L’URSS socialiste a formulé un droit où le tribunal n’est qu’application de la loi. Cela ne signifie aucunement un formalisme, bien au contraire. Une approche formelle serait le rejet de la dignité du réel et par conséquent étranger au matérialisme dialectique.
Contrairement à l’accusation faite par de nombreux théoriciens bourgeois (qui s’orientent notamment par l’interprétation fantasmatique d’ Alexandre Soljénitsyne d’un droit de nouveau médiéval), le droit soviétique rejetait le principe de la « preuve formelle » comme étant par définition mécanique-abstraite.
Voici la critique formulée à cette conception par Andreï Vychinski, dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, en 1941.
« Sous le nom de théorie de la preuve formelle, une théorie est entrée dans l’histoire des procédures pénales, selon laquelle la force de la preuve judiciaire est déterminée à l’avance par la loi.
Selon cette théorie, chaque preuve avait un poids, une valeur, prédéterminée par la loi. Le tribunal et l’enquête chargée d’apprécier les éléments de preuve auraient dû répondre aux exigences de la loi.
Ni le tribunal ni l’enquête n’avaient le droit d’évaluer eux-mêmes des preuves ; leur tâche consistait à appliquer mécaniquement la mesure établie par la loi à chaque fait traité comme preuve et à tirer la conclusion prescrite par la loi.
Cette théorie considérait les propriétés et qualités des preuves comme une sorte de propriétés et qualités figées et immuables de choses ou de phénomènes qui ne changent jamais.
Le système de preuves construit conformément à cette théorie était une simple affiliation du processus d’inquisition, qui agissait à l’aide d’une force mécanique brutale, qui ne laissait pas de place à la réflexion et à l’analyse des circonstances.
Dans le processus d’inquisition, le juge et l’enquêteur n’ont pas étudié les affaires, ils n’ont pas raisonné, n’ont pas analysé les faits en fonction de leur signification interne.
Le système de preuves formelles a également levé cette obligation. En vertu de la règle de cette théorie, un juge ou un enquêteur avait pour seule tâche de calculer le pourcentage de certitude attribué préalablement à la loi à chaque type de preuve.
Le processus de l’Inquisition a joué un rôle majeur dans la lutte de l’absolutisme contre le féodalisme (…). La monarchie absolutiste ne pouvait permettre les activités incontrôlées des tribunaux locaux, indépendantes du pouvoir royal.
Elle ne pouvait pas permettre l’indépendance de la procédure de ces tribunaux, guidés par leur propre discrétion et les seigneurs féodaux.
La monarchie absolutiste a déclaré une campagne contre « l’arbitraire » des juges féodaux, contre la justice féodale, cherchant à centraliser les procès et à contrôler l’activité judiciaire.
D’où l’effet énergique sur les juges à l’aide de diverses instructions et règles, revêtues d’une forme juridique, conçues pour réglementer les activités des tribunaux et des juges de manière à ne pas laisser de place à leur discrétion personnelle.
Le processus de l’inquisition était un moyen très pratique d’atteindre ces objectifs. Le processus de l’Inquisition a engendré un système de soi-disant preuves formelles. Ce système était une série de règles préétablies par le législateur, contraignantes pour les tribunaux et les enquêtes dans les enquêtes et l’examen des affaires pénales.
La théorie de la preuve formelle a atteint son état le plus développé aux XVIe et XVIIIe siècles, soumettant tous les codes de procédure pénale des pays européens à son influence et conservant cette influence, comme nous l’avons dit, jusqu’à presque la moitié du XIXe siècle.
Cette théorie, dans sa forme développée, part de l’hypothèse qu’il est possible d’établir des signes objectifs, des indicateurs objectifs pour évaluer des éléments de preuve, prédéterminant la valeur différente de chaque élément de preuve à l’avance (…).
La théorie de la preuve formelle, à un certain stade de l’histoire du droit procédural, était un pas en avant, car elle limitait l’arbitraire illimité et le pouvoir illimité de certains groupes et individus puissants qui existaient auparavant, bien que cette restriction soit exercée dans l’intérêt de l’autocratie.
Les intérêts de l’absolutisme, à un certain stade de l’histoire, dans certaines limites, coïncidaient avec les intérêts publics, exigeant un ordre et une légitimité plus grands que sous le féodalisme.
Malgré la cruauté et parfois le non-sens de certaines règles procédurales de cette prétendue théorie juridique de la preuve, sa caractéristique positive est qu’elle impose certaines limites à l’arbitraire du juge ; elle a placé le juge dans une position où, comme tout fonctionnaire, il ne pouvait être guidé par une simple discrétion.
La théorie de la preuve formelle était – nous parlons spécifiquement de la théorie, c’est-à-dire d’un système d’opinions scientifiques – une tentative de justifier une décision de justice non pas à la discrétion personnelle et arbitraire d’un juge, mais pour des motifs objectifs (…).
La théorie de la preuve formelle présentait des avantages significatifs principalement pour le nouveau gouvernement absolutiste.
Cette théorie correspondait pleinement aux aspirations du pouvoir d’assujettir la justice féodale déchirée et dispersée dans tout l’État, de transformer par les juges de « sa majesté royale » qui exerçaient « la justice » dans leur intérêt royal les princes féodaux (…).
L’objectif principal de la création, par exemple, au XVe siècle en France, d’une magistrature royale indépendante des parlements locaux et subordonnée exclusivement au pouvoir du roi, était de créer « une solide forteresse pour la victoire finale sur le féodalisme » en la personne de cet appareil judiciaire.
L’une des conséquences les plus importantes de cette tâche a été de fixer une limite ou, comme le dit l’historien de l’ancienne loi judiciaire russe Dmitriev, de mettre « le premier obstacle à la liberté judiciaire totale dans la décision » (…).
Dans les mains de la monarchie absolutiste, de la cour, le processus d’enquête criminelle et la théorie de la preuve formelle, organiquement liés par ce processus, ont joué le rôle politique le plus important dans la lutte contre le féodalisme, dans la lutte pour nettoyer le terrain pour le développement et le renforcement de la propriété capitaliste, qui a remplacé la propriété féodale.
C’est dans ces circonstances qu’il est nécessaire de rechercher une explication à la fois de l’aspect même et de la capacité de survie significative de la théorie de la preuve formelle, qui a existé jusqu’au milieu du XIXe siècle (…).
Le système de preuve formelle se croyait en fait une certaine limite à « l’arbitraire judiciaire », réglementant strictement les activités du juge pour évaluer les preuves avant l’application des règles établies par la loi.
Mais la nature même de ce règlement, qui réduisait le rôle du juge au rôle d’automate à actionnement mécanique, transformait le processus de preuve – la partie la plus importante de tout processus, l’âme du processus – en une procédure très éloignée de la tâche d’établir la vérité matérielle, qui était le processus de recherche dans son ensemble.
Pénétrée par les tendances de la police et cherchant à renforcer et à protéger les intérêts de l’État exploiteur, opposés à ceux de l’individu, à ceux de l’Homme et du citoyen, la procédure de recherche tenait compte de l’accusé comme un simple matériel d’enquête, un simple objet d’expérimentation.
Cela a été exprimé de manière très nette dans le prétendu processus de torture, où la torture était la méthode principale et dominante de « preuve ».
Pour le processus de torture, il était important de définir uniquement les conditions dans lesquelles il était possible et autorisé de recourir à la torture, dont l’issue a été décidée. Le rôle de ces conditions a été joué par les éléments de preuve déterminant l’admissibilité ou l’irrecevabilité de la torture.
Est-il possible de rompre le lien organique entre le « processus de torture » et la théorie de la preuve formelle, qui reposait sur le principe de l’importance prédominante de la propre reconnaissance de l’accusé ? C’est bien sûr impossible, tout aussi impossible que de parler de la contradiction supposée exister entre l’inquisition, le processus de recherche et la théorie juridique [de la preuve formelle].
La critique est dévastatrice et ce qui est extrêmement intéressant, c’est qu’incapable de comprendre le droit socialiste, les théoriciens bourgeois l’ont justement accusé… de revenir à la théorie de la « preuve formelle » !
La bourgeoisie, avec sa conception de la « conviction interne », ne pouvait interpréter le droit socialiste que comme une sorte de retour à la monarchie absolue.
=>Retour au dossier sur le droit soviétique et l’appareil de sécurité
de l’État de l’URSS socialiste