Mao Zedong : De la guerre prolongée

   Cycle de conférences faites par Mao Zedong à Yenan du 26 mai au 3 juin 1938 devant l’Association pour l’Etude de la Guerre de Résistance contre le Japon.

Comment se pose la question ?

1. Nous approchons du 7 juillet, premier anniversaire du déclenchement de la grande Guerre de Résistance contre le Japon.

   Voilà donc bientôt un an que notre nation tout entière, unissant ses forces, persévérant dans la Résistance et maintenant fermement le front uni, se bat avec héroïsme contre l’ennemi.

   C’est là une guerre comme on n’en avait jamais vu dans l’histoire de l’Orient, et une place éminente lui reviendra dans l’histoire de l’humanité.

   Les peuples du monde entier en suivent le déroulement avec attention.

   Victime des calamités de la guerre et luttant pour l’existence de la nation, chaque Chinois aspire ardemment à la victoire.

   Mais comment cette guerre va­-t-­elle se dérouler ?

   Pourrons-­nous vaincre ? Pourrons-­nous vaincre rapidement ? Beaucoup parlent d’une guerre prolongée, mais pourquoi la guerre serait­-elle prolongée ?

   Comment conduire une guerre prolongée ?

   Beaucoup parlent de la victoire finale, mais pourquoi remporterons-­nous la victoire finale, et comment remporter cette victoire ?

   Plus d’un parmi nous ne peut encore trouver la réponse à ces questions, et c’est même le cas de la plupart.

   Alors se présentent les partisans de la théorie défaitiste de l’asservissement inéluctable de la Chine, qui disent : « La Chine sera asservie, la victoire finale ne sera pas à la Chine. »

   Ou bien certains de nos amis par trop impétueux s’empressent d’annoncer : « La Chine peut remporter la victoire très rapidement et sans grands efforts. »

   Ces opinions sont-­elles justes ?

   Nous avons toujours dit qu’elles ne l’étaient pas.

   Cependant, la plupart des gens n’ont pas encore compris ce que nous avons dit.

   Cela vient en partie de ce que notre travail de propagande et d’explication était insuffisant, et en partie de ce que les événements objectifs n’avaient pas encore révélé complètement, en se développant, leur caractère véritable et ne s’étaient pas encore manifestés tout à fait clairement, de sorte qu’on n’a pu discerner leurs tendances et leurs perspectives ni, par suite, déterminer entièrement la politique et les méthodes d’action qui convenaient.

   Maintenant, c’est différent.

   L’expérience de dix mois de guerre de résistance suffit amplement à ruiner la théorie, dénuée de tout fondement, de l’asservissement inéluctable de la Chine et à convaincre du même coup nos amis par trop impétueux que leur théorie d’une victoire rapide est erronée.

   Dans ces circonstances, beaucoup demandent des éclaircissements qui fassent le point de la situation, d’autant plus qu’une guerre prolongée suscite l’opposition aussi bien des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine que des partisans de la théorie de la victoire rapide, alors que d’autres s’en font une idée bien vague.

   Une formule comme celle-­ci : « Depuis l’Incident de Loukeoukiao, 400 millions de Chinois déploient tous ensemble leurs efforts et la victoire finale sera à la Chine » est largement répandue.

   Cette formule est juste, mais il faut lui donner un contenu concret.

   Si nous avons pu persévérer dans la Guerre de Résistance et maintenir le front uni, c’est grâce au concours de nombreux facteurs.

   Ce sont, en Chine, tous les partis politiques, du Parti communiste au Kuomintang ; le peuple tout entier, depuis les ouvriers et les paysans jusqu’à la bourgeoisie ; toutes les forces armées, depuis les troupes régulières jusqu’aux détachements de partisans ; sur le plan international, le pays du socialisme et tous les peuples épris de justice ; dans le camp ennemi, ceux parmi la population et les soldats du front qui sont contre la guerre.

   Bref, tous ces facteurs contribuent, à divers degrés, à soutenir notre Guerre de Résistance.

   Toute personne de bonne foi doit leur rendre hommage.

   Nous, communistes, avec les autres partis politiques de la Résistance et le peuple tout entier, n’avons d’autre voie que de lutter pour l’union de toutes les forces en vue de la victoire sur les bandits japonais exécrés.

   Le premier juillet de cette année, nous célébrerons le XVIIe anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois.

   Pour que chaque communiste puisse fournir un effort toujours plus grand et plus efficace dans la Guerre de Résistance, il faut aussi attacher à l’étude de la guerre prolongée une importance particulière.

   C’est pourquoi mes conférences seront consacrées à cette étude.

   Je tâcherai de traiter toutes les questions concernant cette guerre, mais il ne m’est pas possible d’entrer dans tous les détails au cours d’un seul cycle de conférences.

2. Toute l’expérience de dix mois de guerre atteste que la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et la théorie de la victoire rapide sont fausses l’une comme l’autre.

   La première engendre la tendance au compromis, la seconde la tendance à la sous-estimation des forces de l’ennemi. Les partisans de ces théories abordent la question d’une façon subjective, unilatérale, en un mot, anti-scientifique.

3 Avant la Guerre de Résistance, bien des opinions défaitistes avaient cours.

   On disait par exemple : « La Chine est moins bien armée que l’ennemi, se battre c’est perdre la guerre. »

   « Si nous résistons, le destin de l’Abyssinie nous attend. »

   Depuis le début de la guerre, la propagande sur la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine ne se fait plus ouvertement, elle se poursuit sous une forme voilée, mais très activement, comme le montrent, par exemple, les bruits de compromis qui tantôt s’élèvent et tantôt s’apaisent.

   Les partisans du compromis ont recours à l’argument suivant :

   « Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable1

Cela s’explique par le fait que le gouvernement du Kuomintang était corrompu et incapable et qu’il essuyait dans la guerre défaite sur défaite, tandis que l’armée japonaise progressait rapidement et parvenait près de Wouhan au cours même de la première année de la guerre. Ce qui engendra des sentiments profondément pessimistes dans des couches arriérées de la population..« 

   Un étudiant nous écrit du Hounan :

   « A la campagne, je me heurte partout à des difficultés. Faisant le travail de propagande tout seul, je suis obligé de saisir toutes les occasions pour causer avec les gens. Mes interlocuteurs ne sont pas des ignares, ils sont plus ou moins au courant de ce qui se passe et manifestent un grand intérêt pour tout ce que je leur dis. 

Mais lorsque je me trouve avec les quelques parents que j’ai ici, ils disent invariablement : « La Chine ne peut pas vaincre, elle est perdue. » J’en suis malade. Encore heureux qu’ils ne fassent pas de la propagande, ce serait désastreux. Les paysans, bien entendu, leur donnent crédit plus qu’à moi ! »

   Les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine constituent la base sociale de la tendance au compromis. Il existe de ces gens dans tous les coins de la Chine.

   Voilà pourquoi l’esprit de compromis peut se manifester au sein du front anti-japonais à n’importe quel moment, et peut-­être jusqu’à la fin de la guerre.

   Maintenant que Siutcheou vient de tomber et que la situation est critique à Wouhan, il ne sera pas mauvais, me semble-­t-­il, de donner a ces partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine une riposte cinglante.

4 Durant les dix mois de la Guerre de Résistance, toutes sortes de vues dénotant de l’impétuosité ont également fait leur apparition.

   Par exemple, dans les premiers jours de la guerre, beaucoup se sont laissés aller à l’optimisme, sans la moindre justification.

   Ils sous­-estimaient le Japon et pensaient même que l’ennemi n’atteindrait pas la province du Chansi.

   Certains sous­-estimaient le rôle stratégique des opérations de partisans dans la Guerre de Résistance et mettaient en doute la formulation suivante : « Pour les opérations militaires considérées dans leur ensemble, la guerre de mouvement est la forme principale, et la guerre de partisans la forme auxiliaire ; dans les situations particulières, la guerre de partisans est la forme principale, et la guerre de mouvement la forme auxiliaire. »

   Ils n’approuvaient pas ce principe stratégique de la VIIIe Armée de Route : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables », point de vue qu’ils trouvaient « mécaniste »

   Des camarades pensaient que le Japon succomberait au premier coup. Ce n’est pas du tout qu’ils estimaient comme très grandes les forces des troupes et des masses populaires organisées dirigées par le Parti communiste : ils savaient au contraire qu’en ce temps-­là ces forces étaient encore très faibles. Ils partaient de l’idée que le Kuomintang participait à la Guerre de Résistance et qu’il disposait, à ce qu’il leur semblait, de grandes forces, capables de briser les envahisseurs japonais, en agissant de concert avec les forces du Parti communiste. Ils ne voyaient qu’un seul aspect des choses, la participation du Kuomintang à la Résistance, et oubliaient l’autre, le caractère réactionnaire et la corruption du Kuomintang. D’où cette appréciation erronée de la situation..

   Lors de la bataille de Chang­hai’, certains disaient : « Il suffit de tenir trois mois et la situation internationale changera, l’Union soviétique entrera en guerre et la guerre sera terminée. »

   Ils envisageaient l’avenir de la Guerre de Résistance en fondant leurs espoirs principalement sur l’aide étrangère.

   Après la victoire à Taieultchouang, certains pensaient que la bataille de Siutcheou devait être « une bataille quasi décisive » et qu’il convenait de réviser la thèse antérieure sur la guerre prolongée.

[Taieultchouang, petite ville située dans la partie méridionale de la province du Chantong. En mars 1938, une bataille se déroula dans la région de Taieultchouang entre l’année chinoise et les troupes d’invasion japonaises. Forte de 400.000 hommes, l’armée chinoise remporta la victoire sur l’armée japonaise qui ne comptait que 70.000 à 80.000 hommes.]

   Ils disaient : « Cette bataille marque l’effort désespéré de l’ennemi », « si nous remportons la victoire dans cette bataille, nous ébranlerons le moral des militaristes japonais et il ne leur restera qu’à attendre le jour du jugement ».

   La victoire de Pinghsingkouan avait déjà tourné la tête à quelques-­uns, puis celle de Taieultchouang a tourné la tête à un bien plus grand nombre encore.

   On a commencé alors à se demander si l’ennemi marcherait sur Wouhan. Beaucoup pensaient : « Ce n’est pas sûr. » D’autres affirmaient : « Certainement pas. »

   Or, de tels doutes peuvent avoir des répercussions sur la réponse à donner à tout un ensemble de questions importantes.

   Par exemple, à la question : Les forces anti-japonaises sont-­elles suffisantes ? on pourrait donner une réponse affirmative.

   Et si l’on pense que nos forces actuelles empêchent déjà l’ennemi de poursuivre son offensive, alors pourquoi les accroître ?

   Ou encore, si on pose la question : Le mot d’ordre de la consolidation et de l’élargissement du front uni national anti-japonais reste-­t-­il toujours juste ? la réponse peut être : Non, puisque le front uni, dans son état actuel, est déjà capable de repousser l’ennemi, pourquoi le consolider et l’élargir ?

   De même, une réponse négative pourrait être donnée à la question : Faut-il renforcer notre activité diplomatique et notre travail de propagande à l’étranger ? ou aux suivantes : Faut-­il s’attacher sérieusement à réformer les systèmes militaire et politique, à développer le mouvement de masse, à mettre en vigueur une éducation au service de la défense nationale, à réprimer les traîtres à la nation et les trotskistes, à développer l’industrie de guerre et à améliorer les conditions de vie du peuple ?

   Il en va de même pour la question : Les mots d’ordre pour la défense de Wouhan, de Canton et du Nord-­Ouest et pour le développement énergique de la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi restent-­ils toujours valables ?

   Il arrive même que, la situation militaire s’améliorant tant soit peu, certains s’apprêtent à accroître les « frictions » entre le Kuomintang et le Parti communiste, détournant ainsi l’attention des problèmes extérieurs pour la diriger vers les problèmes intérieurs.

   Cela se produit presque infailliblement chaque fois qu’une victoire plus ou moins importante a été remportée ou que l’ennemi suspend momentanément son offensive.

   Tout cela peut être qualifié de myopie politique et militaire.

   Sous un air logique, ce sont en réalité des bavardages absolument inconsistants, qui n’ont que l’apparence de la vérité.

   Dans l’intérêt de la conduite victorieuse de la Guerre de Résistance, il serait bon de mettre fin à ce verbiage.

5 La question se pose donc ainsi : La Chine sera­-t­-elle asservie ?

   Réponse : Non, elle ne le sera pas, et la victoire finale lui reviendra. La Chine peut-­elle vaincre rapidement ?

   Réponse : Non, elle ne le pourra pas, la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée.

6 Les principaux arguments sur ces questions ont été exposés dans leurs grandes lignes il y a déjà deux ans.

   Dès le 16 juillet 1936, c’est­-à­-dire cinq mois avant l’Incident de Sian et un an avant l’Incident de Loukeoukiao, dans un entretien avec M. Edgar Snow, journaliste américain, j’ai donné une appréciation générale de la situation touchant la guerre sino-­japonaise et formulé divers principes pour remporter la victoire. Ce que ces quelques passages de l’entretien pourront nous remettre en mémoire :

Question : Dans quelles conditions la Chine pourra-­t-­elle vaincre et détruire les forces du Japon ?

Réponse : Trois conditions sont nécessaires : premièrement, la création d’un front uni anti-japonais en Chine ; deuxièmement, la formation d’un front uni anti-japonais mondial ; troisièmement, l’essor du mouvement révolutionnaire du peuple au Japon et dans les colonies japonaises. Pour le peuple chinois, la plus importante de ces trois conditions est la réalisation de sa grande union.

Question : Combien de temps, à votre avis, cette guerre durera­-t­-elle ?

Réponse : Cela dépendra de la force du front uni anti-japonais en Chine, et de beaucoup d’autres facteurs décisifs en Chine et au Japon. En d’autres termes, à part la force de la Chine, dont le rôle est essentiel, l’aide internationale ainsi que le soutien qu’apporterait une révolution au Japon auront aussi leur importance.

   Si le front uni anti-japonais en Chine se développe puissamment, s’il est organisé efficacement en largeur et en profondeur, si les gouvernements et les peuples qui se rendent compte que l’impérialisme japonais menace leurs propres intérêts apportent à la Chine l’aide nécessaire, si la révolution éclate sous peu au Japon, la guerre sera courte, et rapide la victoire de la Chine. Si ces conditions ne se réalisent pas à bref délai, la guerre se prolongera, mais les résultats seront les mêmes : le Japon sera vaincu, la Chine sera victorieuse ; seulement les sacrifices seront grands, et il y aura une période douloureuse à supporter.

Question : Quelle est votre opinion sur le développement probable de cette guerre du point de vue politique et militaire ?

Réponse : La politique continentale du Japon, est déjà fixée. Ceux qui s’imaginent qu’il suffit, pour arrêter l’avance japonaise, de faire des compromis avec le Japon en sacrifiant de nouveaux territoires et droits souverains de la Chine s’abandonnent à des illusions.

   Nous savons parfaitement que le bassin du bas Yangtsé et nos ports maritimes du Sud sont d’ores et déjà inclus dans la politique continentale de l’impérialisme japonais. De plus, le Japon veut occuper les Philippines, le Siam, le Vietnam, la presqu’île de Malacca et les Indes néerlandaises, afin d’isoler la Chine des autres pays et d’établir sa domination sans partage sur la zone sud-­ouest du Pacifique.

   Telle est la politique maritime du Japon. Dans une telle période, la situation de la Chine sera incontestablement des plus difficiles. Toutefois, le peuple chinois, dans sa majorité, est persuadé que ces difficultés sont surmontables ; seuls les riches des grands ports commerciaux sont défaitistes, car ils craignent pour leurs biens. Beaucoup pensent que la Chine sera dans l’impossibilité de poursuivre la guerre dès que ses côtes auront été soumises au blocus par le Japon. Ce sont là des balivernes.

   Pour réfuter ce point de vue, il nous suffit de rappeler l’histoire de l’Armée rouge. Dans la Guerre de Résistance, la Chine est en bien meilleure posture que ne l’était l’Armée rouge au temps de la guerre civile.

   La Chine est un pays immense ; même si le Japon parvenait à occuper des territoires peuplés de cent, voire de deux cents millions d’habitants, nous serions encore loin de la défaite ; nous aurions encore une force amplement suffisante pour résister aux Japonais qui, durant toute la guerre, auraient à livrer sans répit des combats défensifs sur leurs arrières.

   Le manque d’unité et le développement inégal de l’économie chinoise favorisent plutôt la Résistance. Par exemple, séparer Changhaï du reste de la Chine n’est pas aussi désastreux pour le pays que ne le serait l’isolement de New­-York du reste des Etats­-Unis. Le Japon peut imposer son blocus aux côtes chinoises, mais non à la Chine du Nord­-Ouest, du Sud­-Ouest et de l’Ouest.

   C’est pourquoi, le cœur du problème reste l’union de tout le peuple chinois et la création d’un front anti-japonais de toute la nation. Et cela, il y a longtemps que nous le préconisons.

Question : Si la guerre devait se prolonger et que le Japon ne soit pas complètement battu, le Parti communiste accepterait­-il de négocier la paix avec le Japon et de reconnaître sa domination sur la Chine du Nord-­Est ?

Réponse : Non. Le Parti communiste chinois, comme le peuple chinois tout entier, n’admettra pas que le Japon garde un seul pouce du territoire chinois.

Question : Quelle doit être, à votre avis, la stratégie fondamentale pour cette guerre de libération ?

Réponse : Notre stratégie doit consister à employer nos forces principales sur un front étiré et indéterminé. Pour remporter la victoire, les troupes chinoises opéreront sur de vastes champs de bataille, avec un haut degré de mobilité : avances et replis rapides, concentration et dispersion rapides des forces.

   Ce sera une vaste guerre de mouvement plutôt qu’une guerre de position reposant exclusivement sur des ouvrages défensifs avec de profondes tranchées, des remparts élevés et des lignes de défense en profondeur.

   Cela ne signifie pas l’abandon de tous les points stratégiques importants, qui doivent être défendus par une guerre de position tant qu’il y a avantage à le faire. Toutefois, la stratégie décisive doit être axée sur la guerre de mouvement.

   La guerre de position est nécessaire, mais elle ne jouera qu’un rôle auxiliaire, secondaire.

   Du point de vue géographique, le théâtre d’opérations est tellement vaste qu’il nous sera possible d’y poursuivre avec le plus grand succès la guerre de mouvement. Face à l’action énergique de nos troupes, les forces japonaises devront agir avec prudence.

   Leur machine de guerre est lourde, lente à se mouvoir et est d’une efficacité limitée. Une forte concentration de nos troupes en un secteur étroit du front, pour résister à l’ennemi par la guerre d’usure, nous priverait des avantages de notre situation géographique et de notre organisation économique, et nous commettrions l’erreur de l’Abyssinie.

   Dans la période initiale de la guerre, nous devons éviter toute grande bataille décisive et commencer par saper progressivement le moral et la capacité de combat des troupes ennemies en recourant à la guerre de mouvement.

   Tout en utilisant pour la guerre de mouvement des troupes bien entraînées, nous devons organiser un grand nombre de détachements de partisans parmi les paysans.

   Ce que les unités de volontaires anti-japonais ont accompli dans les trois provinces du Nord-­Est n’est qu’une bien pâle illustration de ce que peuvent les forces potentielles de la paysannerie susceptibles d’être mobilisées pour la Résistance.

   Les paysans chinois disposent de forces potentielles énormes. Organisés et dirigés comme il faut, ils mettront sur les dents les troupes japonaises vingt-quatre heures par jour sans leur laisser un instant de répit.

   Il ne faut pas oublier que la guerre se déroule sur le sol chinois. Cela signifie que l’armée japonaise se trouvera complètement encerclée par le peuple chinois qui lui est hostile ; elle sera obligée de faire venir du Japon tous ses approvisionnements et d’en assurer elle-même la protection ; elle devra utiliser des forces importantes pour protéger ses lignes de communication et être constamment en garde contre des attaques par surprise ; il lui faudra en outre laisser de fortes garnisons en Mandchourie comme au Japon.

   Au cours de la guerre, la Chine pourra faire prisonniers un grand nombre de soldats japonais et s’emparer d’une grande quantité d’armes et de munitions, qui serviront à son propre armement ; en même temps, l’aide étrangère qu’elle recevra lui permettra d’améliorer graduellement l’équipement de ses troupes.

   Elle sera donc en mesure de conduire une guerre de position dans la période finale de la guerre et d’attaquer les positions fortifiées dans les régions occupées par les Japonais.

   Ainsi, minée par une longue résistance de la Chine, l’économie japonaise s’effondrera, et le moral des troupes japonaises sera brisé après d’innombrables et épuisants combats.

   Quant à la Chine, elle verra croître avec vigueur ses forces potentielles de résistance et les masses révolutionnaires affluer au front et se battre pour leur liberté.

   Ces facteurs, joints à d’autres encore, nous permettront de lancer les attaques finales et décisives contre les places fortes et les bases des régions d’occupation japonaise et de chasser hors de Chine l’armée des envahisseurs.

   L’expérience de dix mois de guerre a montré que ces considérations étaient justes ; leur justesse apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.

7 Dès le 25 août 1937, c’est­-à-­dire un peu plus d’un mois après l’Incident de Loukeoukiao, le Comité central du Parti communiste chinois a indiqué clairement dans la Résolution sur la situation actuelle et les tâches du Parti :

   La provocation militaire des envahisseurs japonais à Loukeoukiao et l’occupation de Peiping et de Tientsin ne sont que le début d’une vaste offensive dirigée contre la partie de la Chine située au sud de la Grande Muraille.

   Ils ont déjà commencé à mobiliser leur pays en vue de la guerre.

   Leur propagande affirmant qu’ils n’ont « aucun désir d’aggraver la situation » n’est qu’un rideau de fumée destiné à camoufler leur offensive.

   La résistance à Loukeoukiao, le 7 juillet, marque le début de la Guerre de Résistance contre le Japon menée à l’échelle nationale.

   La situation politique en Chine est entrée désormais dans une étape nouvelle, celle de la Guerre de Résistance.

   L’étape de la préparation à la guerre est déjà dépassée.

   A cette nouvelle étape, notre tâche capitale est de mobiliser toutes les forces pour remporter la victoire.

   Développer la guerre, déjà déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la victoire finale.

   Comme il subsiste de grandes faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de nombreuses difficultés peuvent encore surgir : revers et retraites, scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels.

   C’est pourquoi il faut s’attendre à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que, grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous les obstacles sur sa route.

   L’expérience de dix mois de guerre a également montré que ces considérations étaient justes ; leur justesse apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.

8 Au point de vue de la connaissance, toutes les opinions erronées sur la guerre proviennent de l’idéalisme et du mécanisme. Ceux qui partagent ces opinions abordent la question de la guerre d’une façon subjective et unilatérale.

   Ils se livrent à un bavardage dénué de tout fondement et entièrement subjectiviste, ou bien, considérant seulement un côté des faits, leur état à un moment donné, exagèrent de façon tout aussi subjective ce côté, cette situation temporaire, les prenant pour le tout.

   Cependant, il y a erreurs et erreurs.

   Les unes, qui ont un caractère fondamental et donc permanent, sont difficiles à redresser ; les autres, qui ont un caractère accidentel, donc temporaire, sont faciles à corriger.

   Mais, les unes et les autres étant des erreurs, il est indispensable de les corriger toutes.

   C’est pourquoi il n’est possible d’arriver à des conclusions justes qu’en luttant contre les tendances idéalistes et mécanistes dans la question de la guerre et en examinant cette question objectivement et sous tous ses aspects.

Notre argumentaire sur la question

9 Pourquoi la Guerre de Résistance sera­-t-­elle une guerre prolongée ? Pourquoi la victoire finale appartiendra-­t­-elle à la Chine ? Quels arguments peut-­on présenter à l’appui de ces affirmations ?

   La guerre sino-­japonaise n’est pas une guerre quelconque, c’est une guerre à mort entre la Chine semi-­coloniale et semi-­féodale et le Japon impérialiste, et elle se déroule dans les années 30 du XXe siècle. Toute notre argumentation est bâtie là­-dessus.

   Considérée séparément, chacune des deux parties belligérantes possède tout un ensemble de particularités qui sont contraires à celles de l’autre.

10 Le Japon : Premièrement, c’est une grande puissance impérialiste ; ses forces armées, sa puissance économique et la puissance de son appareil d’Etat le placent au premier rang en Orient ; c’est même l’une des cinq ou six plus grandes puissances impérialistes du monde.

   Tels sont les facteurs de base de la guerre d’agression que fait le Japon.

   Le caractère inéluctable de cette guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une prompte victoire s’expliquent précisément par le fait que le Japon est un pays impérialiste qui dispose d’une puissante force militaire, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat.

   Mais, deuxièmement, la nature impérialiste de l’économie sociale du Japon détermine le caractère impérialiste, c’est-­à-­dire rétrograde et barbare, de la guerre qu’il poursuit.

   Dans les années 30 du XXe siècle, les contradictions internes et externes de l’impérialisme japonais ne l’ont pas seulement contraint à se lancer dans une guerre d’aventure d’une ampleur sans précédent, mais l’ont aussi placé au seuil d’une faillite définitive.

   Du point de vue de son développement social, le Japon n’est plus un pays en voie d’essor ; la guerre n’apportera pas aux classes dirigeantes du Japon la prospérité qu’elles en attendent, elle aboutira au résultat exactement inverse : la ruine de l’impérialisme japonais.

   C’est ce que nous entendons par le caractère rétrograde de la guerre que poursuit le Japon.

   C’est cela qui, joint au caractère militaire et féodal de l’impérialisme japonais, détermine la barbarie particulière avec laquelle le Japon poursuit cette guerre.

   L’ensemble de ces facteurs poussera à l’extrême l’antagonisme entre les classes au Japon même, l’antagonisme entre les nations japonaise et chinoise, et l’antagonisme entre le Japon et la plupart des pays du monde.

   Le caractère rétrograde et barbare de la guerre que poursuit le Japon est la raison principale de sa défaite inévitable.

   Mais ce n’est pas tout. Troisièmement, bien que le Japon fasse la guerre en s’appuyant sur la puissance de sa force militaire, de son économie et de son appareil d’Etat, sa base n’en est pas moins insuffisante en elle-même.

   Du point de vue militaire, économique et de l’appareil d’Etat, la puissance du Japon est grande, mais quantitativement insuffisante.

   Le Japon est un pays relativement petit ; il manque de ressources humaines, militaires, financières et matérielles ; il ne pourra pas supporter une guerre de longue durée.

   Ses gouvernants espèrent surmonter ces difficultés grâce à la guerre, mais là aussi ils aboutiront au résultat exactement inverse ; en d’autres termes, ils ont déclenché une guerre pour résoudre ces difficultés, mais la guerre finira par les augmenter encore et par engloutir même ce que le Japon possédait au début.

   Enfin, quatrièmement, bien que le Japon puisse recevoir une aide extérieure des pays fascistes, les forces internationales à l’opposition desquelles il ne manquera pas de se heurter l’emporteront sur celles qui lui apportent de l’aide.

   Ces forces internationales grandiront graduellement et, finalement, elles neutraliseront l’aide des pays fascistes et feront pression sur le Japon lui-même.

   Ici entre en jeu une loi découlant de la nature même de la guerre poursuivie par le Japon : une cause injuste trouve peu de soutien.

   En résumé, la supériorité du Japon consiste en sa puissance de guerre et ses points faibles résident dans le caractère rétrograde et barbare de la guerre qu’il poursuit, dans l’insuffisance de ses ressources en forces humaines et matérielles et dans son état d’isolement international.

   Telles sont les caractéristiques du Japon.

11 La Chine : Premièrement, elle est un pays semi­-colonial et semi-féodal. La Guerre de l’Opium, la Guerre des Taiping, le Mouvement réformiste de 1898, la Révolution de 1911, l’Expédition du Nord, bref, tous les mouvements révolutionnaires ou réformistes qui s’étaient donné pour but d’arracher la Chine à son état de pays semi-colonial et semi­-féodal ont essuyé de graves échecs, et c’est pourquoi la Chine reste un pays semi­-colonial et semi­-féodal.

   Nous sommes toujours un pays faible : notre force militaire, la puissance de notre économie et de notre appareil d’Etat sont manifestement inférieures à celles de l’ennemi, ce qui détermine également le caractère inéluctable de la guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une prompte victoire.

   Deuxièmement, cependant, le mouvement de libération qui n’a cessé de se développer en Chine tout au long des cent dernières années se distingue de celui de toute autre période historique antérieure.

   Si les diverses forces intérieures et extérieures qui s’opposaient à ce mouvement lui ont infligé de sérieux échecs, elles ont trempé en même temps le peuple chinois.

   Aujourd’hui, notre pays retarde sur le Japon tant du point de vue militaire, économique et culturel que du point de vue de l’appareil d’Etat, mais il y a chez nous des forces plus progressistes qu’à n’importe quelle période de notre histoire.

   Le Parti communiste chinois et l’armée qu’il dirige représentent ces forces de progrès, et c’est sur la base de ce progrès que la guerre de libération, poursuivie actuellement par la Chine, pourra prendre le caractère d’une guerre prolongée et aboutir à la victoire finale.

   Par contraste avec l’impérialisme japonais qui est sur son déclin, la Chine est comme le soleil qui se lève.

   La guerre que poursuit la Chine est une guerre pour le progrès, et par suite une guerre juste, qui, en tant que telle, peut rallier tout le pays, susciter la sympathie du peuple du pays ennemi, et faire bénéficier la Chine du soutien de la majorité des pays du monde.

   Troisièmement, la Chine est un grand pays, avec un vaste territoire, d’abondantes ressources matérielles, une population nombreuse et une grande armée.

   Par conséquent, elle est à même de soutenir une guerre de longue durée et, là encore, elle est dans une situation contraire à celle du Japon.

   Enfin, quatrièmement, le large soutien international que vaut à la Chine le caractère progressiste et juste de la guerre qu’elle poursuit est, lui aussi, l’exact contraire du maigre soutien donné à la cause injuste du Japon.

   En résumé, le point vulnérable de la Chine réside dans sa faible puissance de guerre, et sa supériorité, dans le caractère progressiste et juste de la guerre qu’elle poursuit, dans sa qualité de grand pays et dans le large soutien international dont elle bénéficie.

   Telles sont les particularités de la Chine.

12 Ainsi, le Japon dispose d’une puissante force militaire, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat, mais la guerre qu’il poursuit est de caractère rétrograde et barbare, les ressources humaines et matérielles qu’il possède sont insuffisantes et la situation internationale lui est défavorable.

   Pour la Chine, c’est tout le contraire ; sa force militaire, son économie et son appareil d’Etat sont relativement faibles, mais elle connaît une époque de progrès et la guerre qu’elle poursuit est une guerre progressiste et juste.

   En outre, elle est un grand pays, ce qui lui donne la possibilité de soutenir une longue guerre. De plus, la Chine recevra de l’aide de la plupart des pays du monde.

   Telles sont les particularités fondamentales, réciproquement contraires, de la Chine et du Japon en tant que parties belligérantes.

   Ces particularités ont déterminé et déterminent encore toute l’orientation politique et toute la stratégie et la tactique militaire des deux parties ; elles ont déterminé et déterminent encore le caractère prolongé de la guerre et elles annoncent la victoire définitive de la Chine et non du Japon.

   La guerre est une compétition entre ces particularités.

   Elles changeront au cours de la guerre, chacune suivant sa propre nature ; et tout ce qui se produira découlera de ces particularités et de leurs changements.

   Ces particularités existent réellement, elles n’ont pas été inventées pour duper les gens.

   Elles constituent tous les éléments essentiels de la guerre, elles ne représentent pas des aspects séparés et isolés.

   Elles sont sous­-jacentes à tous les problèmes, grands et petits, qui se posent aux deux parties à toutes les étapes de la guerre, elles ne sont aucunement quelque chose d’accessoire.

   Si, dans l’examen de la guerre sino-­japonaise, on perd de vue ces particularités, on tombe inévitablement dans l’erreur, et même si certaines opinions paraissent justes au début et prennent crédit un certain temps, le développement ultérieur de la guerre n’en montrera pas moins qu’elles sont fausses.

   En nous fondant sur ces particularités, nous allons maintenant passer à l’explication des questions que nous avons à traiter.

Réfutation de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine

13 Ne considérant qu’un seul facteur, le fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine disaient déjà autrefois : « Si nous menons une guerre de résistance, c’est l’asservissement. »

   Maintenant, ils affirment :  » Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable. « 

  Si nous nous contentons de répondre à cela que l’ennemi, tout en étant fort, est un petit pays, et que la Chine, tout en étant faible, constitue un grand pays, nous ne convaincrons pas les partisans de cette théorie.

  Ils peuvent trouver dans l’histoire les exemples du renversement des Song par les Yuan ou des Ming par les Tsing, et prouver ainsi que l’assujettissement d’un pays grand mais faible par un pays petit mais fort, et, qui plus est, d’un pays avancé par un pays retardataire, est possible.

  Si nous leur disons que tout cela s’est produit dans un passé lointain et ne peut servir de preuve dans la situation actuelle, ils peuvent aussi s’appuyer sur le cas de l’assujettissement de l’Inde par l’Angleterre pour démontrer qu’un pays capitaliste petit, mais fort, peut asservir un pays grand, mais faible et retardataire.

  C’est pourquoi nous devons donner d’autres raisons encore afin qu’il soit possible de contraindre les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine à se taire et à reconnaître leur erreur, et de fournir en même temps à tous ceux qui poursuivent un travail de propagande des arguments suffisants pour convaincre ceux dont les idées restent confuses ou ceux qui sont encore indécis et pour renforcer leur foi dans notre victoire.

14 Quels sont donc les arguments que nous devons apporter ? Ils résident dans les particularités de notre époque, soit, concrètement, dans le caractère rétrograde du Japon et le faible appui dont il jouit, dans le caractère progressiste de la Chine et le large soutien dont elle bénéficie.

15 Cette guerre n’est pas une guerre quelconque, c’est une guerre entre la Chine et le Japon dans les années 30 du XXe siècle.

  Si l’on considère notre ennemi, il est avant tout un impérialisme moribond, un impérialisme sur son déclin, qui non seulement ne ressemble pas à l’Angleterre du temps de l’assujettissement de l’Inde, alors que le capitalisme britannique était encore ascendant, mais diffère aussi de ce qu’était le Japon il y a vingt ans, dans la période de la Première guerre mondiale.

  La guerre actuelle a éclaté à la veille de la grande débâcle de l’impérialisme mondial et, en premier lieu, des Etats fascistes.

  C’est justement pour cela que l’ennemi s’est lancé dans une guerre d’aventure, qui n’est au fond qu’une guerre désespérée.

  Pour la même raison, la guerre aura pour résultat non pas la ruine de la Chine, mais celle de la clique dirigeante de l’impérialisme japonais.

  C’est là une issue inévitable, à laquelle il lui est impossible d’échapper.

  En outre, le Japon a entrepris cette guerre à un moment où d’autres pays du monde sont déjà entraînés dans la guerre ou vont l’être, alors que tous ensemble nous combattons déjà l’agression barbare ou bien nous nous préparons à la combattre.

  Et les intérêts de la Chine se confondent avec les intérêts de la majorité des pays et des peuples du monde.

  Telles sont les raisons profondes de l’opposition que le Japon suscite et suscitera de plus en plus contre lui dans ces pays et parmi ces peuples.

16 Quelle est la situation de la Chine ?

  La Chine d’aujourd’hui ne peut déjà plus être comparée à celle d’autrefois, à une période quelconque de l’histoire.

  Le caractère semi­-colonial et semi-­féodal de la Chine la fait considérer comme un pays faible.

  Mais, en même temps, la Chine traverse une époque de progrès dans son développement historique, et c’est là notre principal argument pour affirmer qu’elle peut vaincre le Japon.

  Lorsque nous disons que la Guerre de Résistance contre le Japon est une guerre progressiste, nous ne prenons pas ce mot dans son sens courant ou général, nous n’entendons pas qu’elle est progressiste comme l’était la résistance de l’Abyssinie à l’agression italienne, ou comme l’était la Guerre des Taiping ou la Révolution de 1911, nous voulons parler du caractère progressiste de la Chine d’aujourd’hui. En quoi la Chine d’aujourd’hui est­-elle progressiste ?

  En ce que, déjà, elle n’est plus un Etat féodal dans toute la force du terme.

  Le capitalisme y est apparu, ainsi que la bourgeoisie et le prolétariat ; de larges masses du peuple se sont éveillées ou s’éveillent à une vie consciente ; la Chine a un Parti communiste, elle a une armée progressiste au point de vue politique, l’Armée rouge chinoise dirigée par le Parti communiste ; et elle a accumulé les traditions et l’expérience de dizaines d’années de révolutions et, en particulier, l’expérience des dix­ sept années écoulées depuis la fondation du Parti communiste chinois.

  C’est cette expérience qui a éduqué le peuple chinois et les partis politiques de Chine, c’est elle qui forme aujourd’hui la base même de l’union du peuple dans la résistance contre le Japon.

  S’il est vrai que la victoire de 1917 aurait été impossible en Russie sans l’expérience de 1905, nous pouvons dire que si nous n’avions pas l’expérience des dix­ sept dernières années, la victoire future dans la Guerre de Résistance serait également impossible.

  Telles sont nos conditions intérieures.

  Les conditions internationales font que la Chine ne se trouve plus isolée dans la guerre, et c’est là encore une situation sans précédent dans l’histoire.

  Dans le passé, la Chine aussi bien que l’Inde ont toujours fait la guerre dans l’isolement.

  C’est de nos jours seulement qu’un mouvement populaire aussi large et aussi profond, né ou sur le point de naître dans le monde entier, apporte son aide à la Chine.

  La Révolution de 1917 en Russie a reçu, elle aussi, une aide internationale, et les ouvriers et les paysans russes ont triomphé, mais cette aide n’était pas aussi étendue et elle n’avait pas un caractère aussi profond que celle dont bénéficie la Chine de nos jours.

  Le mouvement populaire dans le monde se développe aujourd’hui avec une ampleur et une profondeur sans précédent.

  Un facteur encore plus important de la politique internationale contemporaine est l’existence de l’Union soviétique, pays qui, sans aucun doute, apportera de l’aide à la Chine avec un immense enthousiasme ; c’est là un fait qui n’existait pas il y a vingt ans. L’ensemble de ces facteurs a créé et continue de créer d’importantes conditions, indispensables pour la victoire finale de la Chine.

  Une aide directe et étendue n’existe pas pour le moment et n’interviendra que plus tard, mais la Chine, qui est dans une ère de progrès et qui est un grand pays, pourra soutenir une longue guerre et, par là même, promouvoir l’aide internationale et avoir le temps de la recevoir.

17 Si l’on ajoute à ce qui vient d’être dit que le Japon est un petit pays ayant un territoire peu étendu, des ressources matérielles limitées, une population et une armée peu nombreuses, et que la Chine est un grand pays au vaste territoire, aux ressources matérielles abondantes, ayant une population nombreuse et une grande armée, on verra dans le rapport des forces entre le Japon et la Chine, à côté du fait que le Japon est un pays fort et la Chine un pays faible, un autre aspect : sur la voie de son déclin et faiblement appuyé, un petit pays s’oppose à un grand pays engagé dans une ère de progrès et bénéficiant d’un large soutien.

  C’est la raison pour laquelle la Chine ne sera jamais asservie.

  Le premier aspect du rapport des forces : un pays faible s’opposant à un pays fort fait que le Japon pourra se déchaîner en Chine pendant un certain temps et jusqu’à un certain point, que la Chine aura nécessairement à passer par une période d’épreuves et que la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée et non pas une guerre de décision rapide.

  Cependant, le deuxième aspect du rapport des forces, à savoir qu’un petit pays sur son déclin, faiblement appuyé, s’oppose à un grand pays engagé dans une ère de progrès et bénéficiant d’un large soutien, fait à son tour que le Japon ne pourra pas se déchaîner indéfiniment en Chine et qu’il subira nécessairement, en fin de compte, la défaite, que la Chine ne sera jamais asservie et qu’elle est sûre de remporter la victoire finale.

18 Pourquoi l’Abyssinie a-­t-­elle été asservie ?

  Premièrement, elle n’était pas seulement faible, elle était aussi un petit pays.

  Deuxièmement, elle n’était pas aussi progressiste que la Chine : c’était un pays passant de l’antique régime esclavagiste au régime du servage, un pays où il n’y avait ni capitalisme ni parti politique bourgeois ni, à plus forte raison, de parti communiste, et qui n’avait pas une armée comme la Chine en possède, ni, à plus forte raison, comme notre VIIIe Armée de Route.

  Troisièmement, elle ne put tenir le temps nécessaire pour recevoir une aide internationale et elle dut faire la guerre toute seule.

  Quatrièmement, et c’est là le principal, des erreurs furent commises dans la conduite de la guerre contre les envahisseurs italiens.

  C’est pour toutes ces raisons que l’Abyssinie fut asservie. Toutefois, une guerre de partisans assez étendue s’y maintient et si les Abyssins la poursuivent avec ténacité, ils pourront reconquérir l’indépendance de leur patrie à la faveur d’un changement dans la situation internationale.

19 Si maintenant les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine utilisent les exemples d’échec du mouvement de libération dans la Chine moderne pour démontrer que « si nous menons une guerre de résistance, c’est l’asservissement » et que « poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable », nous pouvons, ici encore, leur répondre que les temps ont changé.

  La situation en Chine aussi bien que la situation au Japon et la situation internationale sont aujourd’hui différentes.

  Le Japon est devenu plus fort qu’auparavant, tandis que la Chine demeure toujours un pays semi­-colonial et semi-­féodal assez faible.

  C’est là une grave circonstance.

  Les dirigeants du Japon peuvent encore maintenir leur peuple sous leur joug et profiter des contradictions internationales pour envahir la Chine.

  Tout cela est vrai.

  Mais au cours d’une longue guerre, des changements en sens inverse se produiront inévitablement.

  Actuellement, ils ne sont pas encore accomplis, mais ils le seront dans l’avenir.

  Voilà ce dont les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine ne veulent justement pas tenir compte.

  Et en Chine ?

  Nous avons déjà des hommes nouveaux, un parti nouveau, une armée nouvelle et une politique nouvelle, une politique de résistance contre le Japon, notre situation est fort différente de celle d’il y a dix ans et, qui plus est, elle évoluera nécessairement vers de nouveaux progrès.

  Certes, l’histoire du mouvement de libération en Chine a connu de nombreux insuccès, qui ont empêché la Chine d’accumuler des forces plus importantes pour la présente Guerre de Résistance ; c’est là une leçon historique particulièrement amère dont il faut bien se pénétrer pour ne plus permettre, à l’avenir, la destruction par les Chinois eux-mêmes de leurs forces révolutionnaires.

  Cependant, si nous faisons des efforts énergiques en nous appuyant sur ce qui existe déjà, nous pouvons assurément progresser pas à pas et accroître nos forces pour résister aux envahisseurs japonais. Un grand front uni national anti-japonais, voilà l’objectif vers lequel doivent tendre tous ces efforts.

  En ce qui concerne le soutien international, bien qu’une aide directe et massive ne soit pas encore à portée, elle se prépare, la situation internationale étant déjà foncièrement différente de ce qu’elle était auparavant.

  Les innombrables insuccès du mouvement de libération dans la Chine moderne s’expliquent aussi bien par des causes objectives que par des causes subjectives, mais la situation actuelle est entièrement différente sous ces deux rapports.

  Bien qu’il y ait aujourd’hui de nombreuses conditions défavorables, qui rendent la Guerre de Résistance difficile, par exemple le fait que le Japon est un Etat fort et la Chine un Etat faible, que l’ennemi commence seulement à éprouver des difficultés et que nous n’avons pas encore atteint un degré de développement suffisant, il n’en existe pas moins un très grand nombre de conditions favorables à notre victoire sur l’ennemi.

  Il suffit donc que nous fassions des efforts, et nous pourrons surmonter les difficultés et remporter la victoire.

  Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de la Chine, de période qui présentât des conditions aussi favorables pour nous que la période actuelle.

  Voilà pourquoi la Guerre de Résistance contre le Japon ne se terminera pas, comme les mouvements de libération d’autrefois, un échec.

Le compromis ou la résistance ? Le pourrissement ou le progrès ?

20 Nous avons montré que la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine est dénuée de tout fondement.

   Cependant, beaucoup de Chinois, qui ne sont nullement des partisans de cette théorie mais de bons patriotes, sont fort inquiets de la situation actuelle : d’une part ils craignent qu’on ne fasse un compromis avec le Japon et d’autre part ils ont des doutes sur la possibilité d’un progrès politique en Chine.

   Ces deux questions, qui sont sujets de préoccupations, sont débattues dans de larges milieux, mais on ne sait sur quoi se fonder pour les résoudre. Examinons ­les donc maintenant.

21 Nous avons dit plus haut que l’esprit de compromis a ses racines sociales. Aussi longtemps que celles-­ci existeront, cet esprit se manifestera inévitablement.

   Mais les tentatives de compromis ne pourront réussir.

   Il faut en chercher la preuve, une fois de plus, dans la situation du Japon, dans celle de la Chine et dans la situation internationale. Voyons d’abord le Japon.

   Dès le début de la Guerre de Résistance, nous avons prévu que le moment viendrait où il se créerait une atmosphère de compromis, c’est-à­-dire qu’après l’occupation de la Chine du Nord et des provinces du Kiangsou et du Tchékiang, l’ennemi pourrait essayer d’amener la Chine à capituler.

   Cette tentative eut effectivement lieu par la suite. Toutefois, ce moment critique fut rapidement franchi, en partie parce que l’ennemi s’est mis à appliquer partout une politique barbare et s’est livré ouvertement au pillage.

   En cas de capitulation de la Chine, le sort d’esclaves coloniaux attendait tous les Chinois.

   Cette politique de rapine de l’ennemi, tendant à l’asservissement de la Chine, a deux aspects, matériel et moral, et elle s’applique à tous les Chinois sans exception, aussi bien aux masses populaires qu’aux couches supérieures de la société, à ces dernières évidemment sous une forme un peu plus modérée, mais il n’y a qu’une différence de degré, et non de principe.

   D’une façon générale, l’ennemi reprend en Chine intérieure les procédés mêmes qu’il a appliqués dans les trois provinces du Nord­-Est.

   Du point de vue matériel, cela consiste à enlever aux simples gens nourriture et vêtements, vouant les larges masses de la population à la faim et au froid.

   L’ennemi s’empare aussi des moyens de production, détruisant et asservissant ainsi l’industrie nationale chinoise.

   Du point de vue moral, sa politique est de détruire la conscience nationale du peuple chinois.

   Sous le drapeau du « Soleil levant », le Chinois ne peut être qu’un serviteur soumis, qu’une bête de somme, et on ne lui permet pas la moindre manifestation d’esprit national.

   Cette politique barbare, l’ennemi va la porter plus profondément encore au cœur de notre pays. Insatiable, il ne veut pas arrêter la guerre.

   La politique proclamée par le cabinet japonais le 16 janvier I931 est toujours appliquée résolument, et il est impossible qu’il en soit autrement.

   Toutes les couches de la population chinoise en sont indignées.

   Cette indignation vient du caractère rétrograde et barbare de la guerre poursuivie par l’ennemi, et, comme « personne n’échappe au destin », on en vient à opposer une résistance implacable aux envahisseurs japonais.

   Il faut s’attendre qu’à un moment donné l’ennemi essaiera de nouveau d’amener la Chine à la capitulation, et que certains partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine recommenceront à bouger, et ne manqueront pas d’entrer en collusion avec certains éléments à l’étranger (il s’en trouvera en Angleterre, aux Etats-­Unis et en France, surtout dans les hautes sphères de l’Angleterre) pour accomplir leur mauvais coup.

   Mais la situation générale est telle qu’elle ne permettra pas la capitulation.

   L’opiniâtreté et la barbarie exceptionnelle avec lesquelles le Japon poursuit la guerre sont l’une des raisons qui rendent la capitulation impossible.

22 Voyons ensuite la Chine.

   Il existe trois facteurs qui conditionnent la poursuite résolue de la Guerre de Résistance par la Chine.

   Le premier de ces facteurs, c’est le Parti communiste, force sur laquelle on peut compter et qui dirige le peuple dans sa lutte contre l’envahisseur japonais.

   Le deuxième facteur, c’est le Kuomintang. Comme il dépend de l’Angleterre et des États-Unis, il ne capitulera pas tant que ces pays ne lui diront pas de le faire.

   Le troisième facteur, ce sont les autres partis politiques qui, dans leur grande majorité, sont contre l’esprit de compromis et soutiennent la Guerre de Résistance.

Dans les conditions résultant de la conjonction de ces trois facteurs, quiconque recherchera l’entente avec l’ennemi se retrouvera aux côtés des traîtres à la nation et tout le monde aura le droit de le châtier.

   Tous ceux qui ne veulent pas être des traîtres à la nation n’ont d’autre choix que de s’unir et de poursuivre la Guerre de Résistance jusqu’au bout ; le compromis sera donc difficile à réaliser.

23 Considérons enfin la situation internationale.

   A l’exception des alliés du Japon et de certains éléments dans les hautes sphères d’autres pays capitalistes, le monde entier est favorable à la résistance de la Chine et non à un compromis de sa part.

   Cette situation renforce notre espoir.

   A l’heure actuelle, notre peuple entier espère que les forces internationales accroîtront peu à peu leur aide à la Chine.

   Et cet espoir n’est pas vain. L’existence de l’Union soviétique encourage particulièrement la Chine dans la Guerre de Résistance.

   Aujourd’hui plus forte que jamais, l’Union soviétique, Etat socialiste, a toujours été aux côtés de la Chine, dans les bons comme dans les mauvais jours.

   Contrairement à tous les Etats capitalistes, où les couches supérieures de la société aspirent uniquement au profit, l’Union soviétique considère qu’il est de son devoir d’aider toutes les nations faibles et de soutenir toutes les guerres révolutionnaires. Que la Chine, en poursuivant la guerre, ne se trouve pas isolée, résulte non seulement de l’aide internationale en général, mais de l’aide de l’Union soviétique en particulier.

   La proximité géographique de la Chine et de l’Union soviétique rend encore plus critique la situation du Japon et favorise la Chine dans sa Guerre de Résistance.

   Rendue plus difficile par la proximité géographique du Japon, la résistance de la Chine trouve au contraire une condition favorable dans la proximité géographique de l’Union soviétique.

24 De là on peut tirer la conclusion suivante : Le danger de compromis existe, mais il peut être conjuré, car la politique de l’ennemi, même si elle se modifie jusqu’à un certain point, ne peut changer radicalement.

   L’esprit de compromis a des racines sociales en Chine, mais les adversaires du compromis forment l’immense majorité.

   Parmi les forces internationales aussi, certains éléments sont en faveur du compromis, mais les forces principales sont pour la Résistance. L’action commune de ces trois facteurs crée la possibilité d’écarter le danger de compromis et de poursuivre fermement jusqu’au bout la Guerre de Résistance.

25 Répondons maintenant à la seconde question. L’amélioration de la situation politique du pays est inséparable de la poursuite résolue de la Guerre de Résistance.

   Plus la situation politique s’améliore, plus il sera possible de poursuivre la guerre résolument.

   Réciproquement, plus la guerre sera poursuivie résolument et plus s’améliorera la situation politique. Toutefois, le rôle essentiel revient ici à la poursuite résolue de la guerre.

   Il y a bien des facteurs indésirables, gros de conséquences, dans différents domaines de l’activité du Kuomintang, facteurs qui se sont accumulés durant de longues années et qui préoccupent et inquiètent beaucoup les milieux patriotiques les plus larges.

   Mais, comme l’a déjà montré l’expérience de la Guerre de Résistance, le peuple chinois a fait en dix mois autant de progrès qu’il en faisait autrefois en de nombreuses années, aussi n’y a-­t­-il pas de raison d’être pessimiste.

   Bien que de longues années de corruption, en accumulant leurs effets, aient fortement ralenti le rythme de développement des forces populaires qui prennent part à la Guerre de Résistance, qu’elles nous aient enlevé la possibilité de remporter certains succès militaires et qu’elles aient entraîné des pertes inutiles dans la guerre, la situation générale, en Chine comme au Japon et dans le monde entier, est telle que le peuple chinois ne peut piétiner sur place.

   Le progrès sera lent, parce que des phénomènes de décomposition l’entravent. Le progrès et la lenteur de ce progrès sont deux traits caractéristiques de la situation actuelle, et le second de ces traits caractéristiques ne répond manifestement pas aux exigences pressantes de la guerre, c’est ce qui inquiète beaucoup les patriotes chinois.

   Mais nous poursuivons une guerre révolutionnaire, et une guerre révolutionnaire agit comme une sorte de contrepoison, non seulement sur l’ennemi, dont elle brisera la ruée forcenée, mais aussi sur nos propres rangs, qu’elle débarrassera de tout ce qu’ils ont de malsain.

   Toute guerre juste, révolutionnaire, est une grande force, elle peut transformer bien des choses ou ouvrir la voie à leur transformation. La guerre sino-­japonaise transformera et la Chine et le Japon.

   Il suffit que la Chine poursuive fermement la Guerre de Résistance et applique fermement une politique de front uni pour que l’ancien Japon se transforme immanquablement en un Japon nouveau, et l’ancienne Chine en une Chine nouvelle.

   Aussi bien en Chine qu’au Japon, les gens et les choses se transformeront, au cours de la guerre et après la guerre.

   Nous avons raison de lier la Guerre de Résistance aux tâches de la construction nationale.

   Lorsque nous disons que le Japon peut aussi être transformé, nous entendons que la guerre d’agression poursuivie par les dirigeants du Japon leur apportera la défaite et peut susciter une révolution populaire au Japon.

   Le jour de la victoire de la révolution populaire japonaise sera le jour de la transformation du Japon. Cela est étroitement lié à la Guerre de Résistance que poursuit la Chine, et il ne faudra pas perdre de vue cette perspective.

La théorie de l’asservissement inéluctable de la chine est erronée, mais la théorie de la victoire rapide ne l’est pas moins

26 Ainsi, nous avons soumis à une étude comparative les particularités fondamentales et réciproquement contraires de notre pays et de l’ennemi, lesquelles consistent en ce que le Japon est un pays fort, mais petit, qui est sur son déclin et ne jouit que d’un maigre appui international, et que la Chine est un pays faible, mais grand, engagé dans une époque de progrès et bénéficiant d’un large soutien international.

   Nous avons réfuté la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, et nous avons expliqué pourquoi le compromis est peu probable et pourquoi le progrès politique est possible en Chine.

   Les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine donnent une grande importance à l’une des contradictions, à savoir que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, ils la grossissent jusqu’à en faire la base de leur argumentation pour toute la question, et ils négligent les autres contradictions.

   En ne parlant que de cette contradiction, ils manifestent le caractère unilatéral de leur pensée et, en donnant à ce seul aspect de la question les dimensions du tout, ils font preuve de subjectivisme.

   A considérer la question dans son ensemble, leur théorie est donc sans fondement, elle est erronée.

   Quant à ceux qui ne sont ni des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, ni des pessimistes invétérés, mais qui s’abandonnent pour un certain temps au pessimisme simplement parce qu’ils se sont laissé troubler par la disparité des forces entre l’ennemi et nous à un moment donné et sous certains aspects ou par les signes de corruption à l’intérieur du pays, nous devons leur montrer que leurs idées reposent aussi sur une base unilatérale et subjectiviste.

   Il est d’ailleurs assez facile de corriger leurs erreurs ; il suffit de les leur montrer pour qu’ils comprennent, car ils sont patriotes et leurs erreurs ne sont que passagères.

27 Mais les partisans de la théorie de la victoire rapide sont également dans l’erreur.

   Ou bien ils oublient complètement que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, ne retenant que les autres contradictions ; ou bien ils exagèrent les avantages de la Chine au point de donner de notre pays une image altérée ; ou bien encore ils prennent le rapport des forces à un moment donné et en un lieu donné pour l’expression de la situation en général ; « une feuille devant les yeux leur dérobe le mont Taichan », et ils se croient dans le vrai.

   En somme, ils n’ont pas le courage de reconnaître que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles.

   Ils se dissimulent fréquemment ce fait et, par là, ils estompent l’un des aspects de la vérité.

   Ils n’ont pas non plus le courage de reconnaître le caractère limité de nos avantages, et, par là, ils estompent un autre aspect de la vérité.

   D’où leurs erreurs, grandes et petites. Ici encore, c’est le subjectivisme et le point de vue unilatéral qui sont en cause.

   Ces amis sont pleins de bonnes intentions, eux aussi sont des patriotes ; mais « quelque généreuses que soient les aspirations de ces messieurs », leur point de vue est erroné, et agir d’après leur recette conduirait à une impasse.

   Car, avec une appréciation inexacte de la réalité, les actions entreprises ne sauraient atteindre les buts fixés ; si l’on voulait forcer les choses, l’armée serait détruite, la patrie asservie, et le résultat serait le même qu’avec les défaitistes.

   C’est pourquoi la théorie de la victoire rapide est à rejeter, elle aussi.

28 Nions-­nous le danger d’asservissement qui menace la Chine ? Non, nous ne le nions pas.

   Nous reconnaissons que la Chine se trouve devant deux avenirs possibles, la libération ou l’asservissement, et qu’un conflit violent les oppose.

   Notre tâche, c’est de libérer la Chine, d’empêcher son asservissement.

   Ce qui rend la libération possible, c’est principalement le progrès de la Chine, mais ce sont aussi les difficultés de l’ennemi et l’aide internationale.

   A la différence des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, nous abordons la question objectivement et sous tous ses aspects, et nous reconnaissons qu’il existe en même temps deux possibilités : l’asservissement de la Chine et sa libération.

   Nous soulignons que la possibilité de sa libération prédomine, nous en indiquons les conditions indispensables et nous appliquons tous nos efforts à réaliser ces conditions.

   Quant aux partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, ils abordent la question subjectivement et unilatéralement ; ils ne reconnaissent qu’une seule possibilité, l’asservissement de la Chine, et nient la possibilité de sa libération.

   Inutile de dire qu’ils ne peuvent pas indiquer les conditions nécessaires à la libération et qu’ils n’appliqueront pas leurs efforts à les réaliser.

   Nous reconnaissons également l’existence de tendances au compromis et de phénomènes de corruption, mais nous voyons aussi d’autres tendances et phénomènes ; nous montrons que ce sont les seconds qui l’emporteront peu à peu dans le violent conflit qui les oppose aux premiers ; en outre, nous indiquons les conditions pour leur réalisation et nous nous efforçons de surmonter les tendances au compromis et de supprimer les phénomènes de corruption.

   Voilà pourquoi, contrairement aux pessimistes, nous ne nous laissons pas abattre.

29 Ce n’est pas que nous ne souhaitions une victoire rapide ; qui ne voudrait pas que les « diables nippons » fussent chassés de notre pays dès demain matin ?

   Mais nous disons que, faute de certaines conditions bien définies, la victoire rapide n’existe qu’en pensée et non dans la réalité, qu’elle n’est qu’une pure illusion, le produit d’un faux raisonnement.

   C’est pourquoi, en appréciant objectivement et sous tous ses aspects la situation chez nous et chez l’ennemi, nous indiquons la stratégie de la guerre prolongée comme la seule voie nous permettant de remporter la victoire finale et nous repoussons comme dénuée de tout fondement la théorie de la victoire rapide.

   Nous soutenons que tous nos efforts doivent tendre à nous assurer les conditions indispensables de la victoire finale.

   Nous assurerons d’autant mieux notre victoire, nous la remporterons d’autant plus vite que nous aurons su réaliser ces conditions plus largement et plus tôt.

   Nous estimons que c’est là le seul moyen de réduire la durée de la guerre et nous rejetons comme un vain bavardage la théorie de la victoire rapide, née du désir d’obtenir les choses à bon compte.

Pourquoi une guerre prolongée ?

30 Venons­-en maintenant à la question de la guerre prolongée.

   A cette question : « Pourquoi une guerre prolongée ? » on ne peut donner une réponse correcte qu’en se référant à tous les contrastes fondamentaux entre l’ennemi et nous.

Par exemple, si nous prêtons attention au seul fait que le Japon est une grande puissance impérialiste et la Chine un pays faible, semi­-colonial et semi­-féodal, nous risquons de tomber dans la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

   Car la longue durée de la guerre ne découle, ni en théorie ni en pratique, de cette seule circonstance que le faible s’oppose au fort.

   Elle ne découle pas non plus du seul fait que l’un des pays est grand et l’autre petit, que l’un est progressiste et l’autre rétrograde, ou que l’un bénéficie d’un large soutien international et l’autre non.

   Il arrive souvent que le grand engloutisse le petit ou, au contraire, que le petit engloutisse le grand.

   Pour les Etats comme pour les choses, il n’est pas rare que ce qui est progressiste mais faible soit anéanti par ce qui est rétrograde mais plus fort.

   L’ampleur de l’aide extérieure est un facteur important, mais secondaire, dont la portée dépend des particularités fondamentales des parties belligérantes.

   Aussi notre conclusion, selon laquelle la Guerre de Résistance sera longue, repose­-t­-elle sur l’appréciation, dans leur action réciproque, de toutes les particularités qui caractérisent aussi bien l’ennemi que notre pays.

   Le danger de notre asservissement réside dans le fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles.

   Mais, en même temps, l’ennemi a ses propres côtés faibles, et nous avons nos avantages. Par nos efforts, nous pouvons réduire l’avantage de l’ennemi et aggraver ses points faibles.

   D’autre part, nous pouvons, par nos efforts, accroître nos avantages et surmonter notre point faible.

   Voilà pourquoi nous serons à même de remporter la victoire finale et d’échapper à l’asservissement, tandis que l’ennemi sera finalement vaincu et verra s’écrouler inéluctablement tout son régime impérialiste.

31 Puisque l’ennemi n’a qu’un avantage et que toutes ses autres particularités comptent au nombre de ses points faibles, et puisque nous n’avons qu’un point faible et que toutes nos autres particularités comptent au nombre de nos avantages, pourquoi n’en résulte­-t-­il pas un équilibre mais bien la supériorité de notre ennemi et notre infériorité à l’heure actuelle ?

   Il est évident que l’on ne peut aborder cette question d’une façon aussi formelle.

   En vérité, la disparité des forces entre l’ennemi et nous est actuellement si grande que les côtés faibles de l’ennemi ne se sont pas encore aggravés et ne peuvent pour le moment s’aggraver au point de contrebalancer sa puissance, et nos avantages ne se sont pas encore développés et ne peuvent pour le moment se développer au point de compenser notre faiblesse.

   Voilà pourquoi l’équilibre n’est pas encore possible, mais seulement le déséquilibre.

32 Si nos efforts pour persévérer dans la Guerre de Résistance et pour maintenir le front uni ont modifié quelque peu le rapport de la force et de la supériorité de l’ennemi à notre faiblesse et à notre infériorité, le changement n’est toutefois pas encore radical.

   De ce fait, à une étape donnée de la guerre, l’ennemi peut être victorieux jusqu’à un certain point alors que nous pouvons dans une certaine mesure connaître la défaite.

   Mais pourquoi dans l’étape en question, la victoire de l’ennemi et notre défaite gardent­elles ce caractère strictement limité, sans pouvoir devenir une victoire ou une défaite complètes ?

   En voici les raisons : Premièrement, si l’ennemi est fort et nous faibles, cette force et cette faiblesse ont été, dès le début, toutes relatives et non absolues ; deuxièmement, nos efforts pour persévérer dans la Guerre de Résistance et maintenir le front uni ont encore accentué ce caractère relatif.

   Considérons la situation de départ et son évolution : L’ennemi est fort, mais des facteurs défavorables minent sa force, toutefois pas encore au point de réduire sa supériorité à néant.

   Nous sommes faibles, mais des facteurs favorables compensent notre faiblesse, toutefois pas encore au point de mettre fin à notre infériorité.

   Aussi l’ennemi reste-­t-­il relativement fort, et nous relativement faibles ; l’ennemi ne l’emporte sur nous que relativement et nous ne le lui cédons que relativement.

   Des deux côtés, force et faiblesse, supériorité et infériorité n’ont jamais eu un caractère absolu, et de plus, nos efforts persévérants, pendant la guerre, pour résister au Japon et maintenir le front uni ont modifié encore davantage le rapport initial des forces.

   Par conséquent, la victoire de l’ennemi et notre défaite ont, au cours de cette étape, un caractère strictement limité, et voilà pourquoi la guerre sera de longue durée.

33 Mais la situation ne cesse de se modifier.

   Si nous savons appliquer une tactique militaire et politique correcte au cours des différentes phases de la guerre, sans commettre d’erreurs de principe, et si nous déployons au mieux tous nos efforts, les facteurs avantageux pour nous et défavorables pour l’ennemi se renforceront au fur et à mesure que durera la guerre et continueront à modifier la situation donnée au départ, à savoir que l’ennemi est fort et nous faibles, qu’il l’emporte sur nous et que nous le lui cédons.

   Ainsi, à une autre étape donnée, il se produira dans cette situation un grand changement, qui aboutira à la défaite du Japon et à la victoire de la Chine.

34 Actuellement, l’ennemi arrive encore, tant bien que mal, à exploiter sa force, et notre Guerre de Résistance ne l’a pas encore sérieusement affaibli.

   Son insuffisance en ressources humaines et matérielles n’est pas encore assez grave pour faire obstacle à son offensive ; au contraire, il peut encore la poursuivre jusqu’à un certain point.

   Le caractère rétrograde et barbare de la guerre menée par le Japon, facteur qui est de nature à aggraver l’antagonisme entre les classes au Japon même et à renforcer la résistance de la nation chinoise, n’a pas encore créé une situation qui puisse empêcher radicalement l’ennemi de poursuivre son offensive.

   Enfin, l’isolement international du Japon s’aggrave, mais il n’est pas encore complet.

   Dans nombre de pays qui ont exprimé leur volonté d’aider la Chine, les capitalistes qui font commerce de munitions et de matières premières stratégiques et ne songent qu’à leur profit continuent à fournir au Japon de grandes quantités de matériel de guerre.

   Leurs gouvernements se montrent encore peu disposés à se joindre à l’Union soviétique pour appliquer des sanctions contre le Japon.

   Tout cela justifie cette thèse que notre Guerre de Résistance ne peut triompher rapidement et qu’elle ne peut être qu’une guerre prolongée.

   Pour ce qui est de la Chine, des progrès ont été réalisés au cours des dix mois de guerre dans les domaines militaire, économique, culturel et de l’appareil d’Etat, où se manifeste notre faiblesse, mais ils sont encore loin d’être suffisants pour faire cesser l’offensive de l’ennemi et nous permettre de préparer notre contre­-offensive.

   En outre, du point de vue quantitatif, nous avons eu à subir certaines pertes.

   Quant aux facteurs qui nous sont favorables, ils jouent certes déjà un rôle actif, mais il nous faut encore déployer de grands efforts pour qu’ils atteignent un degré de développement tel qu’ils nous permettent de stopper l’offensive de l’ennemi et de préparer notre contre­-offensive.

Pour l’instant, à l’intérieur du pays, les phénomènes de corruption n’ont pas disparu et les progrès ne sont pas assez rapides ; à l’extérieur, les forces qui aident le Japon agissent toujours et les forces antijaponaises ne se sont pas encore assez développées. Tout cela fait que notre guerre ne peut être gagnée rapidement et qu’elle ne peut être qu’une guerre de longue durée.

Les trois étapes de la guerre prolongée

35 Etant donné que la guerre sino­-japonaise sera une guerre de longue durée et que la victoire finale reviendra à la Chine, on peut logiquement prévoir que cette guerre prolongée traversera trois étapes au cours de son développement.

   La première sera l’étape de l’offensive stratégique de l’ennemi et de notre défensive stratégique ; la deuxième, l’étape de la consolidation stratégique des positions de l’ennemi et de notre préparation à la contre-offensive ; la troisième, l’étape de notre contre­-offensive stratégique et de la retraite stratégique de l’ennemi.

   Il est impossible de prévoir quelle sera la situation concrète à chacune de ces trois étapes ; mais, à en juger par les conditions actuelles, il est possible d’indiquer quelques tendances fondamentales du développement de la guerre.

   La réalité objective sera exceptionnellement riche en événements et suivra un cours sinueux, et aucun d’entre nous n’est à même d’établir « l’horoscope » de la guerre sino-japonaise, mais la direction stratégique de la guerre exige que soient définies les lignes essentielles des tendances de son développement.

   C’est pourquoi, bien que ces lignes ne puissent concorder entièrement avec les événements ultérieurs qui permettront de les rectifier, il n’en reste pas moins nécessaire de les tracer, dans l’intérêt d’une direction stratégique ferme et bien définie de cette guerre prolongée.

36 La première étape de la guerre n’est pas encore terminée. L’ennemi cherche à occuper Canton, Wouhan et Lantcheou et à établir la liaison entre ces trois points.

   Pour atteindre ce but, l’ennemi devra jeter dans l’action au moins cinquante divisions avec un million et demi de soldats, y consacrer un an et demi à deux ans, et dépenser plus de dix milliards de yens. En pénétrant aussi profondément au cœur de notre pays, l’ennemi se créera d’énormes difficultés dont les conséquences seront désastreuses.

   Et si l’ennemi voulait occuper entièrement la voie ferrée Canton-Hankeou et la route de Sian à Lantcheou, il aurait à soutenir des combats périlleux, et encore il ne serait pas sûr de réaliser pleinement ses desseins.

   Toutefois, en établissant notre plan d’opérations, nous devons supposer que l’ennemi pourra occuper ces trois points et même certaines régions en plus et qu’il pourra les relier entre eux ; et nous devons en conséquence prendre nos dispositions pour une guerre de longue durée, de façon que, même si l’ennemi agit de la sorte, nous soyons en état de lui tenir tête.

   La forme essentielle des opérations militaires dans la première étape sera pour nous la guerre de mouvement, et les formes auxiliaires seront la guerre de partisans et la guerre de position.

   Bien que la guerre de position ait occupé la première place au début de cette étape, en raison des erreurs commises par les autorités militaires du Kuomintang, elle ne jouera qu’un rôle auxiliaire au cours de l’étape prise dans son ensemble.

   Déjà, à cette étape, on a créé en Chine un large front uni et réalisé une unité sans précédent. L’ennemi a recouru et continuera à recourir à des procédés éhontés et lâches pour amener la Chine à capituler, dans l’intention de réaliser son plan de décision rapide et de conquérir toute la Chine sans grands efforts, mais il n’y a pas réussi jusqu’à présent et il n’y réussira pas davantage à l’avenir.

   Cette étape permettra à la Chine, malgré les pertes considérables qu’elle aura subies, de réaliser de grands progrès, qui constitueront la base principale pour la poursuite de la Guerre de Résistance à la deuxième étape.

   Déjà l’Union soviétique a apporté une aide substantielle à notre pays.

   Quant à notre ennemi, son moral a commencé à baisser, l’élan offensif de l’armée de terre japonaise est plus faible au milieu de cette étape qu’à son début ; il s’affaiblira encore plus au stade final.

   Déjà des symptômes indiquent que le Japon commence à s’épuiser du point de vue financier et économique, sa population et ses soldats commencent à avoir assez de la guerre ; et au sein de la clique qui la dirige, la « lassitude de la guerre » commence à se manifester et le pessimisme devant les perspectives de la guerre va s’accentuant.

37 On peut appeler la deuxième étape l’étape de stabilisation stratégique.

   A la fin de la première étape, par suite de son insuffisance en forces armées et de notre résistance résolue, l’ennemi sera contraint de fixer certains points limites à son offensive stratégique.

   Lorsqu’il les aura atteints, il mettra fin à celle-­ci et passera à l’étape de la consolidation des territoires occupés.

   A cette deuxième étape, il s’efforcera de consolider à son profit les territoires occupés, à l’aide d’artifices tels que l’organisation de gouvernements fantoches, tout en pillant systématiquement le peuple chinois ; mais alors, il aura à faire face à une guerre de partisans acharnée.

   Dans la première étape, profitant de ce qu’il reste à l’arrière de l’ennemi des régions inoccupées, les partisans auront déjà développé largement la guerre de partisans et créé un certain nombre de bases d’appui, ce qui constituera une sérieuse menace pour l’ennemi dans sa tentative de consolider les territoires occupés.

   C’est pourquoi les opérations militaires continueront à se dérouler sur une vaste échelle au cours de la deuxième étape.

   La forme principale de la guerre y sera la guerre de partisans, alors que la guerre de mouvement jouera un rôle auxiliaire.

   La Chine aura pu conserver une grande armée régulière, mais il lui sera difficile de passer immédiatement à la contre-­offensive stratégique, en partie parce que l’ennemi passera à la défensive stratégique dans les grandes villes et sur les principales lignes de communication occupées par lui, et en partie parce que l’armée chinoise ne sera pas encore suffisamment équipée du point de vue technique.

   A l’exception des troupes occupées à défendre les fronts, nos forces passeront en grand nombre à l’arrière de l’ennemi pour y être utilisées en ordre relativement dispersé.

   S’appuyant sur toutes les régions que l’ennemi n’aura pu occuper, et coopérant avec les détachements armés créés par la population, ces forces déploieront énergiquement une vaste guerre de partisans dans la zone occupée, elles forceront autant que possible l’ennemi à se déplacer, pour l’anéantir par la guerre de mouvement, ainsi que cela se passe actuellement dans la province du Chansi.

   A cette étape, la guerre sera acharnée et les régions d’opérations militaires seront sérieusement dévastées.

   Mais la guerre de partisans obtiendra des succès, et si elle est bien conduite, l’ennemi ne conservera qu’un tiers des territoires qu’il aura occupés, tandis que les deux autres seront entre nos mains, ce qui serait une sérieuse défaite pour l’ennemi et une grande victoire pour la Chine.

   Alors, l’ensemble des territoires occupés par l’ennemi se divisera en trois sortes de régions : la première comprendra les bases d’appui de l’ennemi, la deuxième les bases d’appui de la guerre de partisans, et la troisième les régions de partisans que se disputeront les deux parties.

   La durée de cette étape dépendra de l’importance des changements qui surviendront dans le rapport des forces entre l’ennemi et nous, ainsi que des changements dans la situation internationale.

   D’une façon générale, nous devons nous attendre à ce que cette deuxième étape soit relativement longue et qu’il nous faille gravir un chemin difficile.

   Ce sera pour la Chine une période de terribles souffrances ; le pays se trouvera devant deux problèmes très graves : les difficultés économiques et les activités subversives des traîtres à la patrie.

   L’ennemi déploiera une activité fébrile pour saper le front uni en Chine, et toutes les organisations fantoches dans les territoires occupés par l’ennemi se fondront en un soi-disant gouvernement unifié.

   Comme nous aurons perdu les grandes villes et que nous souffrirons des difficultés causées par la guerre, les éléments instables que nous avons parmi nous propageront activement l’esprit de compromis, le pessimisme prendra des proportions inquiétantes.

   Notre tâche consistera alors à mobiliser les masses populaires de tout le pays pour poursuivre sans fléchir la guerre dans l’unanimité, à élargir et consolider le front uni, à surmonter toutes les tendances au pessimisme et au compromis, à exhorter au rude combat et à appliquer une politique nouvelle pour le temps de guerre, de façon à soutenir l’épreuve jusqu’au bout.

   A cette deuxième étape, il faudra absolument appeler le pays tout entier à soutenir résolument un gouvernement uni, à combattre la division ; il faudra améliorer systématiquement notre technique de combat, réformer notre armée, mobiliser tout le peuple et nous préparer à la contre-offensive.

   A cette étape, la situation internationale deviendra encore plus défavorable pour le Japon, et les principales forces internationales apporteront une aide plus importante à la Chine, encore que des tours de passe­passe dans le genre de l’accommodement « réaliste » de Chamberlain s’inclinant devant les « faits accomplis » soient possibles.

   La menace que fait peser le Japon sur les pays du Sud-­Est asiatique et sur la Sibérie sera plus sérieuse que jamais, et une nouvelle guerre pourra même éclater.

   En ce qui concerne l’ennemi, plusieurs dizaines de ses divisions seront enlisées en Chine, et il lui sera impossible de les en retirer.

   Une puissante guerre de partisans et le mouvement populaire antijaponais épuiseront cette énorme armée japonaise : nous lui infligerons de lourdes pertes et développerons en elle le mal du pays, l’aversion et même l’hostilité à l’égard de la guerre, de façon à miner cette armée moralement.

   Certes, on ne peut pas dire que le pillage de la Chine ne rapportera absolument rien au Japon, mais comme celui-­ci manque de capitaux et qu’il est harcelé par notre guerre de partisans, il ne lui sera pas donné d’aboutir à des succès rapides et importants à cet égard.

   La deuxième étape sera une étape de transition dans toute la guerre et par cela même l’étape la plus difficile, mais elle marquera un tournant.

   Ce ne sera pas la perte des grandes villes à la première étape, mais l’effort de toute la nation dans la deuxième étape qui décidera si la Chine deviendra un Etat indépendant ou une colonie.

   Si nous persévérons dans la Guerre de Résistance, le front uni et la guerre prolongée, la Chine acquerra, au cours de cette étape, la force nécessaire pour surmonter sa faiblesse et devenir la plus forte des deux parties belligérantes.

   Dans le drame en trois actes de la Guerre de Résistance de la Chine, ce sera le deuxième acte.

   Et si toute la troupe unit ses efforts, un dernier acte extrêmement brillant pourra être joué.

38 La troisième étape est l’étape de la contre-­offensive pour recouvrer les territoires perdus.

   Pour récupérer ses territoires, la Chine s’appuiera principalement sur les forces qu’elle aura préparées elle­-même au cours de l’étape précédente et qui continueront de grandir à la troisième étape.

   Mais ses propres forces ne lui suffiront pas, elle devra encore s’appuyer sur l’aide que lui apporteront les forces internationales et sur les changements à l’intérieur du pays ennemi ; autrement, il lui serait impossible de vaincre.

   Aussi la propagande à l’étranger et l’activité diplomatique de la Chine prendront-­elles une plus grande importance.

   A cette étape, nous ne serons déjà plus sur la défensive stratégique, mais nous passerons à la contre-­offensive stratégique, qui prendra la forme d’offensives stratégiques.

   La guerre ne se déroulera plus stratégiquement à l’intérieur des lignes, mais passera peu à peu à l’extérieur des lignes.

   Elle ne se terminera que lorsque nous aurons atteint le Yalou.

   La troisième étape est l’étape finale de la guerre prolongée, et quand nous parlons de poursuivre la guerre jusqu’au bout, nous voulons dire qu’il faut franchir toute cette étape.

   La guerre de mouvement restera, dans cette étape, la forme principale de nos opérations militaires, mais la guerre de position prendra aussi de l’importance.

   Tandis que la défense de nos positions ne peut être regardée comme importante à la première étape, en raison des conditions existant alors, l’attaque contre les positions ennemies deviendra d’une grande importance à la troisième étape, par suite des changements dans ces conditions et des exigences des tâches.

   A la différence de ce qui se passe à la deuxième étape, où elle est la forme principale des opérations militaires, la guerre de partisans, à la troisième étape, jouera de nouveau un rôle auxiliaire d’appui stratégique à la guerre de mouvement et à la guerre de position.

39 Il est évident, dans ces conditions, que la guerre sera longue et donc acharnée.

   L’ennemi n’est pas en état d’avaler la Chine tout entière, mais il peut en occuper, relativement longtemps, bien des régions.

   La Chine n’est pas en état de chasser rapidement les Japonais, mais elle gardera en main la majeure partie des territoires du pays.

   Finalement, l’ennemi essuiera la défaite et nous remporterons la victoire, mais il nous faudra pour cela parcourir un chemin pénible.

40 De cette guerre longue et acharnée le peuple chinois sortira fortement trempé.

   Les différents partis politiques qui prennent part à la guerre se tremperont aussi et seront mis à l’épreuve.

   Il faut maintenir fermement le front uni ; sans maintenir fermement le front uni, on ne peut poursuivre la guerre avec résolution ; sans maintenir fermement le front uni et sans poursuivre la guerre avec ténacité, on ne peut remporter la victoire finale.

   Ainsi seulement nous saurons surmonter toutes les difficultés.

   Après avoir parcouru le chemin difficile de la guerre, nous déboucherons sur la route de la victoire. C’est la logique même de la guerre.

41 Les changements dans le rapport des forces entre l’ennemi et nous interviendront à chacune de ces trois étapes dans l’ordre suivant : Au cours de la première étape, l’ennemi a la supériorité et nous nous trouvons en état d’infériorité.

   En ce qui concerne notre infériorité, il faut tenir compte des deux types de changements qu’elle aura accusés de la veille de la Guerre de Résistance à la fin de cette étape.

   Le premier se caractérise par une aggravation de la situation.

   L’infériorité initiale de la Chine se fait sentir de plus en plus au cours de la première étape ; c’est ce que l’on constate à ses pertes en territoire, en population, aux diminutions subies par ses ressources économiques, sa puissance militaire et ses institutions culturelles.

   Il se peut qu’à la fin de la première étape, ces pertes et ces diminutions atteignent une ampleur considérable, surtout sur le plan économique.

   Cela servira d’argument en faveur de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et en faveur du compromis.

   Mais il ne faut pas oublier les changements du second type, les changements dans le sens d’une amélioration, à savoir : l’expérience accumulée au cours de la guerre, les progrès accomplis dans l’armée, le progrès politique, la mobilisation du peuple, le développement de la culture dans une voie nouvelle, l’apparition de la guerre de partisans, l’accroissement de l’aide internationale, etc.

   Au cours de cette étape, c’est l’ancienne quantité et l’ancienne qualité qui déclinent et ce phénomène est surtout d’ordre quantitatif, alors que la quantité et la qualité de ce qui est nouveau progressent, ce phénomène étant surtout d’ordre qualitatif.

   C’est sur les changements du second type qu’est fondée la possibilité pour nous de poursuivre une guerre prolongée et de remporter finalement la victoire.

42 Au cours de la première étape, deux types de changements se produisent également du côté de l’ennemi.

   Les changements du premier type qui aggravent sa situation : la perte de centaines de milliers de tués et de blessés, la saignée en armes et en munitions, l’abaissement du moral des troupes, le mécontentement croissant de la population, le déclin du commerce, une dépense de plus de dix milliards de yens, la condamnation de l’opinion publique internationale, etc.

   Ce type de changements étaye également la possibilité pour nous de poursuivre une guerre prolongée et de remporter finalement la victoire.

   Mais il faut aussi compter avec les changements du second type, des changements qui améliorent la situation de l’ennemi : l’extension du territoire, de la population et des ressources matérielles.

   Ceci est une autre preuve que notre Guerre de Résistance sera longue et que nous ne pourrons pas arriver à une victoire rapide ; cependant, certains en tireront également un argument en faveur de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et de celle du compromis.

   Toutefois, nous devons tenir compte du fait que ces changements en mieux dans la situation de l’ennemi ont un caractère temporaire et partiel.

   Notre ennemi est un impérialisme qui va à l’effondrement, et son occupation du territoire chinois ne peut être que temporaire.

   Le développement impétueux de la guerre de partisans en Chine réduira en fait les régions occupées à d’étroites bandes de territoire.

   D’autre part, l’occupation du sol chinois par l’ennemi a créé et aggravé les contradictions entre le Japon et d’autres Etats.

   D’ailleurs, pendant une période assez longue, une telle occupation ne permettra en général au Japon que de mettre en œuvre des moyens sans en tirer de profit, comme le montre l’expérience des trois provinces du Nord­-Est Tout cela aussi constitue pour nous des arguments tant pour battre en brèche la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et l’esprit de compromis que pour édifier nos thèses concernant la guerre prolongée et notre victoire finale.

43 Les changements susmentionnés des deux parties se poursuivront à la deuxième étape.

   Il n’est pas possible de prédire le développement concret de ces changements, mais, d’une façon générale, la situation du Japon ira en déclinant et celle de la Chine en progressant

Mais comme la clique dominante de Tchiang Kaï­chek avait adopté une attitude passive dans la Résistance et luttait activement contre le Parti communiste et le peuple, la situation ne s’améliora pas dans les régions contrôlées par le Kuomintang, elle s’y aggrava au contraire. Cela provoqua toutefois la protestation des larges masses populaires et contribua à élever leur conscience politique. Une analyse de ces faits est donnée par le camarade Mao Tsé­toung dans son rapport « Du gouvernement de coalition »..

   Par exemple, la guerre de partisans en Chine engloutira en quantités énormes les ressources militaires et financières du Japon, le mécontentement de la population japonaise ne fera que croître, le moral de ses troupes baissera encore plus, son état d’isolement international s’aggravera.

   Quant à la Chine, elle fera encore des progrès dans les domaines politique, militaire et culturel ainsi que dans la mobilisation du peuple.

   La guerre de partisans se développera encore plus largement et l’économie fera à nouveau certains progrès en s’appuyant sur la petite industrie et l’agriculture des vastes territoires de l’intérieur ; l’aide internationale s’accroîtra régulièrement et tout le tableau sera nettement différent de celui d’aujourd’hui.

   Il se peut que la deuxième étape soit assez longue.

   Au cours de cette étape, des changements considérables se produiront dans le rapport des forces entre nous et l’ennemi : les forces de la Chine iront en croissant et celles du Japon en diminuant.

   La Chine sortira de sa situation défavorable et le Japon perdra sa supériorité, si bien qu’après une période d’équilibre, le rapport de forces primitif entre les deux pays sera inversé.

   Alors, la Chine complétera, pour l’essentiel, sa préparation à la contre-offensive stratégique et entrera dans l’étape de la contre-­offensive et de l’expulsion de l’ennemi.

   Il est à souligner une fois de plus que le passage de la position d’infériorité à celle de supériorité et l’achèvement de la préparation à la contre­-offensive supposent la croissance des forces de la Chine, l’augmentation des difficultés du Japon et l’accroissement de l’aide internationale à la Chine.

   L’action conjuguée de ces trois facteurs assurera à la Chine la supériorité des forces et lui permettra d’achever la préparation de sa contre­-offensive.

44 Comme le développement politique et économique de la Chine est inégal, la contre­offensive stratégique dans la troisième étape ne se déroulera pas, à son début, uniformément et harmonieusement dans tout le pays, mais dans des régions données et d’une manière inégale.

   Au cours de cette étape, l’ennemi ne relâchera pas ses efforts pour briser par tous les moyens le front uni ; aussi le problème de l’unité intérieure de la Chine prendra­-t-­il une importance encore plus grande : il faudra empêcher que notre contre­offensive ne s’arrête à mi-­chemin par suite de désaccords intérieurs.

   Au cours de cette étape, la situation internationale deviendra très favorable à la Chine, et celle-­ci devra en profiter pour conquérir définitivement sa libération et édifier un Etat démocratique indépendant, aidant par là le mouvement antifasciste mondial.

45 La Chine passera de l’infériorité des forces à l’équilibre des forces, puis à la supériorité ; et le Japon, de la supériorité des forces à l’équilibre des forces, puis à l’infériorité.

   La Chine passera de la défensive à la stabilisation, puis à la contre-offensive ; et le Japon, de l’offensive à la consolidation de ses positions, puis à la retraite. Tel sera le processus de la guerre sino-­japonaise, le cours logique de cette guerre.

46 Nous en venons ainsi à répondre de la façon suivante aux questions posées : La Chine sera­-t­-elle asservie ? Réponse : Non, elle ne le sera pas, et la victoire finale lui reviendra.

   La Chine peut­-elle vaincre rapidement ? Réponse : Non, elle ne le pourra pas, ce sera une guerre de longue durée. Ces conclusions sont­-elles justes ? Je pense qu’elles le sont.

47 Là­-dessus, les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et les partisans du compromis interviendront à nouveau pour déclarer : Pour passer d’une position d’infériorité à l’équilibre, la Chine devrait acquérir une force militaire et économique égale à celle du Japon ; pour passer de cet équilibre à la supériorité, elle devrait posséder une force militaire et économique plus grande que celle du Japon ; mais cela est absolument impossible et les conclusions qui viennent d’être tirées sont par conséquent fausses.

48 C’est la théorie dite « les armes décident de tout », qui est une façon mécaniste d’aborder la question de la guerre et un point de vue subjectiviste et unilatéral sur celle­-ci.

   A la différence des partisans de cette théorie, nous considérons non seulement les armes mais aussi les hommes.

   Les armes sont un facteur important, mais non décisif, de la guerre.

   Le facteur décisif, c’est l’homme et non le matériel.

   Le rapport des forces se détermine non seulement par le rapport des puissances militaires et économiques, mais aussi par le rapport des ressources humaines et des forces morales.

   C’est l’homme qui dispose des forces militaires et économiques.

   Si la grande majorité des Chinois, des Japonais et des peuples du monde se range du côté de notre Guerre de Résistance, pourra­-t­-on encore qualifier de supériorité la puissance économique et militaire qu’une poignée d’hommes détient au Japon par la force ?

   Et si on ne le peut pas, n’est­-ce pas à la Chine, qui dispose pourtant d’une force militaire et économique relativement inférieure, que reviendra la supériorité ?

   Il n’y a pas le moindre doute que si la Chine poursuit avec ténacité la Guerre de Résistance et s’en tient fermement au front uni, sa force militaire et économique s’accroîtra progressivement.

   Quant à notre ennemi, affaibli comme il le sera par une longue guerre et par des contradictions internes et externes, il verra à coup sûr sa puissance militaire et économique se modifier en sens inverse. Est-­il possible que dans une telle situation la supériorité ne revienne pas finalement à la Chine ?

   Et ce n’est pas tout. Actuellement, nous ne pouvons pas encore compter, directement et largement, sur la force militaire et économique d’autres Etats, mais pourquoi ne pourrions-­nous pas le faire plus tard ?

   Si le Japon n’a plus pour seul ennemi la Chine, s’il vient un jour où un Etat ou plusieurs Etats utiliseront ouvertement une partie importante de leur puissance économique et militaire pour se défendre contre le Japon ou pour lui porter des coups et nous apporter leur aide, notre supériorité ne sera­-t­-elle pas plus grande encore ?

   Le Japon est un petit pays, la guerre qu’il poursuit est de caractère rétrograde et barbare, il sera de plus en plus isolé sur le plan international ; la Chine est un grand pays, la guerre qu’elle poursuit est une guerre progressiste et juste, le soutien international qu’elle reçoit grandira.

   N’est­-il pas vrai qu’après une longue période de développement tous ces facteurs renverseront définitivement le rapport de supériorité et d’infériorité entre l’ennemi et nous ?

49 Quant aux partisans de la théorie de la victoire rapide, ils ne comprennent pas que la guerre est une compétition de forces, et que rien ne permet d’engager des opérations stratégiques décisives et de chercher à hâter la libération du pays, tant que ne se sont pas produits certains changements dans le rapport des forces entre les parties belligérantes.

   Mettre leurs idées en pratique serait inévitablement se briser la tête contre un mur.

   Peut-­être ne bavardent­-ils que pour le plaisir de parler, sans songer sérieusement à passer des paroles aux actes.

   En fin de compte, ce sont les faits qui administreront à tous ces bavards une douche froide, leur démontrant qu’ils ne sont rien de plus que des phraseurs qui rêvent d’obtenir les choses sans effort, qui veulent récolter sans semer.

   Ces vains propos, on les a tenus et on les tient encore, bien qu’ils ne soient pas très répandus ; ils pourraient s’amplifier quand la guerre passera à l’étape de la stabilisation, puis de la contre-­offensive.

   Mais en même temps, si les pertes de la Chine au cours de la première étape étaient relativement importantes et si la deuxième étape se prolongeait longtemps, la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et la tendance au compromis trouveraient une plus large audience.

   C’est pourquoi il nous faudra ouvrir le feu principalement contre la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et contre l’esprit de compromis, et en second lieu seulement contre l’inepte bavardage sur la victoire rapide.

50 Nous avons donc établi que la guerre sera longue. Mais nul ne peut prédire combien d’années et combien de mois elle durera.

   Cela dépendra entièrement des changements dans le rapport des forces entre nous et l’ennemi. Ceux qui veulent réduire la durée de la guerre ne peuvent y parvenir qu’en s’efforçant d’accroître leurs forces et de réduire celles de l’ennemi.

   Pour parler d’une façon plus concrète, le seul moyen est de redoubler d’efforts pour remporter le plus grand nombre possible de victoires militaires et user les forces armées de l’ennemi, pour développer la guerre de partisans de façon à réduire le plus possible les territoires occupés par l’ennemi, pour consolider et élargir le front uni en vue d’unir les forces de tout le pays, pour créer de nouvelles forces armées et développer de nouvelles industries de guerre, pour accélérer les progrès politiques, économiques et culturels, pour mobiliser toutes les couches de la population, ouvriers, paysans, commerçants et intellectuels, pour briser le moral de l’armée ennemie et faire passer ses soldats de notre côté, pour poursuivre la propagande à l’étranger afin de nous assurer une aide internationale, pour obtenir le soutien du peuple japonais et de toutes les nations opprimées. Ce n’est qu’en faisant tout cela qu’on peut réduire la durée de la guerre. Aucune solution de facilité n’est possible.

Une guerre d’interpénétration

51 Nous pouvons affirmer que la guerre prolongée contre les envahisseurs japonais sera inscrite dans l’histoire des guerres de l’humanité comme une page glorieuse et exceptionnelle. Une des particularités remarquables de cette guerre est son caractère d’interpénétration.

   La raison en est l’existence de facteurs réciproquement contraires, tels que la barbarie du Japon et son insuffisance en forces armées d’une part, et le caractère progressiste de la Chine et son vaste territoire d’autre part. L’histoire connaît des guerres où s’est réalisée une telle interpénétration.

   Ce fut le cas de la Russie, pendant les trois années de guerre civile, après la Révolution d’Octobre. Mais en Chine cette forme de guerre se caractérise par sa durée et son ampleur exceptionnelles. Dans ce domaine, elle battra tous les records dans l’histoire. L’interpénétration se présente sous les traits suivants.

52 Les lignes intérieures et extérieures. Dans son ensemble, la Guerre de Résistance se poursuit à l’intérieur des lignes, mais si l’on considère la relation entre nos forces régulières et nos détachements de partisans, les premières opèrent à l’intérieur des lignes, tandis que les seconds opèrent à l’extérieur, ce qui compose un tableau original : l’ennemi est enserré dans une tenaille.

   On peut en dire autant des relations entre les régions de partisans.

   Chaque région de partisans, prise isolément, opère à l’intérieur des lignes et les autres régions de partisans opèrent à l’extérieur des lignes par rapport à elle, et il se constitue encore une fois un grand nombre de tenailles où tombe l’ennemi.

   Dans la première étape de la guerre, l’armée régulière, poursuivant sur le plan stratégique des opérations à l’intérieur des lignes, se replie tandis que les détachements de partisans des différentes régions, opérant stratégiquement à l’extérieur des lignes, avancent à grands pas vers l’arrière de l’ennemi.

   Cette avance se poursuivra avec encore plus d’énergie dans la deuxième étape. Il en découle une combinaison extrêmement originale du repli et de l’avance.

53 Existence et absence d’un arrière. Les forces régulières, dont la ligne de front passe le long des limites extérieures du territoire occupé par l’ennemi, opèrent à partir de l’arrière général du pays, alors que les détachements de partisans, qui déploient leur ligne de front à l’arrière de l’ennemi, sont isolés de l’arrière général du pays.

   Mais chaque région de partisans dispose d’un arrière de faible étendue sur lequel elle s’appuie pour établir une ligne de front mobile.

   Le cas est différent pour les détachements de partisans envoyés en mission par une région de partisans pour des opérations temporaires à l’arrière de l’ennemi se trouvant dans la même région : ils n’ont ni arrière ni ligne de front.

   « Les opérations militaires sans arrière » représentent une caractéristique propre à la guerre révolutionnaire de l’ère nouvelle, dans un pays où il existe un vaste territoire, un peuple progressiste, un parti politique d’avant­-garde et une armée d’avant-­garde.

   Il n’y a pas de raison de craindre ces opérations, elles ne peuvent être que profitables. Au lieu d’avoir des doutes à leur sujet, il faut les préconiser.

54 Encerclement et contre­-encerclement. Si l’on considère la guerre dans son ensemble, il ne fait pas de doute que nous nous trouvons stratégiquement encerclés, puisque l’ennemi se livre à une offensive stratégique et opère à l’extérieur des lignes, et que nous sommes sur la défensive stratégique et opérons à l’intérieur des lignes.

   C’est le premier type d’encerclement de nos forces par l’ennemi.

   Mais comme, de notre côté, nous adoptons à l’égard d’un ennemi qui, opérant stratégiquement à l’extérieur des lignes, marche sur nous en plusieurs colonnes le principe d’opérer à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, nous pouvons encercler une ou plusieurs de ces colonnes avec des forces supérieures en nombre.

   C’est le premier type de contre­-encerclement de l’ennemi par nous.

   D’autre part, si l’on considère les bases d’appui de la guerre de partisans situées à l’arrière de l’ennemi, chacune de ces bases isolées est cernée par l’ennemi soit des quatre côtés, comme la région du Woutaichan, soit de trois seulement, comme celle du nord­-ouest du Chansi. C’est le deuxième type d’encerclement de nos forces par l’ennemi.

   Toutefois, si l’on considère toutes les bases de la guerre de partisans dans leurs liaisons mutuelles, et chaque base dans ses liaisons avec les positions tenues par l’armée régulière, on constate qu’un grand nombre d’unités ennemies sont encerclées par nous.

   Par exemple, dans la province du Chansi, nous avons déjà cerné de trois côtés (de l’est, de l’ouest et du sud) la ligne de chemin de fer Tatong-Poutcheou, et nous avons investi complètement la ville de Taiyuan ; dans les provinces du Hopei et du Chantong, on trouve également un grand nombre d’encerclements de ce genre.

   C’est le deuxième type de contre-­encerclement de l’ennemi par nous.

   Ainsi, ces deux types d’encerclement mutuel rappellent le jeu de weiki : les campagnes et les combats que l’ennemi mène contre nous et que nous menons contre l’ennemi ressemblent à la prise des pions, et les points d’appui de l’ennemi (par exemple Taiyuan) et nos bases de partisans (par exemple le Woutaichan) ressemblent aux « fenêtres » sur l’échiquier.

   Si l’on imagine le jeu de weiki à l’échelle mondiale, on voit apparaître encore un troisième type d’encerclement mutuel : la corrélation entre le front de l’agression et le front de la paix.

   Par le premier front, l’ennemi encercle la Chine, l’U.R.S.S., la France, la Tchécoslovaquie et d’autres Etats, et, par le second front, nous réalisons le contre­-encerclement de l’Allemagne, du Japon et de l’Italie.

   Mais notre encerclement ressemble à la main de Bouddha. Il formera les cinq chaînes de montagnes qui dominent l’univers et clouera si bien sous elles les nouveaux Souen Wou­kong — les agresseurs fascistes — que jamais ils ne se relèveront.

[Souen Wou­kong, héros du roman fantastique chinois du XVIe siècle Si yeou kj (Le Pèlerinage à l’Ouest), était un singe qui avait le pouvoir, en faisant la culbute, de franchir une distance de cent huit mille lis.

Mais, tombé sur la paume de Bouddha, Souen Wou­kong eut beau faire et se démener, il ne put partir. Bien plus, Bouddha retourna sa main, la paume vers la terre, et recouvrit Souen Wou­kong. Les doigts de Bouddha se changèrent en cinq chaînes de montagnes liées les unes aux autres, qui rivèrent Souen Wou­kong au sol.]

   Si nous réussissons, par notre action sur le plan international, à créer dans le Pacifique un front antijaponais auquel la Chine participerait en tant qu’unité stratégique et au sein duquel l’Union soviétique et les autres pays qui pourraient s’y intégrer constitueraient d’autres unités stratégiques, et le mouvement populaire au Japon encore une autre unité stratégique, il se formera un vaste filet d’où les Souen Wou­kong fascistes ne pourront fuir, et ce sera la ruine de l’ennemi.

   Oui, le jour où ce filet vaste comme le monde sera formé, ce sera sûrement la destruction définitive de l’impérialisme japonais. Ce n’est pas une plaisanterie, c’est l’inéluctable tendance inhérente à la guerre.

55 Massifs et îlots. Il est possible que l’ennemi occupe la plus grande partie des territoires de la Chine situés au sud de la Grande Muraille et que la plus petite partie seulement reste intacte.

   C’est là un aspect de la situation.

   Mais dans cette majeure partie de la Chine qu’il aura occupée, en dehors des trois provinces du Nord-­Est, l’ennemi ne pourra pratiquement occuper que les grandes villes, les principales lignes de communication et certaines régions de plaine, c’est­-à­-dire des objectifs de première importance, mais qui ne constitueront probablement, par leur étendue et leur population, que la plus petite partie des territoires occupés.

   Par contre, les régions de partisans s’étendront partout et en représenteront la plus grande partie. C’est là le deuxième aspect de la situation.

   Et si maintenant on ne se limite pas aux provinces situées au sud de la Grande Muraille et que l’on tient compte des régions de la Mongolie, du Sinkiang, du Tsinghai et du Tibet, la superficie non occupée par l’ennemi représentera quand même la plus grande partie de la Chine et les territoires occupés par l’ennemi, y compris les trois provinces du Nord­-Est, n’en constitueront que la plus petite partie.

   C’est là le troisième aspect de la situation. Les régions qui n’auront pas été occupées par l’ennemi auront naturellement pour nous une grande importance.

   Il faudra y déployer tous nos efforts non seulement dans les domaines politique, militaire et économique, mais aussi dans le domaine culturel.

   L’ennemi a fait de nos centres culturels des zones retardataires, et nous, de notre côté, devons transformer les zones retardataires en centres culturels.

   En même temps, il est très important pour nous de bien administrer les vastes régions de partisans à l’arrière de l’ennemi, en les développant sous tous les rapports et en y intensifiant notre travail culturel.

   Pour résumer, nous pouvons dire que les vastes régions rurales de la Chine se transformeront en régions avancées et éclairées et que les territoires peu étendus, occupés par l’ennemi, spécialement les grandes villes, représenteront temporairement des îlots retardataires, plongés dans les ténèbres.

56 Ainsi, cette longue guerre de vaste envergure contre les envahisseurs japonais sera une guerre d’interpénétration dans les domaines militaire, politique, économique et culturel.

   Elle apparaîtra comme une guerre extraordinaire dans l’histoire, elle sera la grande œuvre du peuple chinois, un glorieux exploit qui ébranlera le monde.

   Son influence ne s’exercera pas seulement sur la Chine et le Japon, où elle donnera une forte impulsion au progrès, mais aussi sur le monde entier, en stimulant le progrès de toutes les nations, en premier lieu, des nations opprimées comme l’Inde.

   Les Chinois doivent prendre part en toute conscience à cette guerre d’interpénétration, car c’est la forme de guerre qui permet à la nation chinoise de se libérer, la forme spécifique de la guerre de libération d’un grand pays semi-­colonial dans les années 30 et 40 du XXe siècle.

La guerre pour la paix perpétuelle

57 Le caractère de longue durée que présente la Guerre de Résistance de la Chine est inséparable de la lutte pour la conquête d’une paix perpétuelle, en Chine et dans le monde entier.

   L’histoire n’a pas encore connu de périodes où la guerre nous rapproche autant qu’aujourd’hui de la paix perpétuelle.

   Par suite de l’apparition des classes, l’histoire de l’humanité a été, pendant des millénaires, remplie de guerres interminables.

   Chaque peuple a connu des guerres sans nombre, guerres intestines ou guerres étrangères.

   Au stade impérialiste du développement de la société capitaliste, les guerres deviennent particulièrement étendues et acharnées.

   La première grande guerre impérialiste, il y a vingt ans, fut une guerre comme on n’en avait jamais connu, sans être pourtant la dernière.

   La guerre qui vient de commencer nous rapproche de la dernière des guerres, en d’autres termes, de la paix perpétuelle pour l’humanité tout entière.

   Déjà un tiers de l’humanité est entraîné dans la guerre : l’Italie, puis le Japon, l’Abyssinie, puis l’Espagne, puis la Chine.

   Près de 600 millions d’hommes, c’est­-à-­dire près du tiers de la population mondiale, vivent dans ces pays déjà en guerre.

   Cette guerre présente la particularité d’être ininterrompue et de nous rapprocher de la paix perpétuelle. Pourquoi disons­-nous qu’elle est ininterrompue ?

   L’Italie fit la guerre à l’Abyssinie, puis, avec la participation de l’Allemagne, elle attaqua l’Espagne, et ensuite c’est le Japon qui s’est lancé dans une guerre contre la Chine.

   Et maintenant ? Il n’y a pas de doute que viendra la guerre de Hitler contre les grandes puissances. « Le fascisme, c’est la guerre1. »

   Cela est parfaitement vrai. Il n’y aura pas d’interruption entre la guerre actuelle et la guerre mondiale, et l’humanité ne saurait échapper aux malheurs de la guerre.

   Pourquoi disons-­nous que cette guerre nous rapproche de la paix perpétuelle ?

   Elle est un effet du développement de la crise générale du capitalisme mondial, apparue avec la Première guerre mondiale.

   Cette crise générale a obligé les pays capitalistes à s’engager dans une nouvelle guerre ; elle a obligé en premier lieu les pays fascistes à se lancer dans de nouvelles aventures militaires.

   On peut prévoir que cette guerre ne sauvera pas le capitalisme mais hâtera sa faillite.

   Cette guerre sera plus étendue et plus acharnée que celle d’il y a vingt ans, tous les peuples y seront inévitablement entraînés ; elle sera longue et l’humanité aura à subir de grandes souffrances.

   Cependant, grâce à l’existence de l’Union soviétique et à la conscience de plus en plus éveillée des peuples du monde, des guerres révolutionnaires grandioses éclateront assurément au cours de cette guerre ; elles seront dirigées contre toutes les guerres contrerévolutionnaires et conféreront à la guerre actuelle le caractère d’une guerre pour la paix perpétuelle.

   Même si plus tard une nouvelle période de guerres survient, la paix perpétuelle dans le monde entier ne sera plus très éloignée.

   Dès que l’humanité aura supprimé le capitalisme, elle entrera dans l’ère de la paix perpétuelle et elle n’aura plus besoin de faire la guerre.

   Il n’y aura plus besoin d’armées, de vaisseaux de guerre, d’avions militaires ni de gaz toxiques. Dans tous les siècles des siècles, l’humanité ne connaîtra plus jamais de guerres.

   Les guerres révolutionnaires qui ont déjà commencé font partie de cette guerre pour la paix perpétuelle.

   La guerre entre la Chine et le Japon, qui ont ensemble une population de plus de 500 millions d’habitants, jouera un rôle important dans cette guerre pour la paix perpétuelle ; le peuple chinois y conquerra sa liberté.

   La Chine nouvelle, libérée, la Chine de l’avenir fera partie intégrante du monde nouveau, libéré, de l’avenir.

   C’est pourquoi notre Guerre de Résistance a le caractère d’une guerre pour la paix perpétuelle.

58 L’histoire montre que les guerres se divisent en deux catégories : les guerres justes et les guerres injustes.

   Toute guerre progressiste est juste et toute guerre qui fait obstacle au progrès est injuste.

   Nous autres communistes, nous luttons contre toutes les guerres injustes qui entravent le progrès, mais nous ne sommes pas contre les guerres progressistes, les guerres justes.

   Nous communistes, non seulement nous ne luttons pas contre les guerres justes, mais encore nous y prenons part activement.

   La Première guerre mondiale est un exemple de guerre injuste ; les deux parties y combattaient pour des intérêts impérialistes, et c’est pourquoi les communistes du monde entier s’y sont résolument opposés.

   Voici comment il faut lutter contre une telle guerre : avant qu’elle n’éclate, il faut faire tous les efforts possibles pour l’empêcher, mais une fois qu’elle a éclaté, il faut, dès qu’on le peut, lutter contre la guerre par la guerre, opposer à une guerre injuste une guerre juste.

    La guerre menée par le Japon est une guerre injuste, une guerre qui entrave le progrès. Les peuples du monde entier, y compris le peuple japonais, doivent lutter et luttent déjà contre elle.

   En Chine, depuis les masses populaires jusqu’au gouvernement, depuis le Parti communiste jusqu’au Kuomintang, tout le monde a levé l’étendard de la justice et poursuit une guerre révolutionnaire nationale contre l’agression.

   Notre guerre est une guerre sacrée, juste et progressiste ; son but est la paix, non pas la paix pour un seul pays, mais la paix pour tous les pays du monde, non pas une paix temporaire, mais une paix perpétuelle.

   Pour atteindre ce but, il faut mener une lutte à mort, il faut être prêt à accepter n’importe quel sacrifice et tenir jusqu’au bout ; il ne faut jamais cesser la lutte avant que le but soit atteint.

   Les pertes seront grandes, il faudra beaucoup de temps, mais devant nos yeux se dessine avec clarté l’image d’un monde nouveau où régneront pour toujours la paix et la lumière.

   Ce qui nous soutient dans cette guerre, c’est justement la conviction que nos efforts contribueront à faire naître la Chine nouvelle et le monde nouveau où régneront pour toujours la paix et la lumière.

   Les fascistes et les impérialistes veulent que les guerres se poursuivent indéfiniment.

   Quant à nous, nous voulons mettre un terme aux guerres dans un temps qui ne soit pas très éloigné.

   Il faut que la grande majorité des hommes fasse tout son possible pour atteindre ce but.

   Les 450 millions de Chinois représentent le quart de l’humanité.

   Si, par nos efforts unis, nous brisons l’impérialisme japonais et créons une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité, nous apporterons certainement une contribution considérable à la conquête de la paix perpétuelle dans le monde entier.

    Cet espoir n’est pas vain, car le cours du développement social et économique dans le monde nous en rapproche déjà ; et si la majorité des hommes redouble d’efforts, notre but sera sûrement atteint dans quelques dizaines d’années.

L’activité consciente dans la guerre

59 Tout ce que nous avons dit explique pourquoi la guerre sera de longue durée et pourquoi la victoire finale appartiendra à la Chine. Jusqu’à présent, nous nous sommes occupés principalement de savoir ce qui est exact et ce qui ne l’est pas.

   Passons maintenant à ce qu’il faut faire et à ce qu’il faut éviter de faire. Comment poursuivre une guerre de longue durée ? Comment remporter la victoire finale ?

   C’est à ces questions que nous allons répondre.

   Nous éclaircirons à cette fin les problèmes suivants : l’activité consciente dans la guerre ; la guerre et la politique ; la mobilisation politique dans la Guerre de Résistance ; les buts de la guerre ; les opérations offensives dans une guerre défensive, les opérations de décision rapide dans une guerre de longue durée et les opérations à l’extérieur des lignes dans la guerre à l’intérieur des lignes ; l’initiative, la souplesse et le plan d’action ; la guerre de mouvement, la guerre de partisans et la guerre de position ; la guerre d’usure et la guerre d’anéantissement ; la possibilité d’exploiter les erreurs de l’ennemi ; la décision dans la Guerre de Résistance ; l’armée et le peuple, artisans de la victoire. Commençons par la question de l’activité consciente.

60 Lorsque nous intervenons contre la façon subjective d’aborder les problèmes, nous voulons dire qu’il faut combattre les idées qui ne reposent pas sur la réalité objective et ne lui correspondent pas, qui sont en fait le fruit de l’imagination ou de faux raisonnements, et qui, mises en pratique, conduiraient à l’échec.

   Mais tout ce qui se fait est fait par l’homme.

   La guerre prolongée et la victoire finale ne se réaliseront pas en dehors de l’action des hommes. Pour que cette action soit efficace, il faut au préalable des hommes qui, partant de l’analyse de la réalité objective, conçoivent des idées, des principes, des vues, élaborent des plans, une ligne, une politique, une stratégie et une tactique.

   Les idées, les vues, etc. sont d’ordre subjectif, alors que la pratique ou les actions traduisent le subjectif dans l’objectif, mais les unes et les autres représentent l’activité propre à l’homme.

   Cette activité, nous l’appelons « activité consciente », et elle constitue une caractéristique qui distingue l’homme des autres êtres.

   Toutes les idées qui reposent sur la réalité objective et lui correspondent sont justes, et sont justes également toute pratique, toute action reposant sur des idées justes.

   Nous devons développer ces idées et ces actions, développer cette activité consciente.

   La Guerre de Résistance a pour but de chasser les impérialistes et de transformer l’ancienne Chine en une Chine nouvelle.

   Pour atteindre ce but, il est indispensable de mobiliser tout le peuple chinois et de donner un plein essor à son activité consciente dans la résistance contre le Japon.

   Si nous restions assis les bras croisés, nous serions asservis, il n’y aurait ni guerre prolongée ni victoire finale.

61 L’activité consciente est un trait distinctif de l’homme. Ce trait, l’homme le manifeste avec beaucoup de force dans la guerre.

   Il est vrai que l’issue de la guerre dépend d’un grand nombre de conditions propres à chacune des parties belligérantes, conditions militaires, politiques, économiques, géographiques, ainsi que du caractère de la guerre et de l’ampleur de l’aide internationale. Mais elle ne dépend pas uniquement de ces conditions.

   Ces conditions ne font que poser la possibilité de l’une ou de l’autre issue de la guerre. Par elles-­mêmes, elles ne font ni la victoire, ni la défaite.

   Pour amener la décision, il faut encore des efforts subjectifs ; ce sont la direction et la conduite des opérations, c’est l’activité consciente dans la guerre.

62 Ceux qui dirigent la guerre ne peuvent s’attendre à remporter la victoire en sortant du cadre défini par les conditions objectives, mais ils peuvent et ils doivent s’efforcer de remporter la victoire, par leur action consciente, dans ce cadre même.

   La scène où se déroulent leurs activités est bâtie sur ce qui est permis par les conditions objectives, mais ils peuvent, sur cette scène, conduire des actions magnifiques, d’une grandeur épique.

   S’appuyant sur les conditions matérielles objectives données, ceux qui dirigent notre Guerre de Résistance doivent montrer de quoi ils sont capables et mettre en œuvre toutes les forces dont ils disposent pour écraser l’ennemi de notre nation, changer la situation de notre société et de notre pays victimes de l’agression et de l’oppression, et édifier une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité.

   C’est ici que peut et doit s’exercer notre capacité subjective de diriger la guerre.

   Nous ne voulons pas que ceux qui dirigent notre Guerre de Résistance se détachent des conditions objectives et deviennent des têtes brûlées frappant à tort et à travers, mais nous tenons à ce qu’ils deviennent des capitaines courageux et clairvoyants.

   Ils ne doivent pas seulement avoir le courage d’écraser l’ennemi, ils doivent aussi savoir dominer tout le cours de la guerre, dans toutes ses vicissitudes et tous ses développements.

   Les chefs militaires, nageant dans l’immense océan de la guerre, doivent non seulement se garder de se noyer, mais encore être capables d’atteindre sûrement le rivage opposé à brasses mesurées.

   La stratégie et la tactique en tant que lois de la conduite de la guerre sont l’art de savoir nager dans l’océan de la guerre.

La guerre et la politique

63 « La guerre est la continuation de la politique. » En ce sens, la guerre, c’est la politique ; elle est donc en elle­-même un acte politique ; depuis les temps les plus anciens, il n’y a jamais eu de guerre qui n’ait eu un caractère politique.

   La Guerre de Résistance est une guerre révolutionnaire de toute la nation.

   La victoire y est inséparable des buts politiques de la guerre — expulsion des impérialistes japonais et édification d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité, inséparable de la ligne générale qui consiste à poursuivre résolument la guerre et à appliquer fermement la politique de front uni, inséparable de la mobilisation du peuple entier, inséparable des principes politiques de l’unité entre les officiers et les soldats, de l’unité entre l’armée et le peuple et de la désagrégation des troupes ennemies, inséparable de la bonne application de la politique de front uni, inséparable d’une mobilisation culturelle, inséparable des efforts pour s’assurer l’aide internationale et le soutien du peuple du pays ennemi.

   En un mot, il n’est pas possible de séparer une seule minute la guerre de la politique.

   Chez les militaires qui font la Guerre de Résistance, toute tendance à sous­-estimer la politique, en isolant la guerre de la politique et en considérant la guerre dans l’absolu, est erronée et doit être corrigée.

64 Mais la guerre a aussi ses caractères spécifiques. En ce sens, elle n’est pas identique à la politique en général. « La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens ».

   Une guerre éclate pour lever les obstacles qui se dressent sur la voie de la politique, quand celle­-ci a atteint un certain stade qui ne peut être dépassé par les moyens habituels.

   Par exemple, la situation de semi­-indépendance de la Chine est devenue un obstacle au développement de la politique de l’impérialisme japonais, le Japon a donc entrepris une guerre d’agression pour lever cet obstacle. Qu’en est­-il pour la Chine ?

   Il y a déjà longtemps que le joug impérialiste est devenu un obstacle sur la voie de la révolution démocratique bourgeoise en Chine.

   C’est pourquoi maintes guerres de libération s’y sont produites, qui ont traduit les efforts en vue d’éliminer cet obstacle.

   Le Japon recourt maintenant à la guerre pour opprimer la Chine dans l’intention de barrer complètement la route à l’essor de la révolution chinoise ; aussi sommes­-nous obligés de mener la Guerre de Résistance avec la ferme volonté de lever cet obstacle sur notre chemin.

   Lorsque l’obstacle est levé et le but politique atteint, la guerre prend fin.

   Tant que l’obstacle n’est pas complètement levé, il faut poursuivre la guerre jusqu’à ce qu’elle atteigne son but politique.

   S’il se trouvait par exemple des gens pour essayer d’entrer en compromis avec l’ennemi avant la réalisation des tâches de la Guerre de Résistance, il ne sortirait absolument rien de leurs tentatives ; car même si, pour une raison ou pour une autre, ils parvenaient à leurs fins, la guerre éclaterait de nouveau : les larges masses de la population n’accepteraient pas cette issue de la guerre et entreprendraient certainement de poursuivre cette guerre plus avant, jusqu’à complète réalisation de ses buts politiques.

   C’est pourquoi l’on peut dire que la politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre une politique avec effusion de sang.

65 Les caractères spécifiques de la guerre donnent naissance à un ensemble d’organismes spécifiques, à une série de méthodes spécifiques et à un processus particulier propres à la guerre.

   Les organismes de la guerre sont l’armée et tout ce qui s’y rapporte. Les méthodes sont la stratégie et la tactique qui servent à diriger les opérations militaires.

   Le processus est la forme spécifique d’activité sociale dans laquelle chacune des parties belligérantes attaque ou se défend en appliquant une stratégie et une tactique avantageuses pour elle­-même et désavantageuses pour l’adversaire.

   C’est pourquoi l’expérience de la guerre est une expérience spécifique. Tous ceux qui prennent part à la guerre doivent renoncer aux habitudes du temps de paix et s’adapter à la guerre, s’ils veulent y remporter la victoire.

La mobilisation politique dans la guerre de résistance

66 Dans une guerre révolutionnaire nationale aussi grandiose, il est impossible de remporter la victoire sans une mobilisation politique large et profonde.

   Ce fut pour la Chine un grand désavantage de ne pas avoir entrepris la mobilisation politique pour la Résistance avant le début de la guerre, et nous nous sommes de ce fait trouvés d’un pas en retard sur l’ennemi.

   Même quand la guerre eut commencé, la mobilisation politique fut bien loin de s’étendre à toutes les régions, sans parler de son manque de profondeur.

   Le peuple, dans sa majorité, a été averti de la guerre par le feu de l’artillerie et par les bombardements aériens de l’ennemi.

   Ce fut aussi une sorte de mobilisation, mais faite par l’ennemi à notre place et non par nous.

   Ceux qui vivent dans les régions éloignées et qui n’entendent pas la canonnade demeurent encore dans une tranquillité que rien ne trouble.

   Il faut absolument changer cette situation, sinon nous ne pouvons pas gagner cette guerre qui est pour nous une question de vie ou de mort.

   En aucun cas nous ne devons nous laisser encore distancer par l’ennemi, fût­-ce d’une seule foulée.

   Il nous faut, au contraire, pousser à fond la mobilisation politique, de façon à prendre le dessus sur l’ennemi. Bien des choses en dépendent.

   Que nous le cédions à l’ennemi en armement, entre autres choses, est secondaire, alors que la mobilisation politique est de toute première importance.

   Si tout le peuple est mobilisé, l’ennemi finira par être englouti dans cet océan humain ; alors seront également créées les conditions pour combler nos lacunes dans l’armement et dans d’autres domaines, et seront posées les prémisses pour surmonter toutes les difficultés de la guerre.

   Pour vaincre, il faut poursuivre la guerre résolument, s’en tenir fermement au front uni, s’engager avec résolution dans une guerre prolongée.

   Mais tout cela est impossible sans la mobilisation du peuple.

   Vouloir la victoire et négliger la mobilisation politique, c’est comme « vouloir aller vers le nord en dirigeant l’attelage vers le sud ».

   Il va de soi qu’il serait alors inutile de parler encore de victoire.

67 Qu’est­-ce que la mobilisation politique ? Avant tout, elle consiste à exposer à l’armée et au peuple les buts politiques de la guerre.

   Il faut que chaque soldat, chaque citoyen comprenne pourquoi on doit se battre, en quoi la guerre le touche personnellement.

   Les buts politiques de la Guerre de Résistance sont « l’expulsion des impérialistes japonais et l’édification d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité ».

   C’est en exposant ces buts à toute l’armée et à tout le peuple que l’on pourra faire naître chez eux l’enthousiasme pour la Résistance, et alors seulement ils apporteront entièrement, par centaines de millions, comme un seul homme, leur contribution à la guerre.

   Mais la seule explication des buts de la guerre ne suffit pas, il faut encore exposer clairement les mesures et la politique nécessaires pour atteindre ces buts ; autrement dit, il faut un programme politique.

   Actuellement, un « Programme en dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie » et un « Programme de résistance au Japon et de construction nationale » sont déjà élaborés ; il faut les populariser au sein de l’armée et du peuple et mobiliser l’armée et le peuple tout entiers pour traduire ces programmes dans la vie.

   Sans un programme politique précis et concret, il est impossible de mobiliser l’armée et le peuple tout entiers pour poursuivre jusqu’au bout la Guerre de Résistance.

   Mais cette mobilisation, comment la faire ?

   Par la parole, les tracts et les affiches, par les journaux, les brochures et les livres, par le théâtre et le cinéma, en utilisant les écoles, les organisations populaires et les cadres.

   Ce qu’on fait aujourd’hui dans les régions du Kuomintang n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan ; on le fait, d’ailleurs, d’une manière qui n’est pas du goût des masses populaires et dans un esprit qui leur est étranger.

   Il faut changer radicalement tout cela. Enfin, une seule campagne de mobilisation ne suffit pas.

   La mobilisation politique dans la Guerre de Résistance doit se poursuivre constamment.

   Il ne s’agit pas de réciter mécaniquement au peuple notre programme politique, car personne n’écoutera ; il faut lier la mobilisation politique au développement même de la guerre, à la vie des soldats et des simples gens ; il faut en faire un travail permanent.

   C’est une tâche d’une immense importance dont dépend en tout premier lieu la victoire.

Les buts de la guerre

68 Nous ne nous occuperons pas ici des buts politiques de la guerre ; les buts politiques de la Guerre de Résistance sont « l’expulsion des impérialistes japonais et l’édification d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité », nous en avons déjà parlé plus haut.

   Nous aborderons ici les buts fondamentaux de la guerre, de la guerre en tant que politique avec effusion de sang, en tant que destruction mutuelle de deux armées opposées.

   La guerre n’a d’autre but que « de conserver ses forces et d’anéantir celles de l’ennemi » (anéantir les forces de l’ennemi, c’est les désarmer, « les priver de toute capacité de résistance », et non pas les anéantir toutes physiquement).

   Dans l’antiquité, on se servait, pour faire la guerre, de lances et de boucliers : la lance servait à attaquer et à anéantir l’ennemi, le bouclier à se défendre et à se conserver soi-même.

   Jusqu’à nos jours, c’est du développement de ces deux types d’armes que résultent toutes les autres.

   Les bombardiers, les mitrailleuses, l’artillerie à longue portée, les gaz toxiques sont des développements de la lance, et les abris, les casques d’acier, les fortifications bétonnées, les masques à gaz, des développements du bouclier.

   Les chars d’assaut sont une nouvelle arme, où se trouvent combinés la lance et le bouclier.

   L’attaque est le moyen principal pour anéantir les forces de l’ennemi, mais l’on ne saurait se passer de la défense.

   L’attaque vise à anéantir directement les forces de l’ennemi, et en même temps à conserver ses propres forces, car si l’on n’anéantit pas l’ennemi, c’est lui qui vous anéantira.

   La défense sert directement à la conservation des forces, mais elle est en même temps un moyen auxiliaire de l’attaque ou un moyen de préparer le passage à l’attaque.

   La retraite se rapporte à la défense, elle en est le prolongement, tandis que la poursuite est la continuation de l’attaque.

   Il est à noter que, parmi les buts de la guerre, l’anéantissement des forces de l’ennemi est le but principal, et la conservation de ses propres forces le but secondaire, car on ne peut assurer efficacement la conservation de ses forces qu’en anéantissant massivement les forces de l’ennemi.

   Il en résulte que l’attaque, en tant que moyen fondamental pour anéantir les forces de l’ennemi, joue le rôle principal et que la défense, en tant que moyen auxiliaire pour anéantir les forces de l’ennemi et en tant que l’un des moyens pour conserver ses propres forces, joue le rôle secondaire.

   Bien qu’en pratique on recoure dans beaucoup de situations surtout à la défense et, dans les autres, surtout à l’attaque, celle-­ci n’en reste pas moins le moyen principal, si l’on considère le déroulement de la guerre dans son ensemble.

69 Comment expliquer l’exhortation au sacrifice héroïque dans la guerre ? N’est­-ce pas en contradiction avec l’exigence de la « conservation de ses forces » ?

   Non, cela n’est pas en contradiction. Ce sont des contraires qui cependant se conditionnent l’un l’autre.

   La guerre est une politique sanglante, pour laquelle il faut payer, et souvent très cher. Sacrifier (ne pas conserver) partiellement et temporairement ses forces vise à conserver l’ensemble des forces pour toujours.

   C’est justement pour cela que nous avons dit que l’attaque, qui est essentiellement un moyen destiné à anéantir les forces de l’ennemi, permet en même temps de conserver nos propres forces. C’est également pour cette raison que la défense doit être accompagnée de l’attaque et ne doit pas être une défense pure et simple.

70 La conservation de ses propres forces et l’anéantissement des forces de l’ennemi en tant que buts de la guerre constituent l’essence même de la guerre et le fondement de tout acte de guerre.

   Cette essence de la guerre en pénètre toutes les activités, depuis les procédés techniques jusqu’à la stratégie.

   Les buts de la guerre que nous venons d’indiquer représentent le principe fondamental de la guerre ; tout concept ou principe d’ordre technique, tactique, opérationnel ou stratégique en est absolument inséparable.

   Que signifie, par exemple, dans le tir, « se couvrir soi­-même et exploiter sa puissance de feu » ?

   Le premier point est nécessaire pour conserver ses forces et le second pour anéantir l’ennemi.

   Le premier point a donné naissance à des méthodes telles que la mise à profit du relief et des autres accidents du terrain, l’avance par bonds, la disposition des troupes en ordre dispersé, et le second à d’autres méthodes comme le déblayage du champ de tir, l’organisation du système de feu.

   Quant aux forces de choc, aux forces de fixation et aux réserves employées en tactique, les premières sont destinées à l’anéantissement des forces de l’ennemi, les deuxièmes à la conservation de ses propres forces, les troisièmes, suivant la situation, à l’un ou à l’autre, soit à l’anéantissement de l’ennemi (elles appuient alors les forces de choc ou servent à poursuivre l’ennemi), soit à la conservation de ses propres forces (elles soutiennent alors les forces de fixation ou servent de forces de couverture).

   Ainsi, aucun principe, aucune action d’ordre technique, tactique, opérationnel ou stratégique ne peut en quoi que ce soit s’écarter des buts de la guerre, et ceux­-ci régissent la guerre dans son ensemble et en orientent le cours du début à la fin.

71 Dans la conduite de la Guerre de Résistance, il faut que les commandants à tous les échelons ne perdent de vue ni les caractéristiques fondamentales, réciproquement contraires de la Chine et du Japon ni les buts de la guerre.

   Ces caractéristiques fondamentales, réciproquement contraires, des deux pays se manifestent dans la lutte de chaque partie pour la conservation de ses propres forces et l’anéantissement des forces adverses.

   Le problème consiste, pour nous, à faire, dans chaque combat, tous nos efforts pour remporter une victoire, qu’elle soit grande ou petite, pour désarmer une partie des troupes de l’ennemi et pour détruire une partie de ses forces humaines et matérielles.

   L’accumulation de ces succès partiels dans l’anéantissement de l’ennemi nous vaudra de grandes victoires stratégiques qui nous permettront d’atteindre nos buts politiques : l’expulsion définitive de l’ennemi hors du pays, la défense de la patrie et l’édification d’une Chine nouvelle.

Les opérations offensives dans une guerre défensive, les opérations de décision rapide dans une guerre de longue durée et les opérations à l’extérieur des lignes dans la guerre à l’intérieur des lignes

72 Passons maintenant à l’étude de la stratégie concrète de la Guerre de Résistance.

   Nous avons déjà dit que notre stratégie dans la Guerre de Résistance est celle d’une guerre prolongée et cela est absolument exact.

   Mais c’est là une façon générale de définir cette stratégie et non une façon concrète.

   Nous allons donc examiner cette question : Comment faut­-il conduire d’une façon concrète la guerre prolongée ?

   Voici notre réponse : à la première et à la deuxième étape, quand l’ennemi pratique l’offensive, puis passe à la consolidation des territoires occupés, nous devons mener des campagnes et des combats offensifs dans la défense stratégique, des campagnes et des combats de décision rapide tout en poursuivant en stratégie une guerre de longue durée, des campagnes et des combats à l’extérieur des lignes tout en nous trouvant sur le plan stratégique à l’intérieur des lignes.

   Dans la troisième étape, nous passerons à la contre­-offensive stratégique.

73 Etant donné que le Japon est un puissant Etat impérialiste et que nous sommes un pays faible, semi-­colonial et semi­-féodal, le Japon poursuit une offensive stratégique et nous­-mêmes nous nous trouvons sur la défensive stratégique.

   Le Japon cherche à appliquer la stratégie de la guerre de décision rapide et nous, nous devons adopter consciemment la stratégie d’une guerre prolongée.

   Le Japon se sert d’une armée terrestre de plusieurs dizaines de divisions (actuellement, elle s’élève déjà à trente divisions) d’une capacité de combat relativement forte, ainsi que d’une partie de sa flotte de guerre pour encercler la Chine et en faire le blocus sur terre et sur mer, et il utilise son aviation militaire pour la bombarder.

   Actuellement, son armée terrestre s’est déjà installée sur un large front, de Paoteou à Hangtcheou, sa flotte atteint les côtes des provinces du Foukien et du Kouangtong ; ainsi ses opérations à l’extérieur des lignes ont pris une grande ampleur.

   Quant à nous, nous faisons la guerre à l’intérieur des lignes.

   Tout cela résulte du fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles. Tel est l’un des aspects de la situation.

74 Mais, d’un autre côté, nous voyons un tableau tout à fait contraire. Bien que le Japon soit fort, il manque de troupes, et bien que la Chine soit faible, elle dispose d’un immense territoire, d’une forte population et d’une armée nombreuse.

   Deux conséquences importantes en découlent : premièrement, comme l’ennemi, avec une armée peu nombreuse, est entré dans un grand pays, il ne pourra y occuper qu’une partie des grandes villes, des principales voies de communication et certaines régions de plaine.

   Ainsi, il subsistera dans les régions prises par l’ennemi de vastes territoires que celui­ci ne sera pas en état d’occuper, ce qui nous procurera un vaste champ d’action pour les opérations de partisans.

   Si nous considérons la Chine dans son ensemble, à supposer même que l’ennemi parvienne à occuper la ligne Canton­, Wouhan et ­Lantcheou et les régions attenantes, il lui sera très difficile de s’emparer des régions au-delà de cette ligne, ce qui donnera à la Chine un arrière général et des bases d’importance vitale pour poursuivre une guerre prolongée et remporter finalement la victoire.

   Deuxièmement, comme l’ennemi oppose des forces peu nombreuses à une armée importante, il se trouvera nécessairement encerclé.

   Stratégiquement, comme il nous attaque de plusieurs directions, l’ennemi se trouve à l’extérieur des lignes tandis que nous sommes à l’intérieur, il fait une guerre offensive alors que nous sommes sur la défensive ; tout cela peut sembler fort désavantageux pour nous.

   En réalité, nous avons la possibilité de mettre à profit nos deux avantages : l’étendue de notre territoire et l’importance numérique de notre armée, et, au lieu de poursuivre obstinément une guerre de position, nous pouvons appliquer avec souplesse les méthodes de la guerre de mouvement, en opposant à une seule division de l’ennemi plusieurs de nos divisions, à une dizaine de milliers de ses combattants plusieurs dizaines de milliers des nôtres, en fondant de plusieurs directions sur une seule colonne de l’ennemi pour l’encercler soudain et l’attaquer à l’extérieur des lignes.

   De cette manière, l’ennemi, qui, sur le plan stratégique, opère à l’extérieur des lignes et mène l’offensive, en sera réduit, lors des campagnes et des combats, à agir à l’intérieur des lignes et à passer à la défensive.

   En revanche, nos troupes, qui, sur le plan stratégique, opèrent à l’intérieur des lignes et se trouvent sur la défensive, agiront lors des campagnes et des combats à l’extérieur des lignes et attaqueront.

   C’est ainsi qu’il convient d’agir face à l’avance d’une, voire de toute colonne ennemie.

   Les deux conséquences que nous venons d’indiquer découlent de cette particularité que l’ennemi est un petit pays et la Chine un grand pays.

   D’autre part, l’armée ennemie est peu nombreuse, mais forte (par son armement et par sa préparation militaire), et notre armée est nombreuse, mais faible (du point de vue de l’armement et de sa préparation militaire mais non pas de son moral) ; c’est pourquoi, dans les campagnes et les combats, nous ne devons pas seulement nous servir de notre supériorité numérique pour opérer à l’extérieur des lignes en contraignant l’ennemi à se battre à l’intérieur des lignes, mais aussi adopter le principe des opérations de décision rapide.

   Pour aboutir à une décision rapide, il faut attaquer l’ennemi en marche et nous garder en général de frapper ses unités en cantonnement.

   Nous devons rassembler d’avance et secrètement des forces puissantes des deux côtés de la route que doit suivre l’ennemi et nous jeter sur lui inopinément lorsqu’il est en marche, l’encercler et l’attaquer sans lui donner le temps de reprendre ses esprits et terminer le combat rapidement.

   Si le coup porté réussit, nous aurons anéanti soit toutes les forces de l’ennemi, soit la plus grande partie, soit une partie quelconque de ses forces.

   Et même si le combat tourne moins bien, l’ennemi n’en aura pas moins subi de lourdes pertes en blessés et en tués.

   Il doit en être ainsi dans chacun de nos combats.

   Sans avoir de prétentions excessives, si nous arrivons, ne serait-­ce qu’une fois par mois, à remporter une victoire relativement importante, comme celle de Pinghsingkouan ou celle de Taieultchouang, cela affaiblira considérablement le moral de l’ennemi, exaltera celui de notre armée et nous attirera des sympathies dans le monde entier.

   Ainsi, notre stratégie, orientée vers une guerre prolongée, se traduira sur les champs de bataille par des opérations de décision rapide, et l’ennemi, dont la stratégie visait à une décision rapide, se trouvera contraint d’en venir, à la suite d’un grand nombre de défaites dans les campagnes et les combats, à une guerre de longue durée.

75 Le principe opérationnel pour les campagnes et les combats que nous venons de définir peut se résumer dans la formule : « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes ».

   Il est à l’opposé de notre stratégie : « opérations défensives de longue durée à l’intérieur des lignes », mais il est précisément indispensable à l’application de cette stratégie.

   Si nous menions également, dans les campagnes et les combats, des « opérations défensives de longue durée à l’intérieur des lignes », ainsi qu’on l’a fait par exemple au début de la Guerre de Résistance, cela ne répondrait absolument pas à cette double condition que le pays ennemi est petit et le nôtre grand, et que l’ennemi est fort alors que nous sommes faibles.

   Jamais, en ce cas, nous n’atteindrions notre but stratégique d’une guerre prolongée, et nous serions vaincus.

   Voilà pourquoi nous avons toujours préconisé l’organisation des forces du pays en un certain nombre de puissantes armées de campagne, chacune faisant face à une des armées de campagne de l’ennemi mais avec un effectif deux, trois ou quatre fois plus élevé que celle­-ci, de façon à engager l’ennemi, sur de vastes théâtres de guerre, dans des opérations conformes au principe exposé ci­-dessus.

   Ce principe peut et doit être adopté non seulement pour les opérations de l’armée régulière, mais aussi pour la guerre de partisans.

   Il est valable non seulement pour une certaine étape de la guerre, mais pour toute la durée de la guerre.

   A l’étape de la contre­-offensive stratégique, lorsque notre équipement technique se sera amélioré et que nous ne serons plus du tout dans la situation du faible s’opposant au fort, si nous continuons à réaliser, avec des forces supérieures en nombre, des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, nous aurons encore plus largement la possibilité de capturer en grande quantité prisonniers et matériel. Supposons par exemple que nous opposions à une division motorisée de l’ennemi deux, trois ou quatre de nos divisions motorisées, nous serions encore plus sûrs d’anéantir cette division.

   Plusieurs solides gaillards ont facilement raison d’un seul. C’est une vérité élémentaire.

76 Si nous menons résolument des « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes » sur les champs de bataille, nous modifierons en notre faveur le rapport des forces, non seulement sur ces champs de bataille, mais progressivement dans l’ensemble de la guerre.

   Sur les champs de bataille, il faut que nous attaquions et que l’ennemi se défende, que nous opérions avec des forces supérieures à l’extérieur des lignes et que l’ennemi, inférieur en nombre, combatte à l’intérieur des lignes, que nous recherchions une décision rapide et que l’ennemi ne soit pas en mesure de faire durer les combats pour attendre l’arrivée des renforts ; alors, de fort qu’il était, l’ennemi deviendra faible et perdra sa supériorité, tandis que nous-­mêmes, de faibles que nous étions, deviendrons forts et conquerrons la supériorité.

   Après de nombreux combats à l’issue victorieuse, notre situation générale par rapport à l’ennemi se modifiera.

   Cela signifie qu’en remportant un grand nombre de victoires sur les champs de bataille lors d’opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, nous accroîtrons nos forces peu à peu et peu à peu nous affaiblirons l’ennemi, ce qui ne manquera pas d’agir sur le rapport général des forces et d’y provoquer des changements.

   Quand nous en serons là, ces changements nous assureront, avec d’autres facteurs de notre propre situation, avec les modifications dans la situation intérieure de l’ennemi et avec une situation internationale favorable, la possibilité d’arriver à l’équilibre des forces, puis à la supériorité sur l’ennemi.

   C’est alors que sonnera l’heure de notre contre-­offensive et de l’expulsion de l’ennemi hors de notre pays.

77 La guerre, c’est une compétition de forces, mais au cours de la guerre, ces forces elles-­mêmes se modifient par rapport à ce qu’elles étaient au début.

   Les efforts subjectifs pour remporter le plus grand nombre possible de victoires et commettre le moins possible d’erreurs constituent ici le facteur décisif.

   Les conditions objectives donnent la possibilité de telles modifications, mais pour que cette possibilité passe dans la réalité, il faut une ligne juste et des efforts subjectifs. C’est, dans ce cas, le facteur subjectif qui joue le rôle décisif.

L’initiative, la souplesse et le plan d’action

78 Dans les opérations offensives de décision rapide menées à l’extérieur des lignes au cours des campagnes et des combats, telles qu’elles ont été définies plus haut, le point crucial est l’offensive.

   « A l’extérieur des lignes » désigne la sphère de l’offensive, et « décision rapide » la durée de l’offensive.

   D’où l’expression « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes ».

   C’est le meilleur principe pour la conduite d’une guerre prolongée et c’est aussi le principe de ce qu’on appelle la guerre de mouvement.

   Toutefois, on ne saurait appliquer ce principe sans faire preuve d’initiative et de souplesse et sans avoir un plan. Examinons donc maintenant ces trois questions.

79 Nous avons déjà parlé plus haut de l’activité consciente. Pourquoi envisageons-­nous maintenant la question de l’initiative ?

   Comme on l’a dit plus haut, il faut entendre par activité consciente les actes et les efforts conscients en tant qu’ils sont le propre de l’homme, et tels qu’ils se manifestent avec une force toute particulière dans la guerre.

   En ce qui concerne l’initiative, dont il s’agit maintenant, elle signifie la liberté d’action des troupes, par opposition à la privation de cette liberté imposée par la situation.

   La liberté d’action est une nécessité vitale pour l’armée. Une armée qui l’a perdue est tout près de la défaite ou de la destruction. Un soldat est désarmé pour avoir perdu sa liberté d’action et avoir été réduit à la passivité.

   La défaite d’une armée a la même cause.

   C’est pour cela que les deux parties belligérantes luttent énergiquement pour l’initiative et repoussent la passivité de toute leur force.

   On peut dire que les opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, que nous préconisons, ainsi que la souplesse et le plan d’action nécessaires à leur réalisation visent à conquérir l’initiative et à réduire l’ennemi à la passivité, pour conserver nos forces et détruire celles de l’ennemi.

   Mais l’initiative et la passivité sont respectivement inséparables de la supériorité ou de l’infériorité des forces, et, par conséquent, inséparables d’une direction subjective juste ou erronée.

   En outre, il est possible d’acquérir l’initiative et de réduire l’ennemi à la passivité en profitant de son erreur de jugement et en usant de surprise. Nous allons examiner ces questions.

80 L’initiative est inséparable de la supériorité des forces, alors que la passivité est conditionnée par l’infériorité des forces.

   Cette supériorité et cette infériorité constituent respectivement la base objective de l’initiative et de la passivité.

   Il est évident que, sur le plan stratégique, on peut plus facilement obtenir et développer l’initiative au moyen d’opérations offensives, mais que l’on ne peut arriver à détenir l’initiative durant toute la guerre et sur tous les fronts, c’est­-à-­dire l’initiative absolue, que si l’on dispose de la supériorité absolue des forces contre un adversaire dont l’infériorité est absolue. Dans un corps à corps, un homme fort et robuste aura l’initiative absolue sur un grand malade.

   Si le Japon n’était pas aux prises avec tant de contradictions insurmontables, s’il pouvait, par exemple, mettre sur pied d’un seul coup une immense armée de quelques millions d’hommes, voire d’une dizaine de millions d’hommes, si ses ressources financières étaient plusieurs fois ce qu’elles sont actuellement, s’il ne se heurtait pas aux sentiments hostiles des masses populaires de son pays et des Etats étrangers, et si enfin il n’avait pas appliqué une politique barbare qui a incité le peuple chinois à entre­prendre une lutte à mort, il pourrait s’assurer la supériorité absolue des forces et disposer de l’initiative absolue pour toute la durée de la guerre et sur tous les fronts.

   Mais l’histoire montre que cette supériorité absolue des forces ne s’observe qu’à la fin d’une guerre ou d’une campagne, tandis qu’on ne la rencontre que très rarement au début.

   Par exemple, pendant la Première guerre mondiale, à la veille de la capitulation de l’Allemagne, les pays de l’Entente avaient acquis la supériorité absolue, alors que l’Allemagne était réduite à l’infériorité absolue; en conséquence, l’Allemagne fut vaincue et les pays de l’Entente remportèrent la victoire.

   C’est là un exemple de supériorité et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une guerre.

   Un autre exemple : à la veille de notre victoire à Taieultchouang, les troupes japonaises, qui s’y trouvaient alors isolées, furent réduites, après de durs combats, à l’infériorité absolue des forces, tandis que nos troupes acquirent la supériorité absolue, en raison de quoi l’ennemi subit une défaite et nous remportâmes la victoire.

   C’est là un exemple de supériorité et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une campagne.

   Il arrive également qu’une guerre ou une campagne s’achève dans une situation de supériorité et d’infériorité relatives ou d’équilibre.

   Dans ce cas, la guerre conduit à un compromis, et la campagne à la stabilisation du front. Mais dans la plupart des cas, c’est la supériorité et l’infériorité absolues qui décident de la victoire et de la défaite.

   Tout cela se rapporte à la période finale d’une guerre ou d’une campagne et non à leur début.

   On peut dire d’avance que, à la fin de la guerre sino-­japonaise, le Japon sera vaincu par suite de l’infériorité absolue de ses forces et que la Chine vaincra grâce à la supériorité absolue des siennes.

   Mais, en ce moment, la supériorité ou l’infériorité des forces de l’une ou de l’autre partie n’est pas absolue, elle est relative.

   Les avantages d’une puissante armée, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat ont assuré au Japon la supériorité sur la Chine, qui a une armée faible, une économie faible, un appareil d’Etat faible, et ont créé la base de l’initiative dont il dispose.

   Mais comme le potentiel militaire et autre du Japon est quantitativement insuffisant et que plusieurs autres facteurs lui sont défavorables, sa supériorité s’est trouvée réduite par ses propres contradictions.

   Elle l’a été plus encore, quand le Japon s’est heurté en Chine à des facteurs tels que l’étendue de notre territoire, l’immensité de notre population, l’importance numérique de notre armée et la résistance acharnée de toute la nation.

   Ainsi, la supériorité du Japon a pris, dans l’ensemble, un caractère relatif, et son aptitude à prendre et à conserver l’initiative, qui ne peut plus s’exercer que dans certaines limites, est donc devenue, elle aussi, relative.

   En ce qui concerne la Chine, il est vrai que, dans une certaine mesure, elle se trouve dans une position passive au point de vue stratégique, en raison de l’infériorité de ses forces, mais elle est supérieure au Japon par l’étendue de son territoire, le chiffre de sa population et l’effectif de ses troupes, ainsi que par le patriotisme de son peuple et le moral de son armée. Jointes aux autres facteurs favorables, ces circonstances réduisent l’importance de l’infériorité militaire, économique, etc. de la Chine et en font, sur le plan stratégique, une infériorité relative.

   Cela aussi diminue le degré de passivité de la Chine et donne à sa position stratégique le caractère d’une passivité purement relative. Cependant, comme toute passivité est nuisible, il faut que nous fassions les plus grands efforts pour en sortir.

   Au point de vue militaire, le moyen d’y réussir, c’est de mener résolument des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, de développer la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi et d’arriver ainsi à nous assurer une supériorité locale écrasante et l’initiative au cours de nombreuses campagnes dans la guerre de mouvement et la guerre de partisans.

   C’est en acquérant ainsi, dans un grand nombre de campagnes, la supériorité et l’initiative locales que nous obtiendrons peu à peu la supériorité et l’initiative sur le plan stratégique, et pourrons nous dégager de notre infériorité et de notre passivité stratégiques.

   Telle est la relation entre l’initiative et la passivité, entre la supériorité et l’infériorité des forces.

81 Nous pouvons alors comprendre aussi quel est le rapport entre l’initiative ou la passivité et la direction subjective de la guerre.

   Comme nous l’avons déjà dit, nous pouvons sortir de notre infériorité et de notre passivité stratégiques relatives en nous assurant, dans un grand nombre de campagnes, la supériorité et l’initiative locales, de façon à arracher à l’ennemi la supériorité et l’initiative sur le plan local et à le condamner à l’infériorité et à la passivité.

   L’ensemble de ces succès locaux nous permettront d’acquérir la supériorité et l’initiative stratégiques, et l’ennemi se trouvera réduit à l’infériorité et à la passivité stratégiques.

   La possibilité d’un tel tournant dépend d’une direction subjective juste.

   Pourquoi ?

   Parce que l’ennemi, comme nous­-mêmes, s’efforce de conquérir la supériorité et l’initiative.

   En ce sens, la guerre est une compétition portant sur la capacité subjective du commandement de chacune des deux armées en présence à créer la supériorité des forces et à acquérir l’initiative, à partir de conditions matérielles données telles que les forces militaires et les ressources financières.

   De cette compétition l’une des parties sort victorieuse, et l’autre vaincue. Si l’on fait abstraction des conditions matérielles objectives, le vainqueur devra nécessairement son succès à une direction subjective juste, et le vaincu sa défaite à une direction subjective erronée.

   Nous reconnaissons qu’il est beaucoup plus difficile de s’orienter dans la guerre que dans n’importe quel autre phénomène social, qu’elle comporte moins de certitude, c’est­-à­-dire qu’elle est encore plus une question de « probabilité ».

   Cependant, elle n’a rien de surnaturel, elle n’est qu’un événement de la vie soumis à des lois définies.

   Voilà pourquoi la règle de Souentse : « Connais ton adversaire et connais-toi toi­-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles » reste une vérité scientifique.

[Souentse (Souen Wou), ou encore Zun Tzu, célèbre stratège et théoricien militaire chinois du Ve siècle av. J.­C., auteur du traité Souentse en 13 chapitres. Cette citation est extraite du « Plan de l’attaque », Souentse, chapitre III.]

   Les erreurs viennent de ce que l’on ne connaît pas l’ennemi et qu’on ne se connaît pas soi­-même ; d’ailleurs, en bien des cas, le caractère spécifique de la guerre ne nous permet pas de connaître parfaitement et l’ennemi et nous­-mêmes, d’où l’incertitude dans l’appréciation de la situation militaire et dans les actions militaires, d’où les erreurs et les défaites.

   Mais, quelles que soient dans une guerre la situation et les actions militaires, il est toujours possible d’en connaître les aspects généraux, les traits fondamentaux.

   Grâce aux reconnaissances, puis à des déductions et jugements sagaces, le commandant peut parfaitement réduire le nombre des erreurs et exercer une direction généralement bonne.

   Munis de cette arme d’une « direction généralement bonne », nous pourrons remporter un plus grand nombre de victoires, transformer notre infériorité en supériorité et notre passivité en initiative.

   Tel est le rapport entre l’initiative ou la passivité et une bonne ou une mauvaise direction de la guerre.

82 Cette affirmation qu’une bonne direction peut transformer l’état d’infériorité et la passivité en un état de supériorité et en initiative autant qu’une mauvaise direction peut aboutir à un changement contraire devient encore plus évidente si l’on considère dans l’histoire les exemples de défaites subies par des armées puissantes à l’effectif nombreux et de victoires remportées par des armées faibles à l’effectif peu nombreux.

   Ces exemples sont multiples dans l’histoire de la Chine et d’autres pays.

   On peut citer dans l’histoire de la Chine : la bataille de Tchengpou entre les Tsin et les Tchou.

[Tchengpou est situé dans le sud­ouest de l’actuel district de Kiuantcheng, province du Chantong. En 632 av. J.­C., il s’y déroula une grande bataille entre les troupes des principautés de Tsin et de Tchou.

Au début de la guerre, l’armée de Tchou avait le dessus. L’armée de Tsin recula de 90 lis et, prenant pour cible les flancs droit et gauche, points faibles de l’armée de Tchou, elle lui porta des coups puissants; l’armée de Tchou subit alors une lourde défaite.]

Au début de la guerre, l’armée de Tchou avait le dessus. L’armée de Tsin recula de 90 lis et, prenant pour cible les flancs droit et gauche, points faibles de l’armée de Tchou, elle lui porta des coups puissants ; l’armée de Tchou subit alors une lourde défaite., la bataille de Tchengkao entre les Tchou et les Han, la bataille au cours de laquelle Han Sin vainquit les Tchao, la bataille de Kouenyang entre les Sin et les Han, la bataille de Kouantou opposant Yuan Chao et Tsao Tsao, la bataille de Tchepi entre les Wou et les Wei, la bataille de Yiling entre les Wou et les Chou, la bataille de Feichouei entre les Ts’in et les Tsin.

[En l’an 204 av. J.­C., les troupes des Han, sous le commandement de Han Sin, livrèrent bataille à l’armée de Tchao Hsié à Tsingking. L’armée de Tchao Hsié, qui comptait, dit­on, 200.000 hommes, l’emportait de plusieurs fois en nombre sur les troupes des Han. Han Sin disposa ses troupes devant un cours d’eau; coupées de leur retraite, elles combattirent avec acharnement. En même temps, Han Sin envoya une partie de ses troupes porter un coup par surprise à l’arrière, mal protégé, de l’armée de Tchao Hsié. Prise ainsi comme dans une tenaille, l’armée de Tchao Hsié subit une lourde défaite.]

Dans l’histoire des autres pays, on peut prendre comme exemples la plupart des batailles de Napoléon et la guerre civile en U.R.S.S. après la Révolution d’Octobre.

   Dans tous ces cas, il y a eu victoire d’une petite armée sur une grande, de forces inférieures sur des forces supérieures.

   Chaque fois, l’armée la plus petite, la plus faible savait opposer des forces supérieures à des forces inférieures de l’ennemi en un point donné et y conquérir l’initiative ; après avoir remporté ainsi une première victoire, elle se tournait vers son objectif suivant, écrasait les unes après les autres les forces de l’ennemi et transformait ainsi la situation générale en arrachant partout la supériorité et l’initiative.

   Le cas de l’ennemi était inverse : il détenait au début la supériorité des forces et l’initiative, mais par suite des erreurs subjectives commises par sa direction et de ses contradictions internes, il pouvait perdre entièrement une position excellente ou une position relativement bonne dans laquelle il avait la supériorité et l’initiative, et devenir en quelque sorte un général sans armée, un roi sans couronne.

   Il en résulte que, si la supériorité ou l’infériorité dans la guerre est la base objective dont dépend l’initiative ou la passivité, cette supériorité ou cette infériorité ne constitue pas en elle­-même l’initiative ou la passivité dans la réalité ; l’initiative ou la passivité ne devient effective que par la lutte, par la confrontation des capacités subjectives.

   Au cours de la lutte, l’infériorité peut se transformer en supériorité, la passivité en initiative et vice versa, selon que la guerre est bien ou mal dirigée.

   Le fait qu’aucune dynastie régnante n’a jamais pu venir à bout des armées révolutionnaires montre que la supériorité des forces à elle seule ne suffit pas à assurer l’initiative, ni, à plus forte raison, ne garantit la victoire finale.

   Ceux qui sont en état d’infériorité et se trouvent dans la passivité peuvent arracher l’initiative et la victoire à ceux qui détiennent la supériorité des forces et l’initiative, si, s’appuyant sur la situation réelle, ils déploient une grande activité subjective pour créer certaines conditions indispensables.

83. On peut perdre la supériorité des forces et l’initiative quand on se trouve désorienté par l’adversaire et qu’on est pris au dépourvu.

   C’est pourquoi, chercher systématiquement à désorienter l’ennemi et à le prendre au dépourvu est un moyen, très important du reste, pour obtenir la supériorité sur lui et lui arracher l’initiative.

   Que signifie être désorienté ? « Prendre des buissons et des arbres du mont Pakong pour des soldats ».

En l’an 383, Fou Kien, chef de Ts’in, ayant sous­estimé la force des armées des Tsin, les attaqua. L’armée des Tsin défit l’avant­garde de Ts’in au Louokien, dans le district de Cheouyang, province de l’Anhouei, et poursuivit ensuite son offensive par terre et par eau. Fou Kien monta sur la citadelle de Cheouyang et porta ses regards en direction de l’ennemi.

Il vit que l’armée des Tsin s’était disposée entièrement en ordre de bataille. Puis, lorsqu’il regarda en direction du mont Pakong, les arbres et les buissons lui semblèrent être des soldats. Croyant qu’il avait devant lui un puissant ennemi, il fut saisi de peur.

   Et « faire des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre » est un des moyens de désorienter l’ennemi.

   Lorsque nous bénéficions du soutien des masses au point que les informations ne peuvent filtrer dans le camp de l’ennemi, nous réussissons souvent, en utilisant diverses méthodes pour tromper l’ennemi, à le placer dans des situations difficiles où il est amené à porter des jugements faux, à entreprendre des actions erronées, qui lui font perdre et la supériorité et l’initiative.

   C’est de cela justement qu’il s’agit quand on dit : « La guerre ne répugne à aucune ruse ».

   Que signifie être pris au dépourvu ?

   C’est se trouver sans préparation. Sans préparation, la supériorité des forces n’est pas une véritable supériorité et on ne peut pas non plus avoir l’initiative.

   Si l’on comprend cette vérité, des troupes, inférieures en force mais prêtes, peuvent souvent, par une attaque inopinée, battre un ennemi supérieur.

   Nous disons qu’il est plus facile de porter des coups à un ennemi en marche, parce qu’il se trouve pris au dépourvu, c’est­-à-­dire non préparé.

   Le principe de ces deux procédés : désorienter l’ennemi et l’attaquer par surprise est de contraindre l’ennemi à agir dans des conditions pour lui mal définies et de nous assurer le plus possible de certitude, ce qui nous permet d’acquérir la supériorité des forces et l’initiative, et de remporter la victoire.

   Une bonne organisation des masses est la condition première de tout cela.

   Il est donc extrêmement important pour nous de soulever tous les simples gens, qui sont contre l’ennemi, de les armer tous, sans exception, afin qu’ils puissent effectuer partout des raids contre l’ennemi et, en même temps, empêcher la fuite des informations dans le camp de l’ennemi et couvrir notre armée ; ainsi, l’ennemi ne pourra savoir où et quand nos forces s’apprêteront à lui porter des coups, et une base objective sera créée pour désorienter l’ennemi et pour le prendre au dépourvu.

   Autrefois, au temps de la Guerre révolutionnaire agraire, c’est dans une grande mesure grâce au soutien des masses populaires armées et organisées que l’Armée rouge chinoise a réussi à remporter bien des victoires avec de faibles effectifs.

   Logiquement, nous devrions pouvoir compter sur un soutien encore plus large des masses populaires dans la guerre nationale que dans la Guerre révolutionnaire agraire, mais, par suite d’erreurs commises dans le passé, les masses populaires ne sont pas organisées et nous ne pouvons, sans un travail préparatoire, les entraîner à nous aider ; souvent même, c’est l’ennemi qui se sert d’elles.

   Seule une mobilisation large et résolue des masses populaires nous donnera des ressources inépuisables pour répondre à tous les besoins de la guerre.

   Et cette mobilisation jouera certainement un grand rôle dans l’application de notre tactique visant à vaincre l’ennemi en le désorientant et en le prenant au dépourvu.

   Nous ne sommes pas comme le duc Siang de Song, nous n’avons nul besoin de son éthique stupide.

[Le duc Siang régnait sur la principauté de Song à l’époque de Tchouentsieou au VIIe siècle avant notre ère. En 638 av. J.­C., la principauté de Song faisait la guerre à la puissante principauté de Tchou.

Les troupes de Song étaient déjà disposées en ordre de bataille, alors que l’armée de Tchou en était encore à traverser le fleuve qui séparait les deux ennemis. Un des dignitaires de Song, sachant que les troupes de Tchou étaient de beaucoup supérieures en nombre, proposa de profiter du moment propice et de les attaquer avant qu’elles aient terminé leur traversée.

Mais le duc Siang répondit: « Non, un homme bien né n’attaque pas un adversaire en difficulté. » Lorsque les troupes de Tchou eurent traversé la rivière, et alors qu’elles ne s’étaient pas encore disposées en ordre de bataille, le dignitaire de Song lui proposa à nouveau d’attaquer l’armée de Tchou. Le duc Siang répondit « Non, un homme bien né n’attaque pas une armée avant qu’elle soit en ordre de bataille. »

C’est seulement lorsque les troupes de Tchou furent parfaitement préparées au combat que le duc donna l’ordre d’attaquer. Le résultat fut une lourde défaite pour la principauté de Song et le duc Siang lui­même fut blessé.]

   Il nous faut boucher de la manière la plus complète les yeux et les oreilles de l’ennemi, pour qu’il devienne aveugle et sourd.

   Il nous faut, autant que possible, créer la confusion dans l’esprit de ses chefs, de façon qu’ils perdent complètement la tête, et en profiter pour remporter la victoire.

   Tel est aussi le rapport entre l’existence ou l’absence d’initiative et la direction subjective de la guerre.

   Nous ne saurions vaincre le Japon sans cette direction subjective.

84. Si en général le Japon détient l’initiative à l’étape de son offensive, c’est grâce à sa puissance militaire et à nos erreurs subjectives, passées et présentes, qu’il a su exploiter.

   Mais cette initiative commence à faiblir dans une certaine mesure, à cause des nombreux facteurs défavorables inhérents à la situation de l’ennemi et des erreurs subjectives qu’il a lui aussi commises au cours de la guerre (il en sera question plus loin) et en raison, également, des nombreux facteurs qui nous sont favorables.

   La défaite subie par l’ennemi à Taieul­tchouang et ses difficultés dans la province du Chansi en sont des preuves évidentes.

   Le large développement de la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi réduit à la passivité complète ses garnisons dans les territoires occupés.

   L’ennemi continue actuellement son offensive stratégique et conserve l’initiative, mais il la perdra lorsque son offensive s’arrêtera.

   Le manque de troupes ne lui permettra pas de poursuivre son offensive indéfiniment, et c’est la première raison pour laquelle il ne pourra conserver l’initiative.

   La deuxième raison, c’est que nos opérations offensives au cours des campagnes et la guerre de partisans que nous faisons derrière ses lignes l’obligeront, avec d’autres facteurs, à arrêter son offensive à une certaine limite et ne lui laisseront donc pas la possibilité de conserver l’initiative.

   La troisième raison, c’est l’existence de l’U.R.S.S. et les changements qui se produisent dans la situation internationale.

   Il apparaît ainsi que l’initiative de l’ennemi est limitée et qu’elle peut être réduite à néant.

   Si donc la Chine s’en tient fermement à la méthode des opérations offensives menées par ses forces principales au cours des campagnes et des combats, développe vigoureusement la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi et mobilise largement les masses populaires dans le domaine politique, elle peut s’assurer peu à peu l’initiative stratégique.

85 Venons-­en maintenant à la question de la souplesse.

   Qu’est­-ce que la souplesse ? C’est la réalisation concrète de l’initiative dans les opérations militaires ; c’est la souplesse dans l’emploi des troupes.

   Employer les troupes avec souplesse est la tâche capitale dans la conduite de la guerre et c’est aussi la tâche la plus difficile.

   Si l’on fait abstraction des tâches telles que l’organisation et la formation des troupes, l’organisation et l’éducation de la population, la conduite de la guerre n’est autre chose que l’emploi des troupes dans le combat ; tout cela doit contribuer à rendre le combat victorieux.

   Organiser et instruire les troupes, par exemple, est évidemment difficile, mais il est encore plus difficile de les employer au combat, surtout lorsqu’il s’agit d’affronter un ennemi plus fort que soi.

   Pour venir à bout de cette tâche, il faut une haute capacité subjective, il faut savoir trouver l’ordre, la clarté et la certitude dans la confusion, l’obscurité et l’incertitude propres à la guerre.

   C’est seulement ainsi que se réalise la souplesse dans le commandement.

86 Le principe fondamental des opérations sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance consiste à mener des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes.

   Pour appliquer ce principe, il y a diverses tactiques ou méthodes : dispersion et concentration des forces, progression en ordre dispersé et attaque convergente, offensive et défensive, assaut et fixation, encerclement et mouvement tournant, progression et retraite.

   Il est facile de comprendre ces tactiques, mais il n’est pas facile de les appliquer et de les varier avec souplesse.

   Il faut ici tenir compte de trois facteurs­-clés : le temps, le lieu et l’unité combattante ; sans un choix judicieux de ces facteurs, la victoire est impossible.

   Si, par exemple, dans l’attaque contre un ennemi en marche, le coup est porté trop tôt, on risque de se découvrir soi­-même et de lui donner le temps d’y parer ; si, par contre, le coup est porté trop tard, l’ennemi aura le temps d’arrêter sa marche et de se regrouper, et nous nous casserons les dents sur un os.

   Voilà pour le choix du temps.

   Si l’on choisit un point d’assaut, par exemple sur le flanc gauche de l’ennemi, et qu’on tombe justement sur son côté faible, la victoire sera facile ; mais si on a choisi le flanc droit et qu’on se heurte à un mur, on n’arrivera à rien.

   Voilà pour le choix du lieu.

   Enfin, si l’on choisit, pour réaliser telle tâche, telle unité combattante, il sera facile de vaincre, mais si l’on en choisit une autre pour remplir la même tâche, il sera peut­-être difficile de remporter un succès. Voilà pour le choix de l’unité combattante.

   Cependant, il faut savoir non seulement appliquer les diverses tactiques, mais encore les varier.

   C’est une tâche importante pour une direction souple que de savoir par exemple passer de l’offensive à la défensive ou de la défensive à l’offensive, de la progression à la retraite ou de la retraite à la progression, de la fixation à l’assaut ou de l’assaut à la fixation, de l’encerclement au mouvement tournant ou du mouvement tournant à l’encerclement, et d’effectuer ces changements de tactique à bon escient et en temps voulu, conformément à la situation des troupes et à la nature du terrain de notre côté comme du côté de l’ennemi.

   Cela est vrai aussi bien pour la direction dans les combats que pour la direction dans les campagnes ou pour la direction stratégique.

87 Comme le dit le vieil adage, « le secret d’une habile exécution est dans la tête ». C’est ce « secret » que nous appelons la souplesse.

   Elle est le fruit du talent d’un bon commandant. La souplesse, ce n’est pas l’action inconsidérée ; il faut repousser l’action inconsidérée.

   La souplesse, c’est l’aptitude d’un chef habile à prendre en temps utile des décisions justes conformément à la situation objective, ou, en d’autres termes, à « tenir compte du temps et de la situation » (par situation, il faut entendre celle de l’ennemi et de nos troupes, la nature du terrain, etc.).

   C’est en cela que consiste « le secret d’une habile exécution ».

   En nous appuyant là­-dessus, nous pourrons remporter un plus grand nombre de victoires dans des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, passer de l’infériorité à la supériorité, arracher l’initiative à l’ennemi, le mater et le détruire, et la victoire définitive nous appartiendra.

88 Venons-­en maintenant à la question du plan. Par suite de l’incertitude propre à la guerre, il est beaucoup plus difficile d’y appliquer un plan que dans n’importe quelle autre activité.

   Cependant, « en toutes choses, la préparation assure le succès comme l’impréparation entraîne l’échec » ; il ne peut y avoir de victoire dans la guerre sans plan et préparation préalables.

   Il n’existe pas de certitude absolue dans la guerre, mais celle­-ci n’est pas sans comporter un certain degré de certitude relative.

   En effet, nous sommes relativement certains de connaître notre situation.

   Nous avons très peu de certitude de connaître la situation de l’ennemi, mais il existe des signes qui peuvent être décelés, des indices qui peuvent nous guider, des séries de faits qui nous aident à réfléchir.

   Tout cela constitue ce que nous appelons un certain degré de certitude relative, lequel peut servir de base objective à une conduite planifiée de la guerre.

   Le développement de la technique moderne(le télégraphe, la radio, l’avion, l’automobile, le chemin de fer, le bateau à vapeur, etc.) a accru la possibilité de planifier les opérations militaires.

   Toutefois, il est difficile dans la guerre d’élaborer des plans complets ou stables, puisque les certitudes n’y ont qu’un caractère très limité et momentané.

   Les plans se modifient suivant le cours de la guerre(sa mobilité ou son évolution) et l’ampleur de ces modifications dépend de l’échelle des opérations militaires.

   Il faut souvent changer plusieurs fois par jour les plans tactiques, par exemple les plans offensifs ou défensifs des petites formations ou des petites unités.

   On peut prévoir dans l’ensemble un plan de campagne, c’est-­à­-dire un plan d’opérations des grosses formations, pour toute la durée de la campagne, mais au cours même de cette campagne on doit souvent le soumettre à une révision partielle, et parfois à une révision complète. Quant au plan stratégique, il est élaboré à la lumière de la situation générale des deux parties belligérantes, et, par suite, son degré de stabilité est plus grand ; néanmoins, il n’est valable que pour une étape stratégique définie ; il faut le modifier lorsque la guerre aborde une nouvelle étape.

   L’élaboration et la modification des plans tactiques, des plans de campagne et des plans stratégiques, dans le cadre qui les concerne et en rapport avec la situation, constituent un facteur-­clé dans la direction de la guerre.

   C’est ainsi que l’on réalise concrètement la souplesse dans les opérations militaires, que l’on fait jouer le secret d’une habile exécution.

   A tous les échelons, les commandants qui prennent part à la Guerre de Résistance doivent y prêter une attention particulière.

89 Certains allèguent la mobilité de la guerre pour nier catégoriquement la stabilité relative des plans ou directives militaires. Ils affirment que ces plans ou directives sont « mécaniques ».

   C’est une vue erronée.

   Nous reconnaissons pleinement, nous l’avons dit plus haut, que, puisque la guerre ne connaît que des certitudes relatives et qu’elle se développe (se meut ou évolue) avec rapidité, un plan ou une directive militaires ne peuvent avoir qu’un caractère de stabilité relative et qu’il nous faut en élaborer d’autres ou y apporter des modifications en temps opportun, conformément aux changements qui surviennent dans la situation et à l’évolution de la guerre, sous peine de devenir des mécanistes.

   Cependant, on ne peut nier la nécessité d’un plan ou d’une directive militaires relativement fixes pour une période donnée.

   Le nier signifie nier tout, nier la guerre elle­-même et se nier soi­-même. Comme la situation et l’action militaires sont d’une stabilité relative, il convient d’élaborer les plans ou les directives relativement stables qui en résultent.

   Par exemple, la situation sur le front de la Chine du Nord et les opérations menées de façon dispersée par la VIIIe Armée de Route ayant, à une étape donnée, un caractère stable, il devient indispensable de définir, à cette étape, ce principe d’opérations stratégique relativement stable pour la VIIIe Armée de Route : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables ».

   Une directive pour une campagne a une période de validité plus courte qu’une directive stratégique, et une directive tactique en a une plus courte encore, mais l’une et l’autre de ces directives sont stables pour une période donnée.

   Le nier, c’est en arriver à ne pas savoir comment mener la guerre, c’est devenir un relativiste dans la guerre, sans idées bien arrêtées et ballotté au gré des flots.

   Personne ne conteste qu’une directive, même valable pour une période donnée, ne doive subir certains changements ; sinon, une directive ne pourrait être remplacée par une autre.

   Mais ces changements sont limités, ils ne dépassent pas le cadre des diverses actions militaires entreprises pour exécuter la directive et ne modifient pas son essence ; en d’autres termes, la directive ne subit que des changements quantitatifs et non qualitatifs.

   Dans les limites de la période en question, son essence ne change absolument pas, c’est ce que nous entendons par stabilité relative pour une période donnée.

   Dans le vaste cours général de la guerre, où le changement est absolu, chaque étape présente une stabilité relative ; c’est ainsi que nous concevons l’essence d’un plan ou d’une directive militaires.

90 Après avoir parlé de la guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes sur le plan stratégique et des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, puis de l’initiative, de la souplesse et du plan d’action, nous pouvons maintenant résumer tout cela en quelques mots.

   La Guerre de Résistance doit être poursuivie selon un plan.

   Les plans de guerre, c’est­-à­-dire l’application concrète de notre stratégie et de notre tactique, doivent être souples, afin de pouvoir s’adapter aux circonstances de la guerre.

   Il faut s’efforcer par tous les moyens de transformer l’infériorité en supériorité, la passivité en initiative, de façon à changer la situation où nous nous trouvons par rapport à l’ennemi.

   Tout cela doit trouver son expression dans des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes au cours des campagnes et des combats, et en même temps, dans une guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes sur le plan stratégique.

La guerre de mouvement, la guerre de partisans et la guerre de position

91 Notre guerre, qui consiste à mener des campagnes et des combats offensifs de décision rapide à l’extérieur des lignes dans le cadre stratégique d’une guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes, prend la forme d’une guerre de mouvement.

   C’est une forme de guerre qui comporte des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, réalisées avec des armées régulières opérant le long de fronts étirés et sur de vastes théâtres de guerre.

   « La défense mobile », appliquée en cas de nécessité pour faciliter les opérations offensives, ainsi que l’attaque et la défense positionnelles limitées à un rôle auxiliaire se rattachent aussi à la guerre de mouvement.

   Les traits caractéristiques de la guerre de mouvement sont l’utilisation d’armées régulières, l’emploi de forces supérieures dans les campagnes et les combats, le caractère offensif des opérations et la mobilité.

92 La Chine dispose d’un vaste territoire et d’une armée nombreuse, mais insuffisamment équipée et entraînée.

   L’ennemi manque de troupes, mais il l’emporte sur nous par l’équipement et la préparation de son armée.

   Dans ces conditions, il est hors de doute que nous devons prendre comme forme principale d’opérations militaires les opérations offensives de manœuvre, les autres formes jouant un rôle auxiliaire, de sorte que l’ensemble des opérations constitue une guerre de mouvement.

   A cet égard, il faut lutter contre l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans jamais avancer » et en même temps contre la mentalité du risque­tout de « toujours avancer sans jamais se retirer ».

93 Une des particularités de la guerre de mouvement est sa mobilité, laquelle non seulement admet mais encore exige qu’une armée de campagne avance ou recule à grandes étapes.

   Mais cela n’a rien de commun avec l’attitude de paniquard d’un Han Fou­kiu1.

   La guerre exige essentiellement l’anéantissement des forces ennemies et d’autre part la conservation de nos propres forces.

   La conservation de nos propres forces vise à anéantir les forces de l’ennemi, et l’anéantissement des forces de l’ennemi est le plus efficace des moyens pour conserver nos propres forces.

   C’est pourquoi la guerre de mouvement ne peut en aucune façon servir de prétexte à des gens comme Han Fou­kiu pour se justifier, elle ne signifie nullement fuir vers l’arrière sans jamais revenir en avant, car une telle façon de « manœuvrer » est la négation même du caractère fondamental de la guerre de mouvement, qui est avant tout offensif.

   Avec de telles « manœuvres », on peut perdre tout le territoire chinois, si vaste soit­-il.

94 Mais l’autre point de vue, celui que nous appelons la mentalité du risque­tout et qui admet seulement la marche en avant, jamais la retraite, n’est pas juste non plus.

   Nous sommes pour une guerre de mouvement qui consiste à poursuivre des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats ; une telle guerre comprend aussi la guerre de position limitée à un rôle auxiliaire, « la défense mobile » et la retraite sans lesquelles il est impossible de faire une guerre de mouvement dans la pleine acception du terme.

   On peut dire de la mentalité du risque­tout qu’elle est une myopie militaire. L’origine en est, le plus souvent, la crainte de perdre des territoires.

   Ces « risque­tout » ne comprennent pas que l’une des particularités de la guerre de mouvement est sa mobilité, qui admet et exige qu’une armée de campagne avance ou recule à grandes étapes.

   Sur le plan positif, pour placer l’ennemi dans des conditions défavorables et nous mettre nous­-mêmes dans des conditions favorables, il est souvent nécessaire que l’ennemi soit en mouvement et que nous nous assurions toute une série d’avantages, par exemple : un terrain favorable, une situation qui rend l’ennemi vulnérable, une population prête à empêcher les informations de filtrer dans le camp adverse, la fatigue de l’ennemi, sa surprise devant nos coups.

   Ainsi, il faut donc que l’ennemi avance et nous ne devrions pas regretter la perte temporaire d’une partie de notre territoire, puisqu’elle est le prix que nous payons pour conserver définitivement tout notre territoire ou recouvrer les territoires perdus.

   Sur le plan négatif, chaque fois que nous sommes réduits à une position défavorable qui menace sérieusement l’intégrité de nos forces, nous devons avoir le courage de nous replier pour conserver nos forces et porter de nouveaux coups à l’ennemi au moment propice.

   Or, les « risque­tout » ne comprennent pas cette vérité ; se trouvant dans une situation manifestement défavorable, ils continuent à se battre pour chaque ville, pour chaque bout de territoire, il en résulte qu’ils perdent non seulement ville et territoire, mais qu’ils ne parviennent même pas à conserver leurs propres forces.

   Nous avons toujours été partisans d’ »attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre territoire », justement parce que c’est la politique militaire la plus efficace que puisse adopter une armée faible contre une armée forte au cours de la défense stratégique.

95 De toutes les formes d’opérations militaires dans la Guerre de Résistance, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans vient ensuite.

   Lorsque nous disons que, dans l’ensemble de la guerre, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans la forme auxiliaire, nous entendons que le sort de la guerre dépend principalement des opérations régulières, et particulièrement de celles menées sous forme de guerre de mouvement, et que la guerre de partisans ne peut assumer la responsabilité principale dans la détermination de l’issue de la guerre.

   Mais cela ne veut pas dire que la guerre de partisans ne joue pas un rôle stratégique important dans la Guerre de Résistance.

   Dans cette guerre prise dans son ensemble, la guerre de partisans ne le cède en importance stratégique qu’à la guerre de mouvement, car il est impossible de vaincre l’ennemi sans s’appuyer sur les forces des partisans.

   Il en découle que nous avons pour tâche stratégique de transformer la guerre de partisans en guerre de mouvement.

   Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans ne restera pas ce qu’elle est, mais s’élèvera jusqu’au niveau de la guerre de mouvement.

   Elle joue ainsi un double rôle stratégique : d’une part, elle aide aux succès des opérations régulières et, d’autre part, elle se transforme elle-même en guerre régulière.

   Si l’on considère l’ampleur et la durée sans précédent de la guerre de partisans dans la Guerre de Résistance en Chine, l’importance qu’il y a à ne pas sous­-estimer son rôle stratégique apparaît encore mieux.

   Il s’ensuit que la guerre de partisans en Chine soulève non seulement des problèmes tactiques, mais aussi des problèmes stratégiques spécifiques.

   J’en ai déjà parlé dans mon article : « Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon ».

   Comme nous l’avons dit plus haut, la Guerre de Résistance prendra, au cours de ses trois étapes stratégiques, les formes suivantes : Dans la première étape, la forme principale est la guerre de mouvement, les formes auxiliaires la guerre de partisans et la guerre de position.

   A la deuxième étape, la guerre de partisans prendra la première place, tandis que la guerre de mouvement et la guerre de position seront les formes auxiliaires.

   Dans la troisième étape, la guerre de mouvement redeviendra la forme principale, alors que la guerre de position et la guerre de partisans joueront un rôle auxiliaire.

   Mais, dans cette troisième étape, la guerre de mouvement ne sera plus faite seulement par les troupes régulières du début ; elle sera pour une part, et très probablement une part assez importante, assumée par d’anciens détachements de partisans qui auront alors atteint le niveau des troupes régulières.

   L’examen de ces trois étapes montre que, dans la Guerre de Résistance menée par la Chine, la guerre de partisans n’est aucunement une chose dont on puisse se passer. Au contraire, elle est appelée à y jouer un rôle grandiose, encore sans exemple dans l’histoire des guerres de l’humanité.

   C’est pourquoi il est absolument indispensable de prélever, sur notre armée régulière de plusieurs millions d’hommes, au moins quelques centaines de milliers d’hommes et de les répartir sur tous les territoires occupés par l’ennemi, où ils appelleront les masses à s’armer et entreprendront avec elles la guerre de partisans.

   Les troupes qui auront été détachées à cette fin devront assumer cette tâche sacrée en toute conscience ; elles ne doivent pas penser qu’elles verront leur valeur diminuer parce qu’elles auront moins de grandes batailles à livrer et qu’elles ne pourront, pour un temps, faire figure de héros nationaux.

   De telles conceptions sont fausses.

   La guerre de partisans n’apporte pas des succès aussi rapides ni une gloire aussi éclatante que la guerre régulière, mais, comme dit le proverbe, « c’est dans un long voyage qu’on voit la force du coursier, et dans une longue épreuve le cœur de l’homme ».

   Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans apparaîtra dans toute sa puissance ; elle n’est certes pas une entreprise ordinaire.

   De plus, en éparpillant ses forces, une armée régulière peut entreprendre une guerre de partisans, et en les rassemblant, une guerre de mouvement ; ainsi opère la VIIIe Armée de Route.

   Le principe adopté par celle­-ci est le suivant : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables ».

   Ce principe est tout à fait juste, alors que les points de vue opposés sont erronés.

96 Dans l’état actuel de son équipement technique, la Chine ne peut pas, en général, pratiquer une guerre de position, qu’elle soit défensive ou offensive ; c’est là d’ailleurs une des manifestations de notre faiblesse.

   De plus, l’ennemi profitera de l’étendue de notre territoire pour tourner nos ouvrages de défense.

   C’est pourquoi la guerre de position ne peut être considérée chez nous comme un moyen important, encore moins comme le moyen principal de faire la guerre.

   Cependant, au cours des première et deuxième étapes de la guerre, il est possible et nécessaire, dans le cadre d’une guerre de mouvement, de recourir sur le plan local à la guerre de position, en tant que moyen auxiliaire dans les campagnes.

   La « défense mobile », de caractère semi­-positionnel, qui consiste à opposer une résistance échelonnée afin d’épuiser l’ennemi et de gagner du temps, est à plus forte raison une partie indispensable de la guerre de mouvement.

   La Chine doit s’efforcer de doter son armée d’un équipement moderne, de façon à être pleinement en mesure, dans l’étape de la contre­offensive stratégique, d’exécuter ses attaques contre les positions fortifiées de l’ennemi.

   Il n’est pas douteux qu’à l’étape de la contre­offensive stratégique, la guerre de position prendra de l’importance, car l’ennemi passera alors à la défense énergique de ses positions et, à moins de lancer contre elles de puissantes attaques en coordination avec les opérations de la guerre de mouvement, nous ne pourrons recouvrer les territoires perdus.

   Il n’en sera pas moins nécessaire, à la troisième étape, de tendre tous nos efforts pour conserver la guerre de mouvement comme forme principale de la guerre, parce que, dans une guerre de position sous la forme qu’elle a prise en Europe occidentale au cours de la seconde moitié de la Première guerre mondiale, l’art de conduire la guerre et le rôle actif de l’homme perdent en grande partie leur valeur.

   Il est donc tout naturel de « faire sortir la guerre des tranchées », puisqu’elle se déroule sur les vastes territoires de la Chine et que celle-­ci continuera à être faiblement équipée pendant un temps assez long.

   Même dans la troisième étape, il est peu probable que nous puissions dépasser l’ennemi du point de vue de l’équipement technique, malgré les progrès qui auront été réalisés en Chine ; nous serons donc amenés à développer à un haut degré la guerre de mouvement, sans laquelle la victoire finale nous échapperait.

   Ainsi, en Chine, la guerre de position ne sera la forme principale de la Guerre de Résistance à aucune de ses étapes, ce sont la guerre de mouvement et la guerre de partisans qui en seront les formes principales ou des formes importantes.

   L’art de la conduite de la guerre et le rôle actif de l’homme trouveront dans ces formes un vaste champ à leur développement : ce sera un bonheur dans notre malheur.

La guerre d’usure et la guerre d’anéantissement

97 Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’essentiel dans la guerre, les buts qu’elle vise, c’est de conserver nos forces et d’anéantir les forces de l’ennemi.

   Trois formes d’opérations militaires permettent d’atteindre ces buts : la guerre de mouvement, la guerre de position et la guerre de partisans.

   Cependant, ces formes ne donnent pas les mêmes résultats, aussi fait­-on communément la distinction entre guerre d’usure et guerre d’anéantissement.

98 Dès l’abord, nous pouvons dire que la Guerre de Résistance est une guerre d’usure en même temps qu’une guerre d’anéantissement.

   Pourquoi ? Parce que l’ennemi peut encore exploiter sa force et détient encore la supériorité et l’initiative sur le plan stratégique, et que par conséquent il est impossible de détruire rapidement et efficacement sa force, de mettre fin à sa supériorité et de lui arracher l’initiative sans engager contre lui des campagnes et des combats d’anéantissement ; et d’autre part, comme nous demeurons faibles et que nous ne sommes pas encore sortis de notre infériorité et de notre passivité sur le plan stratégique, nous ne saurions non plus nous dispenser de campagnes et de combats d’anéantissement si nous voulons gagner du temps pour nous assurer de meilleures conditions intérieures et internationales et pour modifier la situation défavorable où nous nous trouvons actuellement.

   C’est pourquoi les campagnes d’anéantissement sont un moyen pour user l’ennemi sur le plan stratégique, et, en ce sens, la guerre d’anéantissement est également une guerre d’usure.

   Le principal moyen donnant à la Chine la possibilité de poursuivre une guerre de longue durée est l’usure de l’ennemi par l’anéantissement de ses forces.

99 Cependant, pour user l’ennemi sur le plan stratégique, on peut aussi recourir à des campagnes d’usure.

   D’une façon générale, la guerre de mouvement répond aux tâches de l’anéantissement, la guerre de position est destinée à épuiser l’ennemi, et la guerre de partisans a en même temps pour tâche de l’user et de l’anéantir ; ces trois formes d’opérations sont distinctes les unes des autres.

   En ce sens, les opérations d’anéantissement diffèrent des opérations d’usure. Les campagnes d’usure jouent un rôle auxiliaire, mais sont nécessaires dans la guerre prolongée.

100 Pour atteindre le but stratégique qui est d’épuiser dans une grande mesure les forces de l’ennemi, la Chine, à l’étape de la défensive, doit, aussi bien du point de vue de la théorie que du point de vue de la nécessité pratique, mettre à profit la possibilité d’anéantir les forces de l’ennemi, propre surtout à la guerre de mouvement et en partie à la guerre de partisans, et utiliser en complément la possibilité d’user les forces de l’ennemi, propre surtout à la guerre de position et en partie à la guerre de partisans.

   Dans l’étape de stabilisation des forces, nous devons continuer à utiliser ces propriétés de la guerre de partisans et de la guerre de mouvement pour épuiser, dans une tout aussi grande mesure, les forces de l’ennemi. Tout cela vise à nous permettre de mener une guerre prolongée, à modifier peu à peu notre situation par rapport à celle de l’ennemi et à préparer les conditions de notre passage à la contre­offensive.

   Dans la contre­offensive stratégique, nous devons continuer à épuiser l’ennemi en anéantissant ses forces, de façon à le chasser définitivement du pays.

101 L’expérience de dix mois de guerre a cependant montré que, dans un grand nombre de campagnes et même dans la plupart d’entre elles, la guerre de mouvement a glissé pratiquement vers la guerre d’usure, et que, dans certaines régions, la guerre de partisans n’a pas rempli dans la mesure appropriée la tâche qui lui revient dans l’anéantissement de l’ennemi.

   Cette situation comporte un aspect positif : nous avons au moins réalisé un certain épuisement de l’ennemi, ce qui est important pour la poursuite de la guerre prolongée et pour la victoire finale, et notre sang n’a pas été répandu en vain.

   Les aspects négatifs sont, premièrement, que nous n’avons pas épuisé l’ennemi suffisamment et, deuxièmement, qu’après tout nos pertes sont grandes et nos gains peu importants.

   On doit certes reconnaître que cette situation s’explique par des raisons objectives, comme les différences entre l’ennemi et nous dans le degré d’équipement technique et de préparation militaire, mais, dans tous les cas, il faut, aussi bien du point de vue de la théorie que du point de vue de la pratique, recommander à nos forces régulières de poursuivre énergiquement la guerre d’anéantissement chaque fois que les conditions sont favorables.

   Et si les détachements de partisans, en remplissant les nombreuses missions qui leur sont propres, comme le sabotage et le harcèlement, sont obligés de livrer de simples combats d’usure, il n’en faut pas moins leur recommander — et ils doivent d’ailleurs s’y efforcer d’eux­-mêmes — de mener des campagnes et des combats d’anéantissement chaque fois que les conditions sont favorables, afin d’épuiser l’ennemi dans une grande mesure et de compléter largement l’équipement de nos propres forces.

102 Ce que nous appelons « opérations offensives », « décision rapide » et « à l’extérieur des lignes » dans l’expression : « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes », ainsi que « mouvement » dans l’expression « guerre de mouvement » se traduit principalement, du point de vue de la forme du combat, par le recours à la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant, et demande pour cela la concentration de forces supérieures.

   La concentration des forces et l’emploi de la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant sont donc les conditions mêmes d’une guerre de mouvement, c’est­à­-dire d’opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes.

   Tout cela a pour but d’anéantir les forces de l’ennemi.

103 Ce qui fait la force de l’armée japonaise, ce n’est pas seulement son armement, c’est aussi la préparation de ses officiers et soldats — son organisation, la confiance qu’elle a en elle­même pour n’avoir jamais connu la défaite dans les guerres précédentes, sa croyance superstitieuse dans le Mikado et les puissances surnaturelles, son arrogance, son mépris des Chinois, etc.

   Toutes ces caractéristiques proviennent des longues années d’endoctrinement des troupes dans l’esprit samouraï par les militaristes japonais, et des coutumes nationales du Japon.

   C’est pour cette raison surtout que nos troupes ont fait très peu de prisonniers bien qu’elles aient pu infliger à l’ennemi de lourdes pertes en tués et en blessés.

   Beaucoup ont sous­estime ce fait dans le passé.

   Il faudra bien du temps pour détruire ces caractéristiques de l’armée japonaise.

   D’abord, nous devons tenir sérieusement compte de ces particularités et ensuite en faire l’objet d’un travail patient et méthodique, travail politique, travail de propagande dans le domaine international, travail parmi le peuple japonais.

   Sur le plan militaire, la guerre d’anéantissement est bien entendu l’une des méthodes de cette action.

   Les pessimistes peuvent s’appuyer sur ces caractéristiques de l’ennemi pour faire valoir leur théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, et les spécialistes militaires qui s’en tiennent à la passivité peuvent y trouver de quoi fonder leur opposition à la guerre d’anéantissement.

   En ce qui nous concerne, nous considérons au contraire que tous ces facteurs qui font la force de l’armée japonaise peuvent être réduits à néant, et que leur destruction a déjà commencé.

   La principale méthode à employer à cette fin consiste à gagner politiquement les soldats japonais.

   Il ne faut pas les blesser dans leur fierté, mais chercher à comprendre cette fierté et la diriger dans la bonne voie.

   En traitant les prisonniers avec générosité, on peut amener les soldats japonais à prendre clairement conscience du caractère antipopulaire de la politique d’agression que poursuivent les dirigeants du Japon.

   D’autre part, il faut montrer aux soldats japonais l’esprit indomptable, l’héroïsme et la combativité acharnée de l’armée chinoise et du peuple chinois ; en d’autres termes, il faut leur porter des coups destructeurs dans les combats d’anéantissement.

   L’expérience de dix mois de guerre prouve qu’il est possible d’anéantir les forces de l’ennemi.

   Les batailles de Pinghsingkouan et de Taieultchouang en donnent la preuve.

   Le moral de l’armée japonaise commence déjà à baisser, ses soldats ne comprennent pas les buts de la guerre et, tombés dans l’encerclement des troupes chinoises et du peuple chinois, ils font preuve, dans leurs assauts, d’un courage bien moindre que les soldats chinois ; ces conditions objectives ainsi que d’autres encore, qui favorisent nos opérations d’anéantissement, vont croissant à mesure que la guerre se prolonge.

   Le fait que nos opérations d’anéantissement font tomber la morgue de l’ennemi signifie que ces opérations sont en même temps l’une des conditions permettant de réduire la durée de la guerre et d’accélérer la libération des soldats japonais et de tout le peuple japonais. Le chat ne lie amitié qu’avec le chat, et jamais avec la souris.

104 Il faut reconnaître par ailleurs qu’à l’heure actuelle, nous le cédons à l’ennemi par l’équipement technique et le niveau de préparation des troupes.

   C’est pourquoi il nous est difficile, en bien des cas, particulièrement dans les régions de plaine, d’obtenir un résultat maximum dans les combats d’anéantissement, par exemple de capturer la totalité ou la plus grande partie d’une formation ennemie.

   Les exigences excessives dans ce sens des partisans de la théorie de la victoire rapide sont erronées ; ce qu’il est correct d’exiger dans la Guerre de Résistance, c’est de poursuivre autant que possible une guerre d’anéantissement.

   Quand les circonstances sont favorables, il faut concentrer dans chaque bataille des forces supérieures et employer la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant — s’il n’est pas possible d’encercler complètement l’ennemi, en encercler une partie ; s’il n’est pas possible de capturer toutes les forces encerclées, en capturer une partie, et si cela même est impossible, infliger de lourdes pertes aux forces encerclées.

   Dans tous les cas où la situation ne favorise pas les opérations d’anéantissement, il faut effectuer des opérations d’usure. Il faut appliquer le principe de la concentration des forces quand les conditions sont favorables et le principe de la dispersion des forces quand les conditions sont défavorables.

   Quant au commandement des opérations dans les campagnes, il faut appliquer le principe du commandement centralisé dans le premier cas et le principe de la décentralisation dans le second.

   Tels sont les principes de base des opérations sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance.

La possibilité d’exploiter les erreurs de l’ennemi

105 Même dans le commandement ennemi, nous pouvons trouver des possibilités de victoire.

   Il n’y a jamais eu, depuis les temps les plus reculés, de chef militaire infaillible.

   Tout comme il nous est difficile d’éviter nous­-mêmes des erreurs, il nous est possible d’en découvrir chez l’ennemi et par conséquent d’en profiter.

   Durant ces dix mois de guerre d’agression, l’ennemi a déjà commis une série d’erreurs sur le plan stratégique et dans les campagnes. Nous ne soulignerons que les cinq plus importantes.

   La première, c’est que l’ennemi n’accroît ses forces que par petites quantités.

   Cela provient du fait qu’il a sous­-estime la Chine et aussi de ce qu’il n’a pas assez de troupes.

   L’ennemi s’est toujours comporté envers nous avec mépris.

   Après avoir envahi sans grande peine les quatre provinces du Nord-­Est, il a occupé la partie orientale de la province du Hopei et le nord de la province du Tchahar ; tout cela peut être considéré comme une reconnaissance stratégique de sa part.

   Et la conclusion qu’il en a tirée est que la Chine est un tas de sable croulant.

   Aussi, estimant que la Chine s’effondrerait au premier coup, il a élaboré un plan de « décision rapide », n’a mis en jeu que très peu de forces et a espéré nous prendre par la peur.

   L’ennemi ne s’attendait pas que la Chine eût fait preuve au cours des dix derniers mois d’une cohésion si forte et d’une si forte résistance : il a oublié qu’elle est déjà entrée dans une ère de progrès, qu’il y existe déjà un parti d’avant­-garde, une armée d’avant­-garde et un peuple d’avant-garde.

   Lorsque l’ennemi s’est trouvé dans une mauvaise passe, il a commencé à accroître peu à peu ses forces, en les portant, en plusieurs étapes, d’un peu plus de dix à trente divisions.

   S’il veut poursuivre son avance, il ne pourra se dispenser d’accroître encore ses forces.

   Mais comme le Japon a une position hostile envers l’Union soviétique et que ses ressources humaines et financières sont bornées, il y a forcément une limite à l’importance des effectifs qu’il peut mettre en ligne, ainsi qu’à l’ampleur maximum de son offensive.

   La deuxième erreur consiste à n’avoir pas fixé la direction principale de l’offensive.

   Avant la bataille de Taieultchouang, l’ennemi avait, dans l’ensemble, divisé ses forces sur deux fronts : en Chine centrale et en Chine du Nord.

   Cette division des forces s’observait aussi dans chacune de ces deux régions.

   Par exemple, dans la Chine du Nord, les forces japonaises étaient réparties le long de trois lignes de chemin de fer : Tientsin­-Poukeou, Peiping-­Hankeou et Tatong-­Poutcheou ; le long de chacune de ces lignes, l’ennemi subit des pertes et laissa des garnisons sur les territoires occupés, si bien qu’il n’eut plus assez de troupes pour continuer l’offensive.

   Mettant à profit la leçon de sa défaite à Taieultchouang, il a concentré le gros de ses forces en direction de Siutcheou.

   Ainsi, cette erreur peut être considérée comme temporairement corrigée. La troisième erreur réside dans l’absence de coordination stratégique.

   Il y avait bien une certaine coordination à l’intérieur des deux groupes de forces japonaises, celui de Chine centrale et celui de Chine du Nord, mais il n’y en avait guère entre les deux.

   Quand les troupes japonaises sur la section sud de la ligne de chemin de fer Tientsin-Poukeou attaquèrent Siaopengpou, d’autres qui se trouvaient sur la section nord de cette même ligne restèrent inactives ; quand celles-­ci attaquèrent Taieultchouang, celles-­là ne bougèrent pas davantage.

   Quand l’ennemi eut subi de graves revers sur ces deux sections, le ministre de la Guerre du Japon vint en inspection et le chef d’état­-major général japonais accourut pour diriger les opérations ; une certaine coordination s’établit ainsi pour un temps.

   La classe des propriétaires fonciers, la bourgeoisie et les militaristes japonais sont divisés par des contradictions très sérieuses qui ne font que s’aggraver ; l’absence de coordination dans les opérations en est une manifestation concrète.

   La quatrième erreur, c’est de ne pas avoir su saisir, en stratégie, des moments favorables.

   L’exemple le plus frappant en est qu’après la prise de Nankin et de Taiyuan l’ennemi s’est arrêté, principalement parce qu’il n’avait pas assez de troupes et qu’il ne disposait pas de forces stratégiques de poursuite.

   La cinquième erreur, c’est qu’ayant encerclé un grand nombre de troupes il n’en a anéanti que peu. Avant la bataille de Taieultchouang, au cours des opérations de Changhaï, de Nankin, de Tsangtcheou, de Paoting, de Nankeou, de Hsinkeou et de Linfen, beaucoup de troupes chinoises ont été battues, mais très peu de soldats ont été faits prisonniers.

   Cela montre la maladresse du commandement japonais.

   Ces cinq erreurs : accroissement des forces par petites quantités, absence d’une direction principale de l’offensive, absence de coordination stratégique, non­-utilisation des moments favorables et faible proportion des troupes anéanties en regard du grand nombre de troupes encerclées témoignent de l’incompétence du commandement japonais dans la période qui a précédé la bataille de Taieultchouang.

   Certes, après cette bataille, l’ennemi a quelque peu rectifié sa direction, mais par suite de l’insuffisance de ses effectifs, de ses contradictions internes et d’autres facteurs semblables, il lui sera impossible de ne pas retomber dans ses erreurs ; d’ailleurs, ce qu’il gagne d’un côté, il le perd de l’autre.

   Par exemple, la concentration de ses forces de la Chine du Nord à Siutcheou a fait un grand vide sur les territoires occupés de la Chine du Nord, ce qui nous a donné la possibilité d’y développer librement les opérations de partisans.

   Ce que nous avons dit jusqu’ici concerne les erreurs commises par l’ennemi lui­-même, et non celles que nous pouvons le pousser à commettre.

   Or, nous pouvons délibérément faire commettre des erreurs à l’ennemi, c’est­-à­-dire que nous pouvons le désorienter et le manœuvrer à notre gré, au moyen d’actions habiles et efficaces couvertes par une population locale bien organisée, par exemple, en faisant des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre.

   Cette possibilité, nous en avons déjà parlé plus haut.

   Tout cela montre que nous pouvons trouver jusque dans les actes mêmes du commandement ennemi matière à notre victoire ; cependant, nous ne devons pas considérer ces possibilités comme une base importante pour nos plans stratégiques ; au contraire, le plus sûr est d’établir nos plans en supposant que l’ennemi commettra peu d’erreurs.

   De plus, l’ennemi peut utiliser nos erreurs comme nous les siennes.

   Il appartient donc à notre commandement de lui donner le moins de prise possible sur nous.

   Il n’en est pas moins vrai que le commandement ennemi a déjà commis des erreurs, qu’il en commettra aussi à l’avenir, et que nos propres efforts peuvent lui en faire commettre d’autres encore.

   Toutes ces erreurs peuvent être utilisées par nous, et nos généraux de la Guerre de Résistance doivent s’employer à les exploiter.

   Si, sur le plan stratégique et opérationnel, le commandement ennemi se montre à bien des égards peu compétent, il excelle, par contre, dans la direction des combats, c’est-à-dire dans la tactique de combat des détachements et des petites unités ; il y a là beaucoup à apprendre pour nous.

La décision dans la guerre de résistance

106 Cette question devra être envisagée sous trois aspects : nous devons chercher résolument la décision dans chaque campagne ou combat où nous sommes sûrs de remporter la victoire ; nous devons éviter la décision dans chaque campagne ou combat où nous ne sommes pas sûrs de la victoire ; et nous devons absolument éviter une décision stratégique où le sort du pays est en jeu.

   Les caractéristiques qui différencient notre Guerre de Résistance d’un grand nombre d’autres guerres se révèlent également dans cette question.

   Dans la première et la deuxième étape de la guerre, alors que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, il voudrait que nous concentrions le gros de nos forces et que nous acceptions la décision.

   Nous, au contraire, nous voulons choisir les conditions favorables, concentrer des forces supérieures et chercher seulement la décision dans les campagnes et les combats où nous sommes sûrs du succès, comme par exemple dans la bataille de Pinghsingkouan, dans celle de Taieultchouang et dans bien d’autres ; nous voulons éviter la décision lorsque les conditions nous sont défavorables et que nous ne sommes pas sûrs du succès : c’est le principe que nous avons adopté dans les batailles livrées à Tchangteh et ailleurs.

   Quant à la décision stratégique où le sort du pays est en jeu, il faut la refuser catégoriquement, comme nous l’avons fait, par exemple, récemment, en évacuant Siutcheou.

   Nous avons ainsi ruiné le plan de l’ennemi qui escomptait une « décision rapide » et l’avons contraint à entreprendre une guerre prolongée.

   Ces principes sont inapplicables dans un petit pays et difficilement applicables dans un pays trop arriéré politiquement.

   Mais comme la Chine est un grand pays à une époque de progrès, elle peut les appliquer.

   Si nous évitons la décision stratégique, nous y perdrons certes une partie de notre territoire, mais, comme dit le proverbe : « La forêt donnera toujours du bois », nous conserverons un vaste territoire pour manœuvrer, et nous pourrons attendre et faire en sorte qu’avec le temps notre pays progresse, l’aide internationale augmente et la désagrégation intérieure se produise dans le camp de l’ennemi.

   C’est là pour nous la meilleure politique à suivre dans la Guerre de Résistance.

   Les partisans par trop impétueux de la théorie de la victoire rapide, incapables de supporter les dures épreuves d’une guerre prolongée et souhaitant des succès foudroyants, réclament à grands cris une décision stratégique dès que la situation s’est quelque peu améliorée.

   Si l’on suivait leurs conseils, on porterait un préjudice énorme à la cause de la Guerre de Résistance, c’en serait fait de la guerre prolongée, et nous aurions donné en plein dans le piège tendu par l’ennemi.

   Ce serait assurément le plus mauvais plan de guerre.

   Il est certain que si nous refusons la décision, nous sommes obligés d’abandonner des territoires ; et dans le cas où cela devient inévitable (et seulement dans ce cas), nous devons avoir le courage de le faire.

   Dans des moments pareils, nous ne devons pas avoir le moindre regret, car donner des territoires pour gagner du temps est une bonne politique. L’histoire nous apprend que la Russie, ayant effectué une retraite courageuse pour éviter la décision, a vaincu Napoléon, dont le nom résonnait alors dans le monde entier1

Profitant de cette situation, l’armée russe passa à la contre-offensive et, de toute l’armée de Napoléon, quelque 20.000 soldats seulement purent s’échapper..

   Aujourd’hui, la Chine doit agir de la même façon.

107 Mais ne craignons-­nous pas d’être dénoncés comme partisans de la « non-résistance » ? Non, nous ne le craignons pas.

   Ne pas se battre du tout et s’entendre avec l’ennemi, cela, c’est la non-résistance ; elle ne mérite pas seulement d’être dénoncée, elle est absolument inadmissible.

   Nous devons poursuivre énergiquement la Guerre de Résistance, mais pour éviter les pièges que nous tend l’ennemi, il est tout à fait indispensable que nous n’exposions pas le gros de nos forces à un coup qui compromettrait tout le cours ultérieur de la guerre, bref, que nous empêchions l’asservissement du pays.

   Ceux qui se montrent sceptiques là-dessus font preuve de myopie dans la question de la guerre et se retrouvent obligatoirement, en fin de compte, dans le camp des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

   Pourquoi avons-nous critiqué la mentalité du risque-tout de « toujours avancer sans jamais se retirer » ?

   Précisément parce que, si cette mentalité se généralisait, on s’exposerait à ne pouvoir poursuivre la guerre, ce qui aboutirait à l’asservissement de la Chine.

108 Qu’il s’agisse de combats isolés ou de batailles plus ou moins importantes, nous sommes pour la décision chaque fois que les conditions favorables existent, et nous n’admettons là aucune passivité.

   Seule cette décision permet d’anéantir ou d’épuiser l’ennemi, et chaque combattant dans la Guerre de Résistance doit la chercher résolument.

   Cela exigera des sacrifices partiels importants ; ceux qui pensent qu’il faut éviter tous les sacrifices ne sont que des poltrons ou des gens qui tremblent devant les Japonais, et il faut combattre énergiquement leur point de vue.

   L’exécution de déserteurs tels que Li Fou-ying et Han Fou-kiu est un juste châtiment. Dans le cadre de plans d’opérations correctement établis, il est absolument indispensable d’exalter la vaillance et le sacrifice héroïque de soi-même, sans quoi la guerre prolongée aussi bien que la victoire définitive seraient impossibles.

   Nous avons flétri sévèrement l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans jamais avancer », et nous sommes pour une discipline sévère, précisément parce qu’il n’est possible de vaincre un puissant ennemi qu’en cherchant hardiment la décision suivant un plan correctement établi. L’attitude des paniquards n’est qu’un soutien direct à la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

109 N’y a-t-il pas contradiction entre livrer d’abord un combat héroïque et abandonner ensuite le territoire ?

   Ne verse-t-on pas inutilement son sang dans ces combats héroïques ? Ces questions sont très mal posées.

   Ne mange-t-on pas en vain si c’est pour évacuer ensuite ? Ne se met-on pas inutilement au lit pour dormir si c’est pour se lever ensuite ? Peut-on poser les questions ainsi ?

   A mon avis, ce n’est pas possible. Dire : du moment que l’on mange, autant manger tout son content, du moment que l’on dort, autant dormir tout son soûl, et puisqu’on se bat héroïquement, autant se battre jusqu’au Yalou, c’est donner dans le délire subjectiviste et formaliste ; dans la réalité, cela ne se passe pas ainsi.

   Comme tout le monde le sait, bien que les combats sanglants engagés en vue de gagner du temps et de préparer la contre-offensive n’aient pu empêcher qu’une certaine partie du territoire ne soit abandonnée, ils nous ont permis de gagner du temps, d’atteindre notre objectif qui est d’anéantir ou d’épuiser les forces de l’ennemi, d’acquérir l’expérience de la guerre, d’entraîner au combat les masses populaires qui n’y participaient pas encore et d’accroître notre influence dans l’arène internationale.

   Dans ces conditions, le sang a-t-il été répandu en vain ?

   Manifestement non.

   Lorsqu’on abandonne un territoire, c’est pour conserver ses forces, et c’est même pour conserver le territoire ; en effet, si, au lieu d’abandonner une partie du territoire quand les conditions sont défavorables, on se lançait inconsidérément dans une bataille décisive sans être aucunement sûr du succès, le seul résultat serait la perte des forces armées, et donc la perte inévitable de tout le territoire ; à plus forte raison il serait impossible de recouvrer les territoires déjà perdus.

   Pour faire des affaires, le capitaliste a besoin d’un capital, mais s’il fait faillite, il cesse d’être capitaliste.

   Pour jouer, le joueur a besoin d’argent, mais s’il joue tout sur une seule carte et que la chance lui fasse défaut, il n’aura plus rien pour continuer à jouer. Le cours des choses suit une voie tortueuse et jamais une ligne droite. Cela est vrai également pour la guerre et il n’y a que les formalistes qui soient incapables de comprendre cette vérité.

110. A mon avis, ce qui a été dit plus haut s’applique aussi à la décision dans l’étape de la contre­offensive stratégique.

   Certes, à cette étape, l’ennemi se trouvera en état d’infériorité alors que nous aurons la supériorité, mais le principe : « chercher la décision lorsque des conditions favorables existent et s’y refuser lorsqu’elles n’existent pas » n’en gardera pas moins toute sa valeur, jusqu’au moment où nos combats nous auront conduits au Yalou.

   De cette manière, nous pourrons conserver l’initiative du commencement à la fin. Tous les « défis » lancés par l’ennemi, tous les « brocards » d’autrui, nous devons les écarter avec dédain et n’y prêter aucune attention.

   Dans la Guerre de Résistance, seuls seront considérés comme courageux et clairvoyants les généraux qui auront fait preuve de cette fermeté.

   Ce n’est point le cas de ceux qui « prennent feu comme la poudre ».

   Bien qu’à la première étape, nous nous trouvions, jusqu’à un certain point, réduits à la passivité stratégique, nous n’en devons pas moins saisir l’initiative dans chaque campagne et nous devons naturellement la garder durant toutes les autres étapes.

   Nous sommes pour la guerre prolongée, pour la victoire finale, nous ne sommes pas des joueurs aventureux qui risquent tout leur enjeu sur une seule carte.

L’armée et le peuple, artisans de la victoire

111. Comme l’impérialisme japonais a en face de lui la Chine révolutionnaire, il ne se relâchera en rien dans son offensive et sa répression ; son caractère même d’impérialisme le veut ainsi.

   Si la Chine n’opposait pas de résistance, le Japon occuperait facilement tout le pays, sans tirer un coup de feu ; la perte des quatre provinces du Nord-­Est en est la preuve.

   Du moment que la Chine oppose de la résistance, le Japon essaiera d’écraser cette résistance jusqu’à ce qu’elle devienne trop forte pour qu’il puisse encore la surmonter ; c’est là une loi inexorable.

   La classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie japonaises nourrissent de grandes ambitions : leur projet étant d’attaquer, en direction du sud, le Sud­-Est asiatique et, en direction du nord, la Sibérie, elles ont adopté la politique de rupture au centre et ont porté leurs premiers coups contre la Chine.

   Ceux qui s’imaginent que le Japon se contentera d’occuper la Chine du Nord et la région des provinces du Kiangsou et du Tchékiang, et qu’il en restera là, ne comprennent absolument pas que le Japon impérialiste, entré dans une nouvelle étape de son développement et placé au bord de l’abîme, n’est plus le Japon de jadis.

   Lorsque nous affirmons qu’il y a une limite aux effectifs que le Japon peut mettre en ligne et des bornes à son offensive, voici ce que nous voulons dire : pour ce qui est du Japon, comme il se prépare à attaquer dans d’autres directions et à se défendre contre d’autres ennemis, il ne peut, avec les forces dont il dispose, envoyer contre la Chine qu’une quantité déterminée de troupes et doit borner sa progression aux limites de ses possibilités ; quant à la Chine, comme elle a montré qu’elle est sur la voie du progrès et qu’elle est capable de résister énergiquement, il serait inconcevable que les furieuses attaques japonaises ne rencontrent pas l’inévitable résistance de la Chine.

   Le Japon est incapable d’occuper toute la Chine, mais dans toutes les régions qu’il pourra atteindre il ne ménagera pas ses efforts pour écraser la résistance, jusqu’à ce que, sous la poussée des conditions intérieures et internationales, il se heurte directement à la crise qui lui sera fatale.

   La politique intérieure du Japon ne peut se développer que suivant l’une de ces deux voies : ou bien les classes dirigeantes s’effondreront bientôt, le pouvoir passera au peuple et la guerre cessera, ce qui, pour l’instant, est impossible ; ou bien la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie s’enfonceront chaque jour un peu plus dans le fascisme et elles soutiendront la guerre jusqu’à leur perte — c’est cette dernière voie que le Japon suit actuellement.

   Il n’y a pas de troisième voie. Ceux qui se bercent de l’espoir que les milieux modérés de la bourgeoisie japonaise interviendront pour mettre fin à la guerre ne nourrissent que de vaines illusions.

   Au Japon, les milieux modérés de la bourgeoisie sont prisonniers des propriétaires fonciers et des magnats de la finance, telle est la situation politique réelle de ce pays depuis bien des années.

   Maintenant que le Japon a commencé la guerre contre la Chine, si la Résistance ne lui porte pas un coup mortel et s’il lui reste encore suffisamment de forces, il déclenchera certainement une offensive contre le Sud-est asiatique ou contre la Sibérie, ou peut-être même contre les deux à la fois.

   Dès que la guerre aura éclaté en Europe, le Japon passera à la réalisation de ses plans, plans démesurément vastes que ses dirigeants ont conçus à l’image de leurs désirs. Bien entendu, il y a aussi une autre possibilité : la puissance de l’Union soviétique et l’affaiblissement notable du Japon dans la guerre contre la Chine peuvent avoir pour effet d’obliger le Japon à renoncer à son plan initial d’offensive contre la Sibérie et à adopter une position purement défensive de ce côté.

   Cependant, si cette situation se présente, l’offensive du Japon contre la   Chine n’en sera pas affaiblie ; au contraire, elle sera renforcée, car le Japon n’aura plus alors d’autre choix que d’engloutir le pays faible.

   Dans ce cas, persévérer résolument dans la Guerre de Résistance, le front uni et la guerre prolongée constituera une tâche encore plus sérieuse, et le moindre relâchement de notre effort serait alors encore plus inadmissible.

112. Dans cette situation, la condition essentielle de la victoire de la Chine sur le Japon, c’est l’unité de toute la nation, c’est les progrès portés au décuple ou au centuple dans tous les domaines.

   La Chine connaît une époque de progrès, elle a réalisé une magnifique unité, mais ce progrès et cette unité sont aujourd’hui encore très insuffisants.

   Le Japon a pu occuper un vaste territoire parce qu’il est fort et que la Chine est faible ; cette faiblesse est la conséquence directe de l’accumulation, depuis cent ans et surtout dans les dix dernières années, de toutes sortes d’erreurs qui ont limité le progrès de la Chine au niveau actuel.

   Aujourd’hui, nous ne pouvons vaincre un ennemi aussi fort que le Japon sans déployer des efforts sérieux et prolongés.

   Ces efforts doivent s’exercer dans bien des domaines ; je ne parlerai ici que des deux plus importants : le progrès de l’armée et le progrès du peuple.

113. La réforme du système militaire exige la modernisation de notre armée et l’amélioration de son équipement technique, sans lesquelles il nous sera impossible de chasser l’ennemi au­delà du Yalou.

   Dans l’emploi des troupes, il faut déterminer une stratégie et une tactique souples, d’avant­garde, sans quoi il sera également impossible de remporter la victoire.

   Mais la base de l’armée, c’est le soldat.

   Sans insuffler aux troupes un esprit politique progressiste, sans poursuivre dans ce but un travail politique progressiste, il n’est pas possible d’arriver à une unité véritable des officiers et des soldats, d’éveiller en eux le plus grand enthousiasme pour la Guerre de Résistance et, par conséquent, de donner à notre technique et à notre tactique la base la plus propre à les rendre efficaces.

   Quand nous affirmons que, malgré sa supériorité technique, l’armée japonaise subira nécessairement, en fin de compte, la défaite, nous considérons que les coups que nous lui portons par nos opérations d’anéantissement et d’usure ne lui infligeront pas seulement des pertes mais ébranleront finalement le moral de ses soldats qui n’est pas du niveau de ses armes.

   Chez nous, au contraire, les officiers et les soldats ont des buts politiques communs dans la Guerre de Résistance.

   Cela nous donne une base pour le travail politique dans toutes les armées en lutte contre les envahisseurs japonais.

   Il faut réaliser une certaine démocratisation dans l’armée ; l’essentiel est d’abolir les pratiques féodales des châtiments corporels et des injures, et d’arriver à ce que dans la vie de tous les jours les officiers et les soldats partagent leurs joies et leurs peines.

   Ainsi, nous parviendrons à l’unité des officiers et des soldats, la capacité combative de l’armée prodigieusement accrue, et nous n’aurons pas à craindre de ne sera pouvoir tenir dans cette guerre longue et acharnée.

114. Les grandes forces de la guerre ont leurs sources profondes dans les masses populaires.

   C’est avant tout parce que les masses du peuple chinois sont inorganisées que le Japon s’est enhardi à nous malmener.

   Que nous surmontions cette insuffisance, et l’envahisseur japonais se trouvera, devant les centaines de millions d’hommes du peuple chinois soulevés, dans la même situation que le buffle sauvage devant un mur de feu : il nous suffira de pousser un cri dans sa direction pour que, de terreur, il se jette dans le feu et soit brûlé vif.

   La Chine a besoin que l’armée complète ses forces d’un flot continu.

   Le mode de recrutement qu’on emploie actuellement aux échelons inférieurs par la presse ou l’achat de remplaçants1 doit être interdit immédiatement et remplacé par une large et ardente mobilisation politique ; il ne sera pas alors difficile d’avoir même des millions d’hommes sous les drapeaux.

   Nous avons de grandes difficultés à trouver les fonds nécessaires à la Guerre de Résistance, mais avec la mobilisation des masses populaires, les finances cesseront aussitôt de constituer un problème.

   Serait-­il possible qu’un Etat disposant d’un si vaste territoire et d’une population aussi nombreuse rencontre des difficultés de trésorerie ?

   L’armée doit ne faire qu’un avec le peuple, afin qu’il voie en elle sa propre armée. Cette armée­là sera invincible, et un pays impérialiste comme le Japon ne sera pas de taille à se mesurer avec elle.

115. Beaucoup de gens s’imaginent que s’il n’y a pas de bons rapports entre les officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple, cela est û à de mauvaises méthodes ; je leur ai toujours dit qu’il s’agit ici d’une attitude fondamentale (ou d’un principe fondamental) qui consiste à respecter le soldat, à respecter le peuple.

   De cette attitude découlent la politique, les méthodes et les formes appropriées.

   Sans cette attitude, la politique comme les méthodes et les formes seront nécessairement erronées, et il sera absolument impossible d’avoir de bons rapports entre les officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple.

   Les trois grands principes de notre travail politique dans l’armée sont, premièrement, l’unité entre les officiers et les soldats ; deuxièmement, l’unité entre l’armée et le peuple ; troisièmement, la désagrégation des forces ennemies.

   Pour mettre effectivement en pratique ces trois principes, il faut partir de cette attitude fondamentale qui est le respect du soldat, le respect du peuple et le respect de la dignité des prisonniers ayant déposé les armes.

   Ceux qui estiment qu’il s’agit ici non d’une attitude fondamentale mais de questions d’ordre purement technique se trompent, et ils doivent corriger leur erreur.

116. Maintenant que la défense de Wouhan et d’autres endroits est devenue un problème si urgent, notre tâche la plus importante, c’est de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour soutenir la guerre.

   Il n’y a pas de doute, nous devons poser sérieusement le problème de la défense de Wouhan et d’autres endroits et nous mettre sérieusement à la tâche.

   Mais la question de savoir si finalement nous réussirons à les défendre dépend non de notre volonté subjective mais des conditions concrètes.

   La mobilisation politique de l’armée et du peuple tout entiers pour la lutte est l’une des plus importantes de ces conditions concrètes.

   Si nous ne nous employons pas à réaliser toutes les conditions nécessaires, si même une seule de ces conditions fait défaut, il se produira inévitablement ce qui s’est passé à Nankin et en d’autres endroits que nous avons perdus.

   Où sera le Madrid chinois ? Il sera là où seront créées les mêmes conditions qu’à Madrid.

   Nous n’avons pas eu jusqu’ici un seul Madrid, mais maintenant nous devons en créer plusieurs. Cependant, la possibilité de le faire dépend entièrement des conditions.

   Et la plus fondamentale d’entre elles, c’est une large mobilisation politique de toute l’armée et de tout le peuple.

117. Dans tout notre travail, il faut nous en tenir fermement à la ligne générale du front uni national antijaponais, car seule cette ligne garantit la possibilité de poursuivre fermement la Guerre de Résistance, de mener résolument une guerre de longue durée, d’aboutir à une amélioration générale et profonde des rapports entre les officiers et les soldats, entre le peuple et l’armée, de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour la défense de tous les territoires qui ne sont pas encore perdus et le recouvrement de tous ceux qui le sont déjà, la possibilité, enfin, de remporter la victoire finale.

118. La mobilisation politique de l’armée et du peuple est vraiment une question de la plus haute importance.

   Nous sommes toujours revenus avec tant d’insistance sur cette question parce qu’il est réellement impossible de vaincre sans la résoudre.

   Certes, bien d’autres conditions sont également nécessaires à la victoire, mais la mobilisation politique est la condition qui commande toutes les autres.

   Le front uni national antijaponais est un front uni de toute l’armée et de tout le peuple, et nullement un front uni des seuls comités ou membres de quelques partis politiques.

   La création du front uni national antijaponais a comme but fondamental de mobiliser l’armée et le peuple tout entiers pour qu’ils y participent.

Conclusions

119. Quelles sont nos conclusions ?

   Les voici : « Dans quelles conditions la Chine pourra­t­elle vaincre et détruire les forces du Japon ?

   Trois conditions sont nécessaires : premièrement, la création d’un front uni antijaponais en Chine ; deuxièmement, la formation d’un front uni antijaponais mondial ; troisièmement, l’essor du mouvement révolutionnaire du peuple au Japon et dans les colonies japonaises.

   Pour le peuple chinois, la plus importante de ces trois conditions est la réalisation de sa grande union. »

   « Combien de temps… cette guerre durera­-t­-elle ?

   Cela dépendra de la force du front uni antijaponais en Chine, et de beaucoup d’autres facteurs décisifs en Chine et au Japon. »

   « Si ces conditions ne se réalisent pas à bref délai, la guerre se prolongera, mais les résultats seront les mêmes : le Japon sera vaincu, la Chine sera victorieuse ; seulement les sacrifices seront grands, et il y aura une période douloureuse à supporter. »

   « Notre stratégie doit consister à employer nos forces principales sur un front étiré et indéterminé. Pour remporter la victoire, les troupes chinoises opéreront sur de vastes champs de bataille, avec un haut degré de mobilité … »

    « Tout en utilisant pour la guerre de mouvement des troupes bien entraînées, nous devons organiser un grand nombre de détachements de partisans parmi les paysans. »

   « Au cours de la guerre, la Chine pourra … améliorer graduellement l’équipement de ses troupes.

   Elle sera donc en mesure de conduire une guerre de position dans la période finale de la guerre et d’attaquer les positions fortifiées dans les régions occupées par les Japonais.

   Ainsi, minée par une longue résistance de la Chine, l’économie japonaise s’effondrera, et le moral des troupes japonaises sera brisé après d’innombrables et épuisants combats.

   Quant à la Chine, elle verra croître avec vigueur ses forces potentielles de résistance et les niasses révolutionnaires affluer au front et se battre pour leur liberté.

   Ces facteurs, joints à d’autres encore, nous permettront de lancer les attaques finales et décisives contre les places fortes et les bases des régions d’occupation japonaise et de chasser hors de Chine l’armée des envahisseurs. » (Entretien avec Edgar Snow en juillet 1936.)

    « La situation politique en Chine est entrée désormais dans une étape nouvelle … A cette nouvelle étape, notre tâche capitale est de mobiliser toutes les forces pour remporter la victoire. »

   « Développer la guerre, déjà déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la victoire finale. »

   « Comme il subsiste de grandes faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de nombreuses difficultés peuvent encore surgir : revers et retraites, scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels.

   C’est pourquoi il faut s’attendre à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que, grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous les obstacles sur sa route. » (« Résolution sur la situation actuelle et les tâches du Parti », adoptée par le Comité central du Parti communiste chinois en août 1937.)

   Telles sont nos conclusions. Les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine voient chez l’ennemi une force surnaturelle, et la Chine leur paraît aussi négligeable qu’un fétu de paille ; les partisans de la théorie de la victoire rapide, au contraire, considèrent l’ennemi comme un fétu de paille et attribuent à la Chine une force surnaturelle ; les uns et les autres sont dans l’erreur.

   Nous nous séparons et des uns et des autres : la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée et la victoire finale appartiendra à la Chine.

    Voilà nos conclusions.

120. Je terminerai ici mon cycle de conférences. La grande Guerre de Résistance se développe, et beaucoup voudraient qu’on fasse un bilan des expériences acquises pour les mettre à profit, afin de remporter une victoire complète.

   Je n’ai traité ici que de l’expérience générale des dix derniers mois. Si l’on veut, on peut considérer cela comme une sorte de bilan.

   La guerre prolongée est une gestion qui mérite la plus large attention et doit faire l’objet du plus large débat ; je n’ai présenté cette question que dans ses grandes lignes ­ j’espère, Camarades, que vous l’examinerez et la discuterez, que vous ferez connaître vos remarques et vos suggestions.

=>Oeuvres de Mao Zedong