Comment Maïmonide justifie-t-il le libre-arbitre ? En fait, il fait exactement comme Thomas d’Aquin, pour qui par ailleurs Maïmonide est « l’aigle de la synagogue ». Tant Maïmonide que Thomas d’Aquin reprennent Aristote, pour le dévier vers une direction où il est affirmé que la partie supérieure de l’âme est « libre. »
Chez Averroès, cette partie supérieure est universelle, c’est l’intellect, il n’y en a qu’un ; les humains ne pensent pas. Chez Maïmonide et Thomas d’Aquin, les humains peuvent « penser ».
Dans Le traité des huit chapitres, écrit en judéo-arabe (dialecte de la population juive dans les pays arabes, retranscrit en écriture hébraïque), Maïmonide pose par exemple le même principe que Thomas d’Aquin ; d’emblée, il affirme :
« Sache que l’âme de l’homme est une, mais que ses opérations sont nombreuses et diverses et que certaines d’entre elles sont parfois appelées âmes, ce qui peut faire croire que l’homme a plusieurs âmes, comme le croient, en effet, les médecins ; c’est ainsi que le plus illustre d’entre eux (Hippocrate) commence (son ouvrage) en disant que les âmes de l’homme sont au nombre de trois, l’âme naturelle, l’âme animale et l’âme spirituelle.
On les appelle aussi parfois facultés ou parties, de sorte que l’on dit les parties de l’âme.
Et ces appellations sont souvent employées par les philosophes ; cependant, en parlant de parties, ils n’entendent pas que l’âme se diviser à la manière des corps, mais ils énumèrent seulement par là ses actes divers, lesquels sont à l’égard de l’âme toute entière comme les parties à l’égard du tout. »
Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l’âme humaine est un tout, c’est-à-dire disposant également de l’élément appelé « intellect. »
Chez Averroès, les humains ne pensent pas, car l’intellect est extérieur à eux. Chez Thomas d’Aquin et Maïmonide, l’âme englobe tout, il y a l’intellect et elle est indépendante, il y a le libre-arbitre, etc.
C’est là le cœur de l’idéologie de Maïmonide. Tout son travail vise à justifier le libre-arbitre, et s’il accepte Aristote, c’est pour y ajouter l’âme individuelle, contrant la direction prise par Averroès.
Cependant, il faut se justifier, et Maïmonide a pour cela deux arguments « massues » : tout d’abord, le fait qu’on ne pourrait pas réellement comprendre Dieu, et ensuite, découlant par ailleurs du premier argument, que la plupart des termes seraient homonymes, mais différents en substance (les anges peuvent « choisir » et les humains aussi, mais leur substance différente fait que ce « choisir » va être différent ; libre-arbitre chez les humains et chez Dieu n’a pas le même sens, etc.).
Ici, on retrouve une apologie du libre-arbitre tout à fait dans l’esprit de Descartes, qui ne fait que prolonger la perspective ouverte par Thomas d’Aquin pour le catholicisme.
Voici comment, dans Le guide des égarés, Maïmonide « justifie » le libre-arbitre :
« La raison que Dieu a fait émaner sur l’homme, et qui constitue sa perfection finale, est celle qu’Adam possédait avant sa désobéissance, c’est pour elle qu’il a été dit de lui qu’il était (fait) « à l’image de Dieu et à sa ressemblance », et c’est à cause d’elle que la parole lui fut adressée et qu’il reçut des ordres, comme dit (l’Écriture) : « Et l’Éternel, Dieu ordonna, etc. » (Genèse 2:16), car on ne peut pas donner d’ordres aux animaux ni à celui qui n’a pas de raison. »
En affirmant le « libre-arbitre », Maïmonide a sauvé « Dieu. » Cependant, il n’était pas un théoricien protestant, mais juif.
A ce titre, Maïmonide – ou le RAMBAM (acronyme de Rabbi Mosheh Ben Maimon) comme l’appelle la littérature religieuse juive – avait également écrit le Mishné Torah, la « Répétition de la Torah », une compilation écrite des lois orales juives (qui furent rassemblés dans le « Talmud »), qui est encore largement utilisé et reconnu par le judaïsme aujourd’hui.
Pour que donc Maïmonide puisse « sauver » le judaïsme, il dut justifier également « l’actualité » du judaïsme, la dimension messianique, son aspect unique, « à part. » Pour cela, il emprunta directement le schéma d’Avicenne, l’interprétant dans une perspective religieuse, où Moïse remplace Mahomet.