiant » les rapports sociaux.
Cette conception fut à la base de la polémique ouverte entre le Parti Communiste d’Union Soviétique et le Parti Communiste de Chine, de nombreux regroupements soutenant le second (il est à noter que ce n’est pas le cas en France, où les « marxistes-léninistes » quittèrent le Parti Communiste français dans les années 1960, au nom du refus du soutien à la candidature de François Mitterrand et au nom du soutien au FLN algérien).
Elle témoigne des changements profonds en URSS à l’époque de Nikita Khrouchtchev.