Leonid Brejnev dirigea l’URSS de 1964 à 1982. A sa mort, c’est Iouri Andropov qui prit sa place, à 70 ans, après avoir été dirigeant du KGB de 1967 à 1982. A sa mort en 1984, il fut suivi de Konstantin Tchernenko, âgé de 73 ans, pourtant gravement malade. A sa mort en 1985, ce fut inversement une figure plus jeune qui prit la succession : Mikhaïl Gorbatchev, âgé de 54 ans.
Néanmoins, Mikhaïl Gorbatchev n’apporta rien de nouveau et ne fit qu’appliquer la ligne d’Andropov. Celui-ci avait compris que l’Union Soviétique allait s’effondrer. L’URSS donnait l’image d’une superpuissance, qu’elle était militairement, mais à moins d’une offensive militaire tout azimut à la fois contre l’Europe de l’Ouest et contre la Chine populaire, il était pratiquement impossible de s’en sortir.
Il fallait par conséquent cesser les dépenses militaires massives – qui s’auto-alimentaient de part les frais d’entretien, de modernisation, etc. – et restructurer le pays.
La première étape fut donc de littéralement capituler devant l’impérialisme. Une étape connue fut l’affaire Samantha Smith, du nom d’une jeune américaine élève de CM2 qui écrivit la lettre suivante à Iouri Andropov lors de son élection.
« Cher M. Andropov,
Je m’appelle Samantha Smith. J’ai dix ans. Félicitations pour votre nouvelle fonction. Je me suis inquiétée à propos d’une guerre nucléaire entre la Russie et les États-Unis. Est-ce que vous allez voter pour avoir une guerre ou pas ? Si vous ne le voulez pas, dites-moi s’il vous plaît comment vous allez faire pour qu’il n’y ait pas de guerre. Une autre question à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre, c’est que j’aimerais savoir pourquoi vous voulez conquérir le monde ou au moins notre pays. Dieu a fait le monde pour que nous y vivions ensemble dans la paix, pas pour nous combattre.
Bien à vous,
Samantha Smith »
La lettre fut publiée dans la Pravda, et Iouri Andropov lui répondit, formulant la nouvelle ligne stratégique de l’URSS.
« Chère Samantha,
J’ai bien reçu ta lettre, qui ressemble à tant d’autres m’étant parvenues de ton pays et d’autres pays à travers le monde.
Il me semble – à en juger par ta lettre – que tu es une fille courageuse et honnête, semblable à Becky, l’amie de Tom Sawyer dans le célèbre livre de ton compatriote Mark Twain. Ce livre est connu et apprécié aussi dans notre pays par tous les petits garçons et toutes les petites filles.
Tu écris que tu es inquiète de l’éventualité d’une guerre nucléaire entre nos deux pays. Et tu demandes si nous allons faire quelque chose pour que la guerre n’éclate pas.
Ta question est la plus importante parmi celles que tout homme sensé peut poser. Je vais te répondre avec sérieux et honnêteté.
Oui, Samantha, nous en Union soviétique tâchons de tout faire pour qu’il n’y ait pas de guerre sur Terre. C’est ce que veut tout Soviétique. C’est ce que le grand fondateur de notre État, Vladimir Lénine, nous a enseigné.
Les Soviétiques savent à quel point la guerre est une chose terrible. Il y a quarante-deux ans, l’Allemagne nazie, qui visait à la suprématie mondiale, a attaqué notre pays, brûlé et détruit plusieurs milliers de nos villes et villages, tué des millions d’hommes, de femmes et d’enfants.
Dans cette guerre, qui se termina par notre victoire, nous étions alliés avec les États-Unis : ensemble nous avons lutté pour la libération de nombreux peuples face aux envahisseurs nazis. J’espère que tu sais tout cela grâce à tes cours d’histoire à l’école. Et aujourd’hui nous voulons ardemment vivre en paix, commercer et coopérer avec tous nos voisins sur cette planète, qu’ils soient proches ou éloignés. Y compris bien entendu avec un aussi grand pays que les États-Unis d’Amérique.
En Amérique et dans notre pays il y a des armes nucléaires – de terribles armes pouvant tuer des millions de gens en un instant. Mais nous ne voulons jamais avoir à les utiliser. C’est précisément la raison pour laquelle l’Union soviétique a solennellement déclaré à travers le monde entier que jamais – jamais – elle n’utiliserait ses armes nucléaires en premier contre aucun pays. De manière générale nous proposons de mettre un terme à leur production et de procéder à la suppression de tous les stocks existants.
Il me semble que cela suffit à répondre à ta deuxième question : « Pourquoi voulez-vous faire la guerre au monde entier ou au moins aux États-Unis ? » Nous ne voulons rien de ce genre. Personne dans ce pays – ni les ouvriers et les paysans, ni les écrivains et les médecins, ni les adultes et les enfants, ni les membres du gouvernement – ne veut d’une guerre, grande ou petite.
Nous voulons la paix – et nous avons d’autres occupations : faire pousser du blé, construire et inventer, écrire des livres et s’envoler dans l’espace. Nous voulons la paix pour nous-mêmes et pour tous les peuples de cette planète. Pour nos enfants et pour toi, Samantha.
Je t’invite, si tes parents sont d’accord, à venir dans notre pays, l’été étant la meilleure saison. Tu découvriras notre pays, tu rencontreras des jeunes gens de ton âge en visitant un camp international pour enfants – Artek – au bord de la mer. Et tu le constateras par toi-même : en Union soviétique, chacun est pour la paix et l’amitié entre les peuples.
Merci pour ta lettre. Je te souhaite le meilleur dans la vie.
I. Andropov »
Samantha Smith, invitée en URSS, fut accueillie avec enthousiasme en 1983, devenant par la suite une activiste pour la paix très connue dans son pays, avant de mourir dans un « accident » d’un petit avion de six places en 1985.
On peut penser, en effet, qu’elle a été liquidée, sa position correspondant parfaitement à la ligne de l’Union Soviétique. Il s’agissait pour l’URSS de se poser comme pays tourné vers le développement, sans prétention agressive, et victime du militarisme unilatéral du bloc impérialiste dominé par les Américains.
La République Démocratique Allemande fut ici un pont très important vers la République Fédérale d’Allemagne, qui connaissait ainsi de vastes mouvements pour la paix et contre le nucléaire très proches de la position soviétique, position en pratique ouvertement assumé par la Fraction Armée Rouge et les multiples petits groupes armés dans son sillage.
En France et en Angleterre, cette position passa davantage par le soutien à Nelson Mandela, dont le parti ANC était ouvertement lié à l’URSS, ainsi qu’à la question palestinienne, où là encore la gauche palestinienne était directement connectée à l’URSS.
En Amérique du Sud, par l’intermédiaire de Cuba, l’URSS soutint toute une série de guérilla réformiste et nationaliste, du type FMLN au Salvador, FSLN au Nicaragua, FPMR au Chili, etc., alors que toute une série de groupes était plus ou moins proches, tels les Tupamaros en Uruguay, l’URNG au Guatemala, le FLN algérien par ailleurs au pouvoir, etc.
Cuba était ici la plaque tournante d’un guévarisme « réaliste », affirmant que l’URSS était un soutien obligé pour un succès possible, et qu’il fallait toujours tendre ainsi aux négociations pour des réformes « solides » – reflet en réalité de la nécessité de l’URSS de « peser » au sein des rapports impérialistes.
Les multiples guérillas étaient simplement ses jouets et Cuba son outil attitré – l’armée cubaine fut même directement impliquée dans la guerre civile en Afrique, en Angola.
A côté du discours anti-guerre à destination d’en-dehors de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev avait deux mots d’ordre en URSS même : « Glasnost » signifiant transparence, et « Perestroïka » signifiant restructuration.
Cependant, ce qu’on attribue comme réformes à Mikhaïl Gorbatchev correspond à ce qu’avaient été les réformes de 1965. Ce qu’a réellement tenté de faire Mikhaïl Gorbatchev en réalité, c’est de réimpulser le capitalisme par en bas.
L’URSS était en retard dans de nombreux domaines, notamment l’informatique et l’électronique. Ses installations étaient dépassées, au point que la Russie est encore en 2015 parsemée d’une multitude de bâtiments abandonnés, de centres de recherche et militaires laissés tels quels depuis 30 ans, permettant un nombre incalculable de photographies pittoresques et inquiétantes.
A cela s’ajoute bien entendu l’accident nucléaire de Tchernobyl de 1986, reflet des terribles failles au sein de la technologie soviétique, avec ici un coup humain, économique et environnemental impressionnant.
L’objectif de Mikhaïl Gorbatchev était donc de lancer des mouvements de masse dans l’économie, pour relancer l’économie s’effondrant sous le poids des groupes monopolistes parasitaires, notamment avec le complexe militaro-industriel.
Il autorisa ainsi à partir de 1988 les coopératives dans l’industrie et les services, et dans les campagnes, il organisa des prêts de terre à 50 ans, alors que dans les entreprises il tenta de renforcer le pouvoir des travailleurs. C’était ni plus ni moins que de prôner la cogestion et l’autogestion, dans l’esprit de la Yougoslavie titiste des années 1950.
L’expérience devait se rééditer dans l’Etat et le Parti Communiste d’Union Soviétique, avec la possibilité de candidatures multiples. Tout devait être réimpulsé.
En réalité, évidemment, Mikhaïl Gorbatchev ne fit qu’accompagner l’effondrement général de l’État soviétique, en officialisant ce que les faits imposaient d’eux-mêmes. Le système était exsangue et le capitalisme avait gangrené toute la société, jusqu’à simplement s’officialiser.
L’esprit individualiste, expliqué par la bureaucratie comme le fit Nikita Khrouchtchev, correspondait en réalité au capitalisme triomphant toujours davantage. C’est cela qui explique que l’effondrement du bloc de l’est en 1989, puis de l’Union Soviétique en 1991, se déroula aussi facilement.
A part une poignée de responsables bureaucratiques tentant un coup de force militaire sans aucun poids, la porte était ouverte à un capitalisme franc et ouvert, même si bien sûr n’existant que sous l’hégémonie de groupes monopolistes se maintenant dans la transition et formant, par la suite, une oligarchie sans gêne, totalement décadente.