Dans le combat contre les tendances erronées après 1945, les communistes d’URSS ont eu comme base non pas le matérialisme dialectique, mais la défense de la constitution de 1936, ainsi que le matérialisme historique concernant le développement économique.
Cela a eu des conséquences fatales. Comme l’avait souligné Staline, les meilleures forteresses se prennent de l’intérieur, et une clique de révisionnistes a pu réussir à placer ses membres dans l’appareil d’Etat, pour renverser l’idéologie à la direction du Parti à la mort de Staline, finalisant la démarche lors du XXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, en 1956.
La conception de Staline et des communistes d’URSS était que les oppositions à la construction du socialisme en URSS, après 1945, relevaient uniquement de déviations ou d’influences externes à l’URSS. La raison fondant ce raisonnement était que l’URSS était devenue socialiste et qu’il n’existait plus de classes antagonistes ; s’il existait des restes idéologiques relevant du passé, il n’y avait plus de classes sociales réactionnaires capables en tant que telle de porter un projet de renversement.
Cela est juste, dans la perspective du matérialisme historique. Cependant, il n’y a aucune raison de couper la société humaine et son histoire de la matière en général. Les communistes d’URSS, et à leur tête le grand Staline, ont considéré que les forces productives étaient indépendantes de la réalité matérielle.
Cela va avoir deux tendances : tout d’abord, le développement d’une idéologie volontariste, caractérisé par l’anthropocentrisme, totalement idéaliste, portée justement par la clique révisionniste qui va dévier les acquis matérialistes dialectiques pour affirmer la toute-puissance de la pensée sur la matière, avec la possibilité absolue de la transformer.
Cela va se montrer dans les années 1960, avec Khrouchtchev et son soutien aux déviations de Trofim Lyssenko, dont le point de départ était pourtant scientifique, à la conquête spatiale coupée pareillement de sa base matérialiste dialectique, aux grands projets de transformation de la biosphère eux aussi coupés de leur base matérialiste dialectique, etc.
C’est alors, en pratique, l’État et l’armée qui ont pris le pouvoir sur le Parti, devenu un simple rouage du complexe militaro-industriel au cœur du social-impérialisme soviétique.
Dans les faits, la clique révisionniste a ainsi pu prendre le pouvoir en 1953 en profitant des aspects erronés du « Grand Plan pour la Transformation de la Nature » lancé en 1948, contenant plusieurs projets, dont celui de former des forêts de pratiquement six millions d’hectares dans le sud de la Russie, d’irriguer l’Asie centrale de manière généralisée, etc.
Les communistes d’URSS se sont arbitrairement restreints au matérialisme historique, faisant du matérialisme dialectique un outil du premier, sans voir que c’est l’inverse qui est vrai. Voici ce que dit Staline dans le grand classique de l’après 1945, Les problèmes économiques du socialisme en URSS :
« Le marxisme conçoit les lois de la science, qu’il s’agisse des lois de la nature ou des lois de l’économie politique, comme le reflet des processus objectifs qui s’opèrent indépendamment de la volonté humaine.
Ces lois, on peut les découvrir, les connaître, les étudier, en tenir compte dans ses actes, les exploiter dans l’intérêt de la société, mais on ne peut les modifier ou les abolir.
A plus forte raison ne peut-on former ou créer de nouvelles lois de la science. Est-ce à dire, par exemple, que les résultats de l’action des lois de la nature, des forces de la nature sont, en général, inéluctables ; que l’action destructive des forces de la nature se produit toujours et partout avec une spontanéité inexorable, qui ne se prête pas à l’action des hommes ?
Évidemment non. Si l’on fait abstraction des processus astronomiques, géologiques et quelques autres analogues, où les hommes, même s’ils connaissent les lois de leur développement, sont véritablement impuissants à agir sur eux ; ils sont en maintes occasions loin d’être impuissants quant à la possibilité d’agir sur les processus de la nature.
Dans toutes ces circonstances, les hommes, en apprenant à connaître les lois de la nature, en en tenant compte et en s’appuyant sur elles, en les appliquant avec habileté et en les exploitant, peuvent limiter la sphère de leur action, imprimer aux forces destructives de la nature une autre direction, les faire servir à la société. »
Cette position du grand Staline est erronée, dans la mesure où elle sépare l’humanité, en tant que matière, du reste de la matière ; elle pose la réalité de la biosphère comme simplement statique sur le plan général, même si obéissant à certaines lois propres.
Staline n’était pas le seul à avoir cette position ; nombreuses sont les remarques dans le même sens des immenses Maxime Gorki et Ivan Mitchourine.
Malheureusement, on s’éloigne là tant du réalisme que du matérialisme dialectique ; on en revient au matérialisme vulgaire, celui de Claude Bernard, repris par Emile Zola pour inventer le « naturalisme ».
Dans son écrit Le roman expérimental, voici comment Emile Zola nie l’importance de la philosophie – donc du matérialisme dialectique – en soulignant l’importance de la dimension « pragmatique ».
Cela pourrait être littéralement le manifeste des cliques révisionnistes apparus en URSS et en Chine populaire ! Sur tous les plans, de l’approche à la méthode, de l’idéologie à la démarche, on retrouve chez Emile Zola ce qu’ont dit Nikita Khrouchtchev en URSS et Deng Xiao Ping en Chine populaire :
« Je citerai encore cette image de Claude Bernard, qui m’a beaucoup frappé: «L’expérimentateur est le juge d’instruction de la nature.» Nous autres romanciers, nous sommes les juges d’instruction des hommes et de leurs passions (…).
Admettons que la science ait marché, que la conquête de l’inconnu soit complète: l’âge scientifique que Claude Bernard a vu en rêve sera réalisé. Dès lors, le médecin sera maître des maladies; il guérira à coup sûr, il agira sur les corps vivants pour le bonheur et pour la vigueur de l’espèce.
On entrera dans un siècle où l’homme tout-puissant aura asservi la nature et utilisera ses lois pour faire régner sur cette terre la plus grande somme de justice et de liberté possible. Il n’y a pas de but plus noble, plus haut, plus grand. Notre rôle d’être intelligent est là: pénétrer le pourquoi [ou le comment? – voir ci-dessus] des choses, pour devenir supérieur aux choses et les réduire à l’état de rouages obéissants.
Eh bien! ce rêve du physiologiste et du médecin expérimentateur est aussi celui du romancier qui applique à l’étude naturelle et sociale de l’homme la méthode expérimentale. Notre but est le leur; nous voulons, nous aussi, être les maîtres des phénomènes des éléments intellectuels et personnels, pour pouvoir les diriger (…).
Notre vraie besogne est là, à nous romanciers expérimentateurs, aller du connu à l’inconnu, pour nous rendre maître de la nature tandis que les romanciers idéalistes restent de parti pris dans l’inconnu, par toutes sortes de préjugés religieux et philosophiques, sous le prétexte stupéfiant que l’inconnu est plus noble et plus beau que le connu (…).
Nous montrons le mécanisme de l’utile et du nuisible, nous dégageons le déterminisme des phénomènes humains et sociaux, pour qu’on puisse un jour dominer et diriger ces phénomènes. En un mot, nous travaillons avec tout le siècle à la grande œuvre qui est la conquête de la nature, la puissance de l’homme décuplée. Et voyez à côté de la nôtre, la besogne des écrivains idéalistes, qui s’appuient sur l’irrationnel et le surnaturel, et dont chaque élan est suivi d’une chute profonde dans le chaos métaphysique. C’est nous qui avons la force, c’est nous qui avons la morale (…).
Si Claude Bernard se défend d’être un novateur, un inventeur plutôt qui apporte une théorie personnelle, il revient également plusieurs fois sur le danger qu’il y aurait pour un savant à s’inquiéter des systèmes philosophiques.
[Zola cite Claude Bernard:] «Pour l’expérimentateur physiologiste, dit-il, il ne saurait y avoir ni spiritualisme ni matérialisme. Ces mots appartiennent à une philosophie naturelle qui a vieilli, ils tomberont en désuétude par le progrès même de la science. Nous ne connaîtrons jamais ni l’esprit ni la matière, et si c’était ici le lieu, je montrerais facilement que d’un côté comme de l’autre, on arrive bientôt à des négations scientifiques, d’où il résulte que toutes les considérations de cette espèce sont oiseuses et inutiles. Il n’y a pour nous que des phénomènes à étudier, les conditions matérielles de leurs manifestations à connaître et les lois de ces manifestations à déterminer.»
J’ai dit que, dans le roman expérimental, le mieux était de nous en tenir à ce point de vue strictement scientifique, si nous voulions baser nos études sur un terrain solide. Ne pas sortir du comment, ne pas s’attacher au pourquoi. »
Refusant le révisionnisme, Mao Zedong défendra l’œuvre de Staline mais il verra, lors du Grand Bond en Avant et de son échec relatif, qu’il y avait là un problème dans le rapport entre matérialisme historique et matérialisme dialectique, avec la soumission du second au premier.
C’est pourquoi il va appeler à inverser ce rapport, ce qui va se réaliser avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.