Mao Zedong, Hunan Da Dong Bao, 16 novembre 1919
Quand un évènement se produit dans la société, il ne faut pas le considérer comme un fait sans importance. Derrière un évènement, il y a toujours un enchevêtrement de causes.
La mort s’explique de deux façons : la première répond à une logique biologique et physique, « mort de vieillesse » entre dans cette catégorie ; la deuxième est contraire à la logique de la biologie et de la physique, « mort prématurément », « mort violente » font partie de cette autre catégorie. La mort de Mademoiselle est un suicide, il s’agit d’une mort violente et appartient donc à la deuxième catégorie.
Le suicide d’une personne est entièrement déterminé par les circonstances qui l’entourent. L’intention de Mademoiselle Chao était-elle de mourir ?
Bien au contraire, son intention était de vivre. Si Mademoiselle Chao a fini par chercher la mort au lieu de la vie, c’est parce que des circonstances l’y ont amenée.
Dans le cas de Mademoiselle Chao, les circonstances sont les suivantes : (1) la société en Chine (2) la famille Chao de la rue Nanyang à Changsha (3) La famille Wu de Ganziyuan à Changsha, la famille du mari dont elle ne voulait pas. Ces trois facteurs sont comme trois tiges de fers qui forment une sorte de cage triangulaire.
Une fois Mademoiselle Chao prise dans ces trois tiges de fer, son désir de vivre n’a pu trouver aucun moyen de s’exprimer.
Il n’existait aucun moyen de continuer à vivre, et l’opposé de la vie étant la mort, alors Mademoiselle Chao est morte.
Si un seul de ces trois facteurs n’avait pas été une tige de fer, ou si l’une de ces tiges de fer avait rompu, Mademoiselle Chao ne serait certainement pas morte.
(1) Si les parents de Mademoiselle Chao n’avaient pas eu recours à la coercition et respecté le libre choix, elle ne serait certainement pas morte.
(2) Si les parents de Mademoiselle Chao n’avaient pas eu recours à la coercition et lui avaient permis d’expliquer son point de vue à la famille de son futur mari, d’expliquer les raisons de son refus, et si la famille de son futur mari avait accepté son point de vue et respecté sa liberté individuelle, Mademoiselle Chao ne serait certainement pas morte.
(3) Même si les parents de Mademoiselle Chao ou ceux de la famille de son futur mari avaient refusé d’accepter son libre choix, si dans la société il avait existé un groupe puissant d’opinion publique pour la soutenir, s’il existait un monde nouveau où le fait de s’enfuir de la maison de ses parents pour trouver refuge autre part n’était pas considéré comme quelque chose de déshonorant mais au contraire honorable, alors dans ce cas aussi, Mademoiselle Chao ne serait certainement pas morte.
Si Mademoiselle Chao est morte à présent, c’est à cause des trois tiges en fer (la société, sa famille et celle de son futur mari) qui l’emprisonnaient.
Le désir de vivre s’est avéré impossible à accomplir et c’est celui de mort qui l’a emporté.
L’an dernier, à Tokyo au Japon, une comtesse et son chauffeur, qui s’aimaient profondément, se sont suicidés ensemble [1]. Les journaux de Tokyo ont publié des numéros spéciaux sur cette affaire et de nombreux lettrés et érudits en ont débattu pendant plusieurs mois.
L’évènement d’hier est très important.
Derrière cet évènement, il y a en cause le système des mariages arrangés, les ténèbres du système social, l’impossibilité d’une pensée indépendante, l’impossibilité de l’amour vécu en toute liberté.
Nous qui vivons sur les lieux de cet évènement devons en discuter.
Comme deux articles hier ont servi d’introduction [2], j’ai donné à mon tour mon opinion. Il est à espérer que les personnes intéressées discuteront de tous les aspects de cette affaire, en commençant par appeler « innocente » cette jeune femme qui s’est sacrifiée pour la liberté et l’amour véritable.
NOTES
[1] Il s’agit de la comtesse Yoshikawa Kamako, fille du vice-président du Conseil privé, assemblée de conseillers travaillant auprès de l’empereur du Japon de 1888 à 1947.
[2] Deux articles intitulés « Les mariages traditionnels répandent leur poison » et « Victimes de la réforme du mariage » étaient parus la veille.